Retour d’inter — Mardi 6 janvier, 4 h 46. Le centre opérationnel de Champerret est prévenu d’un feu de pavillon à Drancy. Une visioconférence est effectuée avec le requérant pour avoir de plus amples renseignements. La toiture est en proie aux flammes. Il s’agit de deux interventions en même temps. Il faut faire vite…
Le départ normal tire du lit les soldats du feu de la caserne de Drancy. Ils descendent rapidement au poste de veille opérationnelle pour connaître le motif et le lieu de l’intervention. Le feu de pavillon est à l’extrémité de leur secteur. Un fourgon pompe tonne léger (FPTL), une échelle pivotante automatique (EPA), un engin de premier secours (PS) et une VL avec à son bord l’adjudant Antoine Testa, commandant des opérations de secours, partent du centre de secours Drancy. À mi-parcours, au détour d’un rond-point, les hommes présents dans le PS aperçoivent au loin une colonne de fumée couplée à des lueurs orangées. « Quand nous apercevons un panache de fumée, il y a toujours une part d’excitation, confie le caporal-chef Fabien Lefebvre, chef d’équipe du PS. Mais la concentration reprend rapidement le dessus. Il faut rester professionnel. » L’engin peine à arriver à destination tant le stationnement est anarchique dans le quartier. Il parvient finalement en premier sur les lieux. Les pompiers ont à peine le temps de descendre du camion qu’une fuite de gaz enflammée survient. Les flammes atteignent rapidement le deuxième étage de la façade du pavillon et contrastent avec la pénombre hivernale. Au même moment, l’adjudant Testa arrive au rond-point. Le panache de fumée est désormais plus intense. Le sous-officier comprend que le pavillon de 60 m² est totalement embrasé et que la toiture est sans doute percée…
Le temps de vulnérabilité. Les flammes ont réveillé les voisins. À l’arrivée des pompiers sur les lieux du sinistre, de nombreux badauds sont présents. Heureusement, renseignements pris, il s’avère que le pavillon est, pour l’heure, inhabité. Les soldats du feu établissent avec la police un périmètre de sécurité. « Les badauds sont particulièrement présents et insistants, explique l’adjudant Testa. Il faut trouver un juste milieu entre les faire reculer dans l’intérêt de leur propre sécurité, sans pour autant les brusquer, car ils constituent une source d’information importante pour les chefs d’agrès. » Au vu de l’intensité du feu et n’ayant aucun sauvetage à réaliser en urgence à cet instant, les pompiers attendent l’arrivée des moyens hydrauliques pour s’engager dans le bâtiment. En effet, le danger peut être important. Il ne faut pas prendre de risques infondés, ni accorder une seule seconde au « temps de vulnérabilité ». Cette période durant laquelle les intervenants réalisent des missions sans qu’un moyen hydraulique ne soit en manœuvre. Seules des opérations de sauvetage réalisées sur ordre autorisent l’engagement de pompiers durant ce laps de temps.
Besoin de renforts. À cinq heures, le commandant des opérations de secours requiert plus de moyens pour compléter le dispositif hydraulique : « Je demande un engin pompe, une camionnette de réserve d’air comprimé et renforcement gaz de France d’urgence ». Les deux lances en renfort permettent de lutter contre la propagation du sinistre aux bâtiments voisins et d’assurer la protection des sapeurs-pompiers.
Pour le caporal-chef Lefebvre, sa première mission est d’établir une lance afin d’enrayer les propagations liées à la fuite de gaz enflammée. Cette dernière est intervenue suite au feu à l’intérieur du pavillon. Le rayonnement de la chaleur a fait fondre la canalisation de gaz et le coffret de gaz situé devant la maison, ce qui a provoqué la fuite. « C’est plutôt une intervention atypique, car en temps normal, les fuites de gaz enflammées interviennent suite à un feu de véhicule en façade ou de poubelles » commente l’adjudant Testa. Les soldats du feu doivent faire face à deux interventions en une : la fuite de gaz enflammée et le feu de pavillon qui comporte un risque de propagation aux bâtiments voisins.
