Grands formats — Au fil des décennies, le magazine officiel des pompiers de Paris a connu de nombreuses évolutions, à commencer par son nom… Nous avons fêté en janvier 2023, 75 ans de la série ALLO 18 de 1948. Cette collection perdure encore aujourd’hui, avec bientôt son 780e numéro. Une aventure pleine de rebondissements.
Soyons précis !
Être et durer » est une formule bien connue du militaire français. ALLO 18 pourrait également la faire sienne, tant votre magazine traverse le temps et les époques avec l’agilité d’un membre du groupe de gymnastique de la Brigade.
En janvier 1948, ALLO 18 devient officiellement le premier bulletin mensuel du régiment de sapeurs-pompiers. Son prix est alors de dix anciens francs. Il comporte 20 pages et est imprimé par l’imprimerie du Régiment. Le bulletin relate de la vie du Régiment, mais pas seulement. Certaines de ses pages sont, 75 ans plus tard, surprenantes d’actualité. En effet, le bulletin n°1 consacre deux pages entières à la chimie, la dangerosité et l’emploi du nitrate d’ammonium, composé chimique à l’origine des explosions au port de Beyrouth en 2020 et de l’usine AZF à Toulouse, en 2001.
« Amis lecteurs, pouvions-nous également lire dans l’éditorial, nous pourrons désormais publier notre bulletin sous cette nouvelle formule. » Nouvelle formule ?
Oui, car ALLO 18 est véritablement né quelques années plus tôt, en 1945.
Plus précisément, en janvier 1945, sous l’impulsion de l’aumônier du Régiment, le père Lucien Lacour. Il faut imaginer les conditions dans lesquelles ALLO 18 est alors réalisé. Quelques mois après la fin de l’occupation allemande, alors que la Seconde Guerre mondiale sévit encore, malgré les pénuries et les problèmes d’approvisionnement de papier, le « canard » non-officiel du Régiment a déjà vocation d’instruire le sapeur-pompier de Paris.
Pourquoi ce canard ? À cette question, Lucien Lacour répondait alors : « Est-ce qu’on peut empêcher des gars de 20 ans de penser et de dire ? […] Le Régiment, s’il libère de la lourdeur et de la gaucherie, libère-t-il du désarroi des idées ? Ce n’est pas son rôle. On ne peut songer à le lui reprocher. Mais, toi, te résignes-tu à sortir de tes trois ans aussi peu informé qu’avant ? N’auras-tu profité de ta vie sous l’uniforme que pour accrocher des petites poules, oublieux de tant de contacts que t’offre la vie de Paris pour te documenter et te faire une idée ? Rencontres, discussions avec des gens documentés, visites d’information, lectures orientées, découvertes du Paris de l’Histoire, etc… ».
ALLO 18 a toujours été, et sera probablement toujours, un vecteur d’instruction. « La France a autant besoin de corps souples que d’intelligences éclairées, poursuivait l’aumônier Lacour. Ce canard voudrait chaque mois t’offrir l’occasion d’une discussion documentée pour toi sur tous les grands problèmes qui se présentent. Il n’analyse que des faits, pour réserver à chacun son opinion et respecter aussi les règlements qui veulent que soit écartée toute discussion philosophique ou politique. »
Depuis plus de 75 ans, ALLO 18 est le témoin privilégié de l’histoire des pompiers de Paris. Les magazines d’aujourd’hui sont le patrimoine de demain. Lucien Lacour est décédé le 10 février 1970, mais son héritage perdure .
L’histoire « officielle » du magazine commence en 1948, soit trois ans après les premiers numéros informels de l’aumônier Lucien Lacour. À ses débuts, la couverture du bulletin mensuel du régiment de sapeurs-pompiers est colorée d’un bel orange aux teintes safranées (voir page 39). Un sapeur-pompier est dessiné à gauche du titre « ALLO.18 ». Le sommaire figure sur la couverture, au-dessus de la pucelle du Régiment. Une photographie, ou plutôt un « cliché ciné-photo », complète l’ensemble.
