Retour d’inter — Le 28 décembre 2022 à Aulnay-sous-Bois, un départ de feu a lieu dans un foyer ADOMA a quelques pas du centre de secours. Sans cette proximité immédiate et sans l’intervention précoce et salvatrice de l’équipage du VSAV, le bilan aurait pu être bien pire.
Faites partir les secours. Il est environ 22 h 20 lorsque le caporal-chef Pierre, militaire du rang expérimenté du centre de secours Aulnay, décale avec son équipage au VSAV pour une urgence. Il témoigne. « Nous sortons de la caserne et tournons à droite. Lorsque je tourne la tête, j’aperçois le foyer ADOMA, voisin direct du centre de secours. Au niveau du troisième étage, une fumée noire sort d’une dizaine de fenêtres. On voit bien que le feu est déjà développé ». Le chef d’agrès du VSAV fait stationner son engin à une cinquantaine de mètres du bâtiment et demande à son équipage de le suivre. Tout en rejoignant la zone il passe son message, « du caporal-chef Pierre. Faites partir les secours pour feu au 158, route de Mitry à Aulnay-sous-Bois ». Il demande également le complément de départ pour feu dans un établissement répertorié. Il se souvient. « Lorsque j’arrive devant la façade, il y a un homme au troisième étage qui vient de passer par la fenêtre et qui est suspendu par les mains. Il a les pieds posés sur un rebord en plastique très fin. La chaleur lui brûle les mains, les flammes commencent à sortir et les badauds en bas lui conseillent de sauter. Moi, je lui dis tout de suite de ne pas le faire. J’indique à l’un de mes équipiers de garder un contact visuel avec lui et de l’empêcher de sauter autant qu’il peut. » Ce jour-là, l’équipage du VSAV comprend un quatrième homme, l’aspirant Leconte qui est en fin de formation en tant que chef d’agrès VSAV, une aubaine quand ce type d’événement survient.
Tour du feu. Le caporal-chef connaît le bâtiment, il sait à peu près comment il est configuré. Un immeuble de quatre étages en forme d’étoile à trois branches avec, au centre, une cage d’escalier encloisonnée en colimaçon. Le centre de suivi opérationnel lui rend compte par téléphone que le départ normal d’Aulnay vient d’être sonné. Il réalise alors un tour du feu en longeant le bâtiment du côté opposé au centre de secours tout en localisant les organes de coupure de gaz. Ce soir-là, il y a un fort vent qui pousse les fumées le long de la façade. Le caporal-chef Pierre s’engouffre dans le bâtiment « Quand j’entre dans la cage d’escalier centrale, une centaine de personnes est en train d’évacuer, valises à la main. J’essaie de gérer le flux, puis je monte au deuxième étage qui est déjà très enfumé. Je continue jusqu’au troisième, là, la porte palière est entrouverte, toute la fumée s’engouffre dans la cage d’escalier. N’ayant aucune visibilité, je redescends. » Le caporal-chef Pierre entend les renforts qui arrivent, il leur ouvre l’accès à la propriété. « J’interpelle le chef d’agrès de l’échelle aérienne et je lui signifie qu’il y a un sauvetage à réaliser au troisième étage. » En un rien de temps, l’échelle se déploie. La personne suspendue se jette de désespoir sur le dernier échelon, le chef d’agrès vient à son secours et l’aide à descendre. Elle est tout de suite prise en charge par les deux équipiers du caporal-chef Pierre.
Renfort habitation. Il part à la rencontre de l’adjudant Leguillon, chef de garde incendie du jour au centre de secours d’Aulnay. « Je rends compte à l’adjudant Leguillon que je suis arrivé le premier, qu’il s’agit d’un feu de niveau au troisième étage et qu’un sauvetage a déjà été réalisé au moyen de l’échelle pivotante automatique. » L’adjudant Leguillon lui demande de lui montrer où se trouve le sinistre. Le caporal-chef l’emmène avec l’équipage du premier secours jusque dans la cage d’escalier centrale. À son tour, l’adjudant Leguillon relate les faits. « Je demande à mon sous-officier chef d’agrès du premier secours de prendre à son compte l’attaque du feu à partir du troisième étage. Le feu est parti d’une chambre du foyer, les flammes sont sorties du volume et se propagent dans les circulations horizontales sur une quarantaine de mètres par des gaines situées au-dessus du faux plafond en bois ». Il est tout juste 22 h 29 lorsque le chef de garde redescend puis demande « renfort habitation » à la radio. À peine arrivé en bas, le caporal-chef Pierre l’interpelle pour un second sauvetage à entreprendre. En effet, de l’autre côté de la façade, une autre personne est aperçue à la fenêtre du troisième étage. Elle est complètement bloquée par les fumées et ne peut en aucun cas évacuer les lieux. Le caporal-chef Pierre revient alors chercher l’EPA et guide le conducteur. Le chef d’agrès de l’échelle pivotante automatique stabilise son engin et déploie son agrès le long de la façade. La victime est localisée, puis évacuée. Le sauvetage se termine lorsque des voix venant du haut de la tour d’instruction du centre de secours se font entendre. Des militaires de garde et de repos observent la scène. Ils aperçoivent une autre victime qui se manifeste par la fenêtre d’une autre chambre. Ni une ni deux, le troisième sauvetage est réalisé au moyen de l’EPA. La victime complètement intoxiquée par les fumées est extraite in extremis.
