DÉCOUVERTE — Entretien avec un artiste de l’urgence !

 — Modi­fiée le 10 octobre 2024 à 11 h 17 
Major Noirot - Chef du groupe Dessin opérationnel.

#BrigadeInside — — Quand le feu se développe et que chaque seconde compte, ils ne brandissent pas leur lance à incendie
mais leurs feutres et leur tableau blanc. Inventés par le dessinateur René Dosne, les dessinateurs opérationnels de la Brigade sont l’outil d’aide à la décision du Commandement des opérations de secours (COS) sur intervention. En pleine urgence, ils réalisent des dessins précis pour guider les pompiers engagés dans la lutte contre le sinistre. Mais qui sont ces artistes de l’ombre ? Le major Frédéric Noirot nous éclaire !

Après 20 ans pas­sés à gra­vir les éche­lons au sein des com­pa­gnies d’incendie, et trois ans en tant qu’adjudant d’unité à la Com­pa­gnie de télé­com­mu­ni­ca­tion infor­ma­tique (CTI), le major Fré­dé­ric Noi­rot est aujourd’­hui chef du groupe des des­si­na­teurs opé­ra­tion­nels (DO) de la Brigade.

Qu’est-ce qu’un des­si­na­teur opérationnel ?

Le des­si­na­teur opé­ra­tion­nel de la Bri­gade est un pom­pier tra­vaillant en sys­tème de garde. Sa mis­sion prin­ci­pale est de four­nir, en moins de vingt minutes après son arri­vée sur les lieux d’un sinistre, un des­sin en 3D de la zone d’intervention. Cette syn­thèse ras­semble à la fois l’ensemble des carac­té­ris­tiques du bâti­ment (accès, esca­liers, cir­cu­la­tions hori­zon­tales et ver­ti­cales..) mais sur­tout l’emplacement du sinistre avec les risques de pro­pa­ga­tions. Le des­sin devient ain­si l’outil de tra­vail du COS. Quand il est de garde, le DO a un rôle bien particulier.

Le DO pré­sente son des­sin à l’ou­ver­ture du pre­mier point de situation.

Quel est-il ?

Le des­si­na­teur de garde est pro­je­té sur toutes les inter­ven­tions qui néces­sitent l’en­ga­ge­ment du Véhi­cule de Poste de com­man­de­ment tac­tique (VPC TAC). Dès son arri­vée sur les lieux, sa mis­sion débute. La prio­ri­té est de four­nir une vue 3D au pro­fit du COS. Pour cela, le DO, équi­pé de sa tenue de feu, d’un masque de pro­tec­tion res­pi­ra­toire, de crayons et de papier, s’engage dans le bâti­ment pour en faire une repré­sen­ta­tion sché­ma­tique. Bien qu’il soit limi­té dans ses recon­nais­sances pour des rai­sons de sécu­ri­té, son objec­tif est de res­ti­tuer les élé­ments essen­tiels à la bonne conduite de l’intervention (struc­ture du bâti­ment, cir­cu­la­tions hori­zon­tales et ver­ti­cales, gaines tech­niques, puits de lumière, etc.). Pour amé­lio­rer sa visi­bi­li­té, il peut col­la­bo­rer avec un opé­ra­teur drone ou uti­li­ser le bras élé­va­teur aérien (BEA) pour obte­nir des vues aériennes. Les des­si­na­teurs opé­ra­tion­nels doivent four­nir leur repré­sen­ta­tion, en moins de 20 min afin que celle-ci devienne l’outil de tra­vail du COS. Le DO met son des­sin à dis­po­si­tion de l’officier PC pour l’ouverture du pre­mier point de situa­tion. Le des­sin opé­ra­tion­nel sera le docu­ment unique de ges­tion et de compte-ren­du tout au long de l’intervention. Il est ensuite par­ta­gé avec le COS et les autres acteurs pré­sents, accom­pa­gné d’ex­pli­ca­tions concises pour faci­li­ter la mise en relief du sinistre.

Et le DO post-opérationnel ?

Pour les sinistres cou­rants, le DO refait son des­sin à froid à son retour d’intervention. Et pour les inter­ven­tions com­plexes, néces­si­tant un retour d’expérience (RETEX) il retourne sur les lieux pour col­lec­ter des infor­ma­tions sup­plé­men­taires et faire des pho­tos afin de ren­sei­gner le RETEX et réa­li­ser
une modé­li­sa­tion 3D. Celle-ci offre une vue d’ensemble avec une ani­ma­tion per­met­tant de tour­ner autour du bâti­ment et de se concen­trer sur les par­ti­cu­la­ri­tés du sinistre. Au-delà de l’opérationnel, nous par­ti­ci­pons éga­le­ment à divers stages (FIO, OGC, Offi­cier PC, COS DSM)1 pour expli­quer notre rôle, nos méthodes de tra­vail, et com­ment tra­vailler avec nous.