Dès son origine, ALLO 18 relate l’actualité du corps, des incendies aux résultats sportifs, en passant par le tableau d’avancement, les naissances et les décès, les mariages ou encore le nombre d’interventions. Dans le numéro 20, daté du mois d’août 1949, page 13 : « Quelques chiffres éloquents : il existe à Paris 84.271 immeubles, dont 2.277 n’ont pas l’électricité. Ceci explique peut-être en partie les nombreuses sorties de feu de Parmentier, Chaligny, Sévigné, etc… » Comprendre : de nombreux habitants de Paris s’éclairent à la bougie, ce qui favorise évidemment les incendies. Il est intéressant de noter qu’avec les problèmes de pénurie énergétique de cet hiver, ce risque est toujours, dans une moindre mesure, d’actualité.
En 1952, un téléphone à cadran fait son apparition sur la couverture du bulletin. Un engin de secours semble sortir du combiné pour rejoindre la ville enflammée, en arrière-plan. À cette époque, la couverture ne change pas tous les mois. Il faut attendre 1956 pour que le désormais bulletin mensuel du régiment de sapeurs-pompiers et de l’ADOSSP — avec un seul P — évolue. Le profil d’un sapeur-pompier au téléphone, portant un casque modèle 1933 et veillant sur la capitale, illustre le bulletin jusqu’en 1959.
Bleu à liseré rouge. Le numéro 133 d’octobre 1959 marque l’apparition d’une couverture pour le moins atypique : un bleu roi est tranché dans toute sa hauteur d’un liseré rouge, tandis que la pucelle du corps et un unique titre « Allo 18 » complètent la première page. Et c’est tout. D’aucuns la qualifieront de simple et efficace. D’autres seront peut-être déçus. Quoi qu’il en soit, 1964 marque ensuite deux événements forts de l’histoire du magazine. D’abord, l’apparition d’une magnifique gravure de l’île de la Cité en couverture, avec le titre « ALLO 18 » écrit en lettres capitales rouge écarlate et associées à un combiné téléphonique. Un fac-similé de ce numéro mythique sera d’ailleurs édité et offert en 2017, avec le numéro 744, à l’occasion du cinquantenaire de la Brigade. Ensuite, dans le numéro 183 d’avril 1964, page 145 : la publication du premier dessin de René Dosne (lire plus loin). Le futur auteur de Flammeche et Cornofeu, également père du croquis opérationnel, fait une entrée un peu timide sous un magnifique dessin de Daniel Lordey.
En 1966, la revue fête son 100e numéro : « Allo 18 n’est pas l’œuvre d’un ou plusieurs hommes, il est la somme de tous ces efforts, de tous ses vœux qui s’additionnent et dans lesquels vous avez votre place, amis lecteurs. », pouvons-nous lire dans ce numéro anniversaire.
L’année 1970 est d’abord marquée par la disparition du père Lacour. ALLO 18 publie au mois de mars l’allocution du général Casso aux Invalides, en hommage à l’aumônier disparu : « […] Des réunions clandestines naît un bulletin de liaison dont les Chefs de Bataillon Husson et Blandin, alors jeunes sapeurs, furent les premiers rédacteurs. Ce bulletin est devenu notre belle revue mensuelle Allo 18. […] » Néanmoins, quelques semaines plus tôt, en janvier 1970, c’est une apparition qui inscrit René Dosne au patrimoine du magazine : « Il était une fois une petite voiture de liaisons, qui menait sa petite vie de VL comme toutes ses sœurs, lorsqu’un jour, elle fût prise dans un énorme carambolage, et en sortit toute transformée. » Ainsi sont nées Les aventures de Pinpon la VL. Puis en 1975, Les nouvelles aventures de Pomplard et Pinpon. Et enfin, en 1983, Les délirantes aventures de Flammeche et Cornofeu, qui fêtent cette année leur 40e anniversaire.