« Je prends le COS ». Le capitaine Leduc, officier de garde du jour, arrive très rapidement sur l’intervention. Il effectue le tour du feu puis fait un rapide point de situation avec l’adjudant Leguillon. Le capitaine prend le commandement des opérations de secours puis demande le renfort de quatre engins-pompes supplémentaires et d’un groupe médical pour prendre en charge les victimes intoxiquées. Le bâtiment compte plus de 300 chambres, les victimes pourraient être nombreuses. Le capitaine Leduc sectorise le bâtiment en quatre zones. La première comprend le premier et deuxième étage. La seconde zone se situe au troisième étage, la troisième zone gère le quatrième étage et la dernière zone est le secteur sanitaire. Les renforts arrivent au fur et à mesure, le capitaine Leduc engage en reconnaissance ou à l’attaque du feu, les engins qui se présentent un à un sur l’intervention.
Une remise comme PMA. « L’adjudant Leguillon me donne l’ordre de rechercher un point de regroupement des victimes, nous raconte le caporal-chef Pierre. Après une rapide analyse de l’environnement, j’estime que l’endroit le plus judicieux serait la remise du centre de secours. » Dans la caserne, les militaires sur place, qu’ils soient de repos ou de garde, préparent la remise. Ils installent des bancs, des chaises et tout ce qu’il faut pour prendre en charge les victimes. Une chaîne humaine est mise en place pour l’évacuation des personnes du foyer et pour les diriger vers le centre de secours. Le caporal-chef Pierre reste en charge de cette logistique jusqu’à la fin de l’intervention.
Feu éteint. L’extinction est longue et difficile. Les porte-lances se retrouvent confrontés très régulièrement à de nouvelles reprises de feu. Les flammes se propagent même jusqu’à l’étage supérieur mais sont rapidement éteintes par deux lances au quatrième étage. À 23 h 20, le lieutenant-colonel Delaforge, officier supérieur de garde du jour, prend à son tour le COS. Le feu ne sera déclaré éteint qu’à 4 h 25.
Cet incendie-là s’est révélé plutôt technique. La disposition des chambres, les matériaux de construction et le nombre élevé d’habitants (environ 300) a compliqué l’intervention. Néanmoins, la proximité du foyer avec le centre de secours a été un réel avantage pour mener cette opération du mieux possible et limiter le bilan
L’ŒIL DE LA SECTION DOCTRINE RETEX
ENGAGEMENT TOTAL
Les logements-foyers pour travailleurs font partie de l’environnement opérationnel de la Brigade. Notre langage commun opérationnel a même adopté les noms de ces établissements. De foyer SONACOTRAL en 1956 (SOciété NAtionale de COnstruction de logements pour les TRAvailleurs Algériens), puis de foyer SONACOTRA à partir de 1960, ils ont été renommés ADOMA depuis 2006. Ces bâtiments sont constitués de locaux assujettis à la réglementation habitation (des logements, des unités de vie assimilées à des logements, des parties communes et des locaux de services comme les bagageries) et de services collectifs assimilables à la réglementation ERP (salles de réunion, salle de prières, salles de restaurant, etc.). Cette double réglementation peut apporter une contradiction pour les occupants : évacuation vs confinement. Les dispositions constructives font que ces foyers peuvent ne comporter qu’une seule cage d’escalier en fonction de leur capacité d’accueil, les niveaux de circulation peuvent être équipés de déclencheurs manuels d’alarme incendie. Le bâtiment peut également disposer de détecteurs dans la cage d’escalier ou les circulations horizontales permettant de les désenfumer.
Les RETEX montrent que le sapeur-pompier de Paris pourra être confronté à une situation où ces dispositifs de sécurité ne sont pas fonctionnels (ferme-porte, alarme, recoupement entre les volumes, etc.) entraînant notamment l’envahissement rapide et total des locaux par les fumées et les gaz chauds engendrés par un stockage souvent important dans les chambres occupées. La règle générale d’engagement est celle d’un feu d’immeuble d’habitation où sont menés, toujours simultanément et le plus rapidement possible, l’attaque du sinistre, les sauvetages, les mises en sécurité et les reconnaissances de la totalité de l’établissement afin de compléter ces premières actions. Le concept d’engagement du renfort habitation peut être une réponse opérationnelle adaptée face au nombre important d’occupants (sur-occupation) et de la panique qui peut émerger de leur vulnérabilité