#BrigadeInside — Durant quatre ans, les techniciens de la compagnie de maintenance (CMAI) et le musée de la BSPP ont mis à profit tout leur savoir-faire afin de restaurer l’un des engins les plus emblématiques de la Brigade : le premier secours mousse. Entre un travail acharné et une ingéniosité à toute épreuve, retour sur cette aventure qui remonte le temps.
Ce véhicule de 1970, appartient à la lignée des engins dits premiers-secours, dont le concept fut inventé par les sapeurs-pompiers de Paris à la fin du XIXe siècle, aux prémices de la traction électrique. Véritables couteaux suisses, ils sont toujours en mesure de réaliser 80 % des interventions sur le secteur Brigade.
Le PSM est en fait la 5e génération de PS. Il sera rapidement surnommé « le Belphégor », en raison de ses gros hublots sur la face, lui donnant un air de ressemblance avec le personnage de la populaire série télévisée « le fantôme du Louvre » de 1965.
L’option mousse est intégrée, avec le développement des feux de matières plastiques et d’hydrocarbures, dès 1940. Avec le temps, la mousse devient inhérente au concept, puis une nouvelle option « Évacuation » la remplace dans les années 80. Aujourd’hui, le PSE 5G correspond donc à la 10e génération de PS.
En l’espace d’une dizaine d’années, le musée des pompiers de Paris s’est grandement professionnalisé, cherchant à faire vivre et revivre son patrimoine au travers de trois grands préceptes : collecter, conserver et communiquer. Une grande partie de ce travail s’est organisée au bénéfice du nouveau musée de Saint-Ouen (93). Le principal défi : répertorier et sélectionner les 90 engins historiques, dispatchés sur 17 sites différents. « Nous ne pouvions garder l’ensemble de la collection, un tri s’avérait donc nécessaire, raconte le caporal-chef Etienne Jacquelin, responsable du parc technologique du musée. Des questions fondamentales guident alors nos choix : quels engins méritent d’être sauvegardés et lesquels correspondent réellement à l’identité et à l’histoire du pompier de Paris. » Parmi tous ces engins, le premier secours mousse s’impose rapidement, telle une évidence, comme l’un des véritables camions « MADE IN BSPP » (voir encadré).
En 2017, après deux tentatives interrompues, le musée de la BSPP reprend à bras-le-corps ce projet et décide de consacrer ses efforts à la restauration du PSM n°27. Presque en ruines, et dans un état de corrosion très avancé, ce petit poids lourd urbain est alors confié à la 32e compagnie de maintenance (CMAI).
UN PROJET TITANESQUE
C’est le caporal-chef Rudy Moulard, seul technicien toujours en activité sur le premier projet du PSM, qui reprend le flambeau. « Sur le moment, je me suis rendu compte que la charge de travail serait titanesque, se remémore le carrossier-peintre. De nombreuses pièces de carrosserie manquaient et le moteur ne fonctionnait plus. Malgré l’ampleur du défi, notre motivation a pris le dessus sur tout le reste .» Dans ce grand projet, Rudy est accompagné d’une véritable équipe de choc. En première ligne : le 1re classe Franck Portelli, chargé de la mécanique et de l’électricité, le caporal Enrik Jarnet-Nomede, pour la chaudronnerie et la soudure, et enfin le 1re classe Antoine Saint-Martin, sellier et garnisseur.
En septembre 2017, ils initient le démontage intégral de l’engin, élément par élément, afin d’analyser l’ampleur du chantier. « Sur deux semaines, nous trions, démontons et remisons l’ensemble dans des caisses. C’est déjà un premier moyen de visualiser les éléments qui nous manquent : garniture de porte, manettes de vitre, projecteurs, gyrophares, échelles ou encore poignées de portes, décrit Rudy. C’est un travail très long et minutieux qui démarre. » Une fois mis à nu, l’équipe envoie le PSM dans une entreprise privée pour un sablage complet. Cette étape, la seule qui sera réalisée en dehors des murs de Voluceau, permet aux techniciens de repartir d’une base saine. Le procédé insistant tellement en profondeur qu’il nettoie et enlève l’ensemble des parties irrécupérables.
En décembre, l’équipe récupère le PSM nettoyé et le chantier peut commencer. « À cette période, un événement tragique bouleverse ma vie personnelle, confesse Rudy avec pudeur. À mes yeux ce projet devient donc bien plus qu’une simple restauration, presque une thérapie intérieure. Je plonge dans ce travail où le temps passé à l’ouvrage compense et atténue cette perte très difficile. »
Cette situation inattendue devient un nouveau moteur pour le projet. Rudy restaure entièrement les éléments de la carrosserie en faisant souvent preuve d’ingéniosité pour réparer, souder, redresser, aplanir et poncer les ensembles. « Dans ce type de projet, il faut impérativement être méthodique, travailler élément par élément, précise-t-il. Nous avons d’abord commencé par la cabine, puis le toit, l’arrière et enfin les côtés ». En renfort, le caporal Jarnet-Nomede, le chaudronnier, élabore les parties manquantes ou endommagées. Il confectionne les éléments manquants, jusqu’à recréer des pièces dans leur intégralité tels que les garde-boues, élaborés sans aucun plan à partir d’une simple feuille blanche ! « Dans ce type de situation, il fabriquait la pièce et je l’installais, un véritable travail de binôme, atteste Rudy. Planchers, ailes avant, coffres arrières, nous avons créé et placé beaucoup de parties nous-mêmes. » Pourtant, le 14 juillet arrive à grands pas et annonce une lourde charge de travail pour les techniciens.
« Afin d’empêcher l’oxydation et la rouille, j’achève le montage à blanc et appose un « apprêt » pour remiser en toute sécurité le PSM en attendant de poursuivre le travail. » À ce stade, c’est au 1re classe Frank Portelli de démarrer la partie moteur.