La galerie
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La Brigade en quatre couleur. Les années 1970 et 1980 sont synonymes de changements majeurs pour le magazine. En premier lieu : la couleur. Beaucoup de couleurs. Ou plutôt, quatre : le cyan, le magenta, le jaune et le noir. L’impression offset en quadrichromie se démocratise et permet la publication de photographies, de pages et de couvertures en couleur. Aujourd’hui, cela semble totalement normal, mais à l’époque, cette technique est plutôt nouvelle.
Autre sujet étonnant : la double-page consacrée aux trois bras élévateurs articulés (BEA) de la Brigade. Le BEA « est surtout destiné à l’attaque des grands feux avec lance Monitor qui peut être télécommandée avec orifice de 30 ou 35 mm. […] Il permet également les sauvetages discontinus de victimes impotentes et ceci jusqu’à 25 mètres de hauteur ; charge utile 250 kilogrammes » peut-on lire dans ALLO 18… en juin 1978. Ainsi, le bras élévateur, un des plus beaux fleurons de la Brigade, monstre de puissance hydraulique rouge vermillon, vitrine de l’Institution, bijou de technologie… a plus de 45 ans d’existence. Plutôt surprenant, n’est-ce-pas ?
En lettres de feu. En janvier 1987, nouveau changement : ALLO 18 devient ALLO DIX-HUIT, en toutes lettres. Pourquoi donc, vous demanderez-vous. L’histoire ne le dit pas explicitement… Le numéro 500 de la revue est publié en mars 1993. En janvier 1995, le nouveau logo de la Brigade est publié en Une du magazine, qui profite de l’occasion pour lancer une nouvelle formule : « Tout en conservant l’essentiel, c’est-à-dire les rubriques auxquelles vous êtes attachées et qui demeurent la force de votre revue, trois critères principaux guident ce changement : lisibilité, dynamisme et modernité ». Trois ans plus tard, encore une nouvelle formule, toujours dans un esprit de modernité. Et il faut croire que la formule est bonne, puisque de 1998 à 2012, une certaine continuité est à noter, tant au niveau du titre de la revue que de sa mise en page. Cette formule compte des couvertures parmi les plus mémorables du magazine : « Nuit Blanche » pour l’incendie de la rue de Provence (n°635), « L’hommage de la Nation » en 2002 (n°606) ou encore l’hommage aux pompiers de New York en 2001 (n°596).
De mensuel, le magazine devient bimestriel (autrement dit publié tous les deux mois) en 2013 et profite de l’occasion pour passer à 84 pages. Une augmentation de pagination qui permet de passer en « dos carré collé », avec la volonté de gagner en qualité. Bien que bimestriel, le magazine reste étroitement lié avec l’actualité de la Brigade. Lorsque la France est à nouveau frappée par le terrorisme en janvier et novembre 2015, ALLO DIX-HUIT est témoin des évènements. Lorsque la première femme sapeur-pompier de Paris décède en intervention en 2016, la couverture du magazine est bouleversante. Lorsque des manifestants en gilet haute visibilité secouent la capitale chaque samedi, ALLO DIX-HUIT raconte l’action de la Brigade. Lorsque deux des nôtres tombent rue de Trévise, ALLO DIX-HUIT leur rend hommage. Lorsqu’un immeuble brûle rue Erlanger, ALLO DIX-HUIT est fier de rapporter les 64 sauvetages réalisés par les pompiers de Paris. Lorsque la cathédrale Notre-Dame brûle, et que les regards du monde entier sont tournés vers la Brigade, ALLO DIX-HUIT publie un hors-série.