Quel est le pro­fil d’un dessinateur ?

Nous recher­chons des sol­dats du feu ayant une bonne capa­ci­té de syn­thèse gra­phique, de visua­li­sa­tion dans l’espace (3D) ain­si qu’une aisance orale. Il est aus­si impor­tant que le DO res­pecte les règles de sécu­ri­té car tra­vaillant sou­vent seul et sans appa­reil res­pi­ra­toire iso­lant (ARI), il doit savoir que sa mis­sion s’arrête au des­sin, sans prise de risques supplémentaires.

Major, com­ment devient-on DO ?

Pour deve­nir DO, il faut d’a­bord être chef de garde incen­die. Un des­si­na­teur « opé » est avant tout un pom­pier, que l’on forme ensuite à deve­nir des­si­na­teur ! Le recru­te­ment se fait sur la base du volon­ta­riat, et la for­ma­tion se divise en deux modules. Le module DO1 se com­pose d’une pre­mière jour­née de stage où les pom­piers apprennent les bases du des­sin (pers­pec­tive, angles de vue, tech­niques). À l’issue de cette jour­née, les sta­giaires suivent un e‑learning de six semaines, au cours duquel ils réa­lisent huit dos­siers d’exercices pour pro­gres­ser. À la fin de ce pro­gramme, ils passent un exa­men avec des exer­cices sous contrainte de temps. Même si le pre­mier module est vali­dé la for­ma­tion se pour­suit par des exer­cices com­plé­men­taires qui per­met­tront aux can­di­dats de conti­nuer leur pro­gres­sion jusqu’au DO2. Nous sommes aus­si bien atten­tifs au poten­tiel qu’à la per­son­na­li­té du can­di­dat. Le module DO2 est un stage d’une semaine durant lequel les sta­giaires appro­fon­dissent leurs com­pé­tences en des­sin. Ils sont confron­tés à des cas concrets, en tenue de feu et dans des condi­tions réelles (recon­nais­sances de bâti­ments) avec contraintes de temps. À la fin de cette semaine, ils passent un exa­men de mise en situa­tion, ils devront faire un des­sin sur feuille A4 (20 min) puis sur tableau blanc (20 min) qu’ils devront expli­qués à un offi­cier du bureau qui joue­ra de rôle de l’officier PC, comme à l’ouverture du point de situa­tion et répondent à d’éventuelles ques­tions de l’examinateur. À l’issue de la for­ma­tion, ils sont titu­laires et aptes en tant que des­si­na­teur opé­ra­tion­nel. Dans un pre­mier temps, ils
décalent en dou­blure d’un DO expé­ri­men­té afin de par­faire leur maî­trise du métier, puis au bout de deux à trois mois, ils sont prêts à déca­ler seul.
La for­ma­tion peut sem­bler rapide, mais l’expérience s’acquiert très vite grâce à la den­si­té opé­ra­tion­nelle de la BSPP. En moyenne nous inter­ve­nons plus d’une fois par jour. Actuel­le­ment, la Bri­gade est la seule à dis­po­ser de des­si­na­teurs de garde, prêts à inter­ve­nir à T+0 ! Depuis 2023, la BSPP est en capa­ci­té de pro­po­ser son cur­sus d’enseignement aux autres pom­piers. Cette même année nous avons for­mé un pom­pier de la Moselle à Metz à notre spécialité.

Quelles sont les mis­sions sur les­quelles vous pou­vez être déclenché ?

Enga­gé majo­ri­tai­re­ment sur les incen­dies, nous sommes éga­le­ment pro­je­tés sur des explo­sions effon­dre­ments mais éga­le­ment sur des fuites d’eau très impor­tantes (quar­tier). L’objectif de la mis­sion c’est d’être au pro­fit du COS : un chef d’agrès peut deman­der notre déclen­che­ment dès lors qu’il le juge nécessaire.

Quels sont les évo­lu­tions pos­sibles du métier ?

L’avenir du métier s’oriente dans le pas­sage au des­sin numé­rique, mais cela néces­si­te­ra des adap­ta­tions tant dans le domaine de la for­ma­tion que sur le ter­rain. Le des­sin numé­rique offri­ra un ren­du gra­phique supé­rieur des infor­ma­tions récu­pé­rées sur intervention.

1 : For­ma­tion ini­tiale offi­cier, offi­cier garde com­pa­gnie, offi­cier poste de com­man­de­ment, com­man­dant
des opé­ra­tions de secours direc­teur des secours médi­caux.
2 : Dès le début du sinistre.


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