DES PROBLÈMES DE PIÈCES
Un problème majeur va sérieusement handicaper le travail de restauration : la grande difficulté pour se procurer les pièces manquantes, le plus souvent introuvables. Le mécanicien identifie rapidement leur absence en dressant un inventaire détaillé, mais il s’avère très difficile d’en trouver de nouvelles. Un véritable travail de recherche s’organise au cours des deux années suivantes. Le musée et les techniciens se rendent à de multiples salons, rencontrent des associations et activent leur réseau au travers de deux branches principales, celle des professionnels et celle des pompiers de France. Le caporal-chef Jacquelin entre notamment en contact avec une figure du milieu : André Horb, rapporteur de la commission histoire, musée et musique au sein de la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France.
Pas à pas, dans un véritable travail de fourmis, les acteurs du projet récupèrent les pièces détachées. D’abord grâce à une entreprise spécialisée dans ce type de besoins et localisée en Allemagne. Ensuite, grâce aux pièces détachées récupérées sur le site militaire de Montlhéry. « Avec son œil d’expert, Franck a même trouvé l’embrayage du PSM complètement par hasard. Dans ce travail de fouille, il faut beaucoup de recherches, de patience et aussi, un peu de chance » s’amuse Rudy. En parallèle, le musée de la Brigade obtient un don de la part du musée des sapeurs-pompiers du Val‑d’Oise (95). Cet échange a pu s’opérer grâce à une relation de confiance entretenue depuis de longues années entre les deux entités. Celui-ci offre un PSM quasiment identique aux techniciens pour une greffe des pièces d’origine. Un apport précieux, qui permettra à Rudy de piocher à volonté dans ce second engin notamment pour les petits éléments. D’autres musées ou associations effectueront des dons de petits matériels d’époque. L’atelier des Chevrons, avec lequel la BSPP a rénové son emblématique camion-grue dans l’émission “Vintage Mecanic”, approvisionne l’équipe en pièces Citroën. Le responsable du parc technologique parvient même à retrouver des pneus d’origine dont le modèle a pourtant disparu depuis des décennies.
L’ANECDOTE HISTORIQUE
Dans les premières années de sa mise en service, le PSM fut plutôt mal perçu par les hommes du Régiment. Premier engin-pompe à bénéficier d’une cabine, le spectacle des pompiers de Paris partant au feu et s’habillant à la va-vite dans leur décapotable « Torpedo », disparaît définitivement. Moins facile, désormais, de saluer les passants et de faire du charme aux jolies filles. Mais ce premier aperçu maussade se dissipera après quelques interventions sous la pluie, le vent et la neige !
Fin 2019, le chantier peut reprendre avec l’ensemble des pièces trouvées. Franck, le mécanicien, ouvre le moteur et commence un travail d’orfèvre pour redonner au camion son ronronnement. Devant cet immense puzzle, l’expert reprend absolument tout. Après de longs mois de travail, le moteur redémarre enfin. Le mécanicien de talent s’occupe également de la totalité des faisceaux électriques.
En parallèle, Rudy redémonte la cabine. Un problème persiste avant la phase de la peinture : comment retrouver la couleur d’origine du PSM, le rouge initial ? « À force de sabler de petites pièces, j’ai fini par identifier, dans la trappe à côté d’un filtre à air, une teinte très légère, c’était forcément celle d’origine, explique le carrossier-peintre. En la nettoyant et la flashant avec un spectromètre, pour l’analyser, j’ai réussi à élaborer le mélange. » Une fois cette étape effectuée, la mise en peinture de chaque élément peut démarrer. « J’ai travaillé étape par étape : d’abord les petits éléments comme les rétroviseurs puis les grosses parties telle que la pompe, le dévidoir et la citerne. Il fallait vraiment tout classer méthodiquement pour ne pas se perdre dans le travail. », Antoine Saint-Martin, sellier et garnisseur, s’emploie de son côté à restaurer les deux sièges, la banquette arrière, les garnitures de portes et le ciel de toit en respectant scrupuleusement les éléments d’ambiance de l’époque. Durant deux ans, les quatre techniciens travaillent d’arrache-pied sur le PSM, en parallèle de leurs missions opérationnelles. La crise de la Covid-19 viendra, elle aussi, ralentir l’avancée du projet.
UN RÉSULTAT EXCEPTIONNEL
En janvier 2021, le remontage de la cabine est lancé. « Ce fut très agréable pour nous de réunir enfin le fruit de nos travaux respectifs, se souvient Rudy. Avec Enrick, je termine l’habillage intérieur et les finitions. Nous créons même un réservoir adaptatif pour le moteur. » Dans cette dernière phase, les petits détails sont les éléments les plus longs à réaliser : rétroviseurs, vis, problèmes de filetage, etc. Après les derniers mois de retouches, l’entreprise privée Transdeco réalise l’impression des blasons de portière. Partenaire de la BSPP depuis plus de 50 ans, cette société va se montrer particulièrement efficace et réactive. Au terme de quatre années de dur labeur, la restauration du PSM s’achève.
L’engin, refait à neuf, quitte Voluceau pour rejoindre le musée de Saint-Ouen. Il fait un détour à l’état-major de Champerret et est exposé dans la cour d’honneur durant le weekend du 18 septembre en présence de tous les acteurs du projet. À cette occasion, les quatre techniciens sont récompensés pour le travail fourni, « un lien vraiment très fort s’est créé entre toute l’équipe et ce véhicule. Nous sommes à la fois très fiers et un peu tristes qu’il nous quitte, confesse Rudy. Mais il trônera fièrement au musée et immortalisera l’ensemble de nos efforts. »