Retour aux sources. La dernière formule du magazine, avec son puissant logo carré et ses couleurs vives, date de 2017. En janvier 2023, ALLO DIX-HUIT redevient ALLO 18. Publié par l’association pour le développement des œuvres sociales des pompiers de Paris (ADOSSPP), ALLO 18 est un magazine riche de l’histoire de la Brigade. Il est le témoin de son action, de ses joies et de ses drames, comme de ses faits d’armes, depuis plus de 75 ans, et pour encore longtemps.
SARCE : René Dosne tout !
SARCE (n.m.). Désigne un sapeur-pompier de Paris très expérimenté, qui connaît bien les ficelles du métier. Souvent porteur d’une moustache. Ex : Lieutenant-colonel (ESR) René Dosne, quel sarce !
Comment êtes-vous parvenu à dessiner pour ALLO 18 ?
J’étais passionné par les pompiers depuis l’âge de cinq ou six ans et j’adorais dessiner des camions… En 1964, je faisais des études d’arts graphiques. Un jour, mon professeur de décoration m’a conseillé d’aller dans une caserne et demander à voir les engins. Comme je ne connaissais personne, j’ai écrit une lettre… Pas de réponse. Puis, au bout de trois semaines, en rentrant de l’école, ma mère me dit qu’un pompier est passé à moto pour déposer une lettre. C’était un courrier du colonel Casso, m’autorisant à venir dessiner les camions ! Je venais d’avoir 17 ans.
Je repense à cet instant à chaque fois que je passe la voûte de Champerret. Je me souviens des premiers secours Hotchkiss. Les camions avaient des chromes magnifiques… J’ai donc commencé à dessiner des camions. Rapidement, le chef du 2e bureau, le capitaine Franceschi, est venu voir mes dessins. Il m’a présenté au colonel Casso, à la fin d’un grand rapport du vendredi. J’étais mineur, civil, et lorsque j’ai présenté mes dessins au colonel, il a dit : « On lui donne une tenue de feu, un laissez-passer au feu, on lui paye une assurance et il va faire des dessins de feu pour ALLO 18 ! ».
Parlons de votre premier dessin publié dans ALLO 18…
J’en ai honte, naturellement (rires). Il a été publié dans une rubrique qui s’appelait « D’un centre à l’autre ». Je crois avoir fait six dessins pour ce numéro-là (ndlr : n°183 d’avril 1964). J’étais payé un franc cinquante le dessin. J’allais à la rédaction, on me donnait le texte et je devais faire une illustration un peu drôle. À l’époque, je travaillais au pinceau, ce n’était pas terrible… Dans les numéros suivants, les dessins ont été un peu moins mauvais, car j’avais pris conscience que lorsqu’un dessin est mal fait, on le retrouve toujours, même 50 ans plus tard… Alors, j’avais décidé de mettre la barre le plus haut possible. J’étais abonné au magazine Science et Vie. Les illustrations de cette revue ont toujours été une référence pour moi.
Vous souvenez-vous des débuts de Flammeche et Cornofeu ?
C’était en 1983. À cette époque, je travaillais dans le milieu de la bande dessinée. J’étais entouré de dessinateurs professionnels. À la Brigade, les commandes étaient très variées : on me demandait un faire-part, une bande dessinée, une illustration ou un écorché de camion… Je devais être polyvalent ! Il fallait toujours être au taquet, c’était très formateur.
Ensuite, pourquoi Pinpon la VL, née en 1970, est devenue Flammeche et Cornofeu ? Je voulais augmenter le niveau global, et le nom a changé aussi ! Plus tard, le lieutenant Bourdillot est arrivé dans la bédé. Je l’aime bien, Bourdillot, il est un peu à la ramasse.
En 2023, nous fêtons les 40 ans de Flammeche et Cornofeu… Ça vous fait quoi ?
Ah bon ?! Il faut que je fasse quelque chose, alors ! Je ne vois pas le temps passer… Le milieu est tellement motivant. On est toujours entouré de jeunes, c’est très encourageant. Et puis du jour au lendemain, la bédé a 40 ans !
Photographie et propos recueillis par Sergent Nicholas Bady