Assurer la sécurité. En tant que chef d’équipe, le caporal-chef Lefebvre doit garantir la sécurité de son servant : « Il y avait des fils électriques fondus sur la chaussée. Je me dois de passer des consignes à mon servant concernant les risques électriques ». Du côté de l’adjudant Testa, la difficulté réside dans la fuite de gaz enflammée. Il faut lutter contre les propagations sans souffler la fuite. En effet, cela permet d’éviter de répandre des poches de gaz et, par conséquent, de limiter le risque d’explosion. Pour arrêter la fuite, deux pompiers munis de lances entourent un employé GRDF. Ce dernier, une fois le barrage localisé, coupe le gaz et attend que la flamme soit bien diminuée pour la souffler à l’aide d’un extincteur, puis la colmate. Grâce à cette procédure, la fuite de gaz enflammée est rapidement maîtrisée. À l’intérieur du pavillon, l’incendie a provoqué l’effondrement du premier étage. Les pompiers utilisent des gaffes pour progresser en sécurité et attaquer le feu. Difficile pour eux de se repérer, tant la fumée est intense. Pour le commandant des opérations de secours, la sécurité de ses hommes est primordiale. Des rotations ont été mises en place, dans une zone définie, pour que les pompiers puissent se reconditionner, changer les bouteilles d’air ou se réhydrater. « Si on laisse quelqu’un se reposer un peu et se réhydrater, il y a moins de chance qu’il lui arrive quelque chose après », exprime l’adjudant Testa. Une idée très répandue au 1er groupement d’incendie et de secours. Depuis deux ans, des formations sur le facteur humain opérationnel sont dispensées. L’adjudant fait d’ailleurs partie des animateurs, tout comme le chef d’agrès du PS.
Déblai et dégarnissage. À 6 h 22, le feu est éteint et la fuite de gaz est arrêtée. La phase de déblai et dégarnissage peut débuter. Il s’agit toujours de la partie la plus longue lors d’une intervention de cette envergure. C’est lors de cette période qu’il faut redoubler de vigilance. En effet, la phase active étant terminée après l’extinction, une baisse d’attention peut se faire ressentir. « Ce n’est pas parce que le feu est éteint que le risque d’accident n’existe pas », nous rappelle l’adjudant Testa. Pendant le déblaiement, la caméra thermique permet de surveiller les points chauds. Certaines tuiles sont dégarnies pour vérifier qu’il n’y ait pas de nouveaux foyers. Durant plus de trois heures, les pompiers vont ratisser le pavillon pour être certains qu’aucune reprise de feu n’est possible. À l’issue de cette phase, l’adjudant Testa et ses hommes peuvent souffler. Le commandant des opérations de secours prend une dernière fois sa radio à 9 h 21 : « Périmètre de sécurité laissé à la disposition de la police. Monsieur l’adjoint au maire de la ville de Drancy et officier de police judiciaire présentés à 8 heures. Déblai, dégarnissage, reconnaissances et intervention terminés » .
L’ŒIL DE LA SECTION DOCTRINE RETEX
Neutraliser une fuite de gaz enflammée
La fuite de gaz enflammée sur le réseau de distribution est une intervention particulière qui implique une très bonne coordination entre les sapeurs-pompiers de Paris et GRDF, notre partenaire opérationnel principal sur ce type d’opération.
La collaboration, dès l’appel des secours, par la mise en œuvre de la Procédure Gaz Renforcée (PGR), puis sur le terrain afin de neutraliser le risque gaz, est particulièrement importante. C’est un travail « interservices » qui est abordé dans la doctrine opérationnelle, mais également lors des différentes formations et des séances de maintien des acquis organisées au profit des centres de secours. La Brigade réalise environ une dizaine d’opérations de ce type par an, principalement occasionnées par des feux sur la voie publique (véhicules ou poubelles) et plus exceptionnellement par des accidents ou des travaux.
Sur intervention pour fuite de gaz enflammée, la responsabilité générale et plus particulièrement la protection des personnes, des biens et de l’environnement (immeubles, pavillons, caves…) appartient aux sapeurs-pompiers (COS). L’effort est alors porté sur la lutte contre la propagation engendrée par la flamme et le rayonnement thermique. En principe, il n’y a pas de risque d’explosion tant que le gaz brûle, mais le COS met en œuvre toutes les mesures de sauvegarde applicables aux interventions pour fuite de gaz.
Sauf en cas d’absolue nécessité, la fuite enflammée ne doit pas être éteinte. Par conséquent, il convient de prendre garde à ne pas souffler la flamme en manœuvrant les moyens hydrauliques jusqu’à ce que la conduite soit neutralisée. Dans certains cas exceptionnels, et sous réserve de conditions bien définies, il peut être nécessaire de procéder à l’extinction de la fuite alors même que cette dernière n’est pas encore arrêtée. Il s’agira alors d’accompagner l’agent GRDF en l’encadrant de sapeurs-pompiers munis de lances en jet diffusé de protection jusqu’à ce qu’il soit suffisamment près de la flamme pour la souffler afin de neutraliser la fuite.
Les contraintes auxquelles ont été confrontés les secours de la Brigade lors de l’intervention à Drancy ont été particulières puisque c’est le feu de pavillon qui a engendré la fuite de gaz enflammée. Ainsi, dans un premier temps, les sapeurs-pompiers de Paris ont lutté contre le feu de pavillon tout en protégeant la flamme de la fuite de gaz enflammée afin de ne pas l’éteindre. Puis, dans un second temps, la procédure combinée permettant à l’agent GRDF de souffler la flamme et de procéder au colmatage a été appliquée.