Histoire — À la BSPP, impossible de parler dessin opérationnel sans évoquer René Dosne. Alors dessinateur pour ALLO DIX-HUIT, il crée dans les années 1960 une méthode de schémas favorisant l’aide à la décision pour le COS. Pionnier en la matière, il a conçu et développé cet outil révolutionnaire. Cependant, on trouve dans les archives de la Brigade, les ancêtres de ces dessins opérationnels (DO), et ils remontent… au XIXe siècle !
Dans l’impressionnant fond comprenant les registres « feux et évènements », dont le premier date de 1839, on trouve, sur certaines feuilles intercalées, le récit synthétisant l’action de l’intervention. Ce dessin, produit par l’officier de garde, est une véritable ressource pour quiconque s’intéresse à l’histoire des sapeurs-pompiers de Paris. Conservés au sein des collections patrimoniales de la BSPP, ces derniers témoignent de la richesse de notre culture opérationnelle. C’est également pour nos dessinateurs opérationnels une mise en abyme de leur travail. La consultation de ces derniers et la constatation des évolutions graphiques offrent de nouvelles perspectives sur les méthodes employées. Il convient de préciser que ces dessins sont différents de ceux d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’un croquis à chaud de l’intervention, mais bien d’une modélisation a posteriori, dans le but d’illustrer un rapport. C’est une ressource qui associe différents éléments visuels afin de comprendre le cadre général, le contexte et le déroulé de l’intervention.
La plupart se présentent sous la forme de plans à plat, une vue du ciel de l’espace concerné par l’incendie. Quelques fois, les dessinateurs représentent une vue de face du bâtiment sinistré. Lorsque le feu est sur plusieurs niveaux, il est parfois compliqué de le montrer. Alors, certains utilisent une superposition de feuilles sur lesquelles figure l’espace de chaque étage. Toutefois, à la fin des années 1870, ils s’essayent à la « 3D », et optent pour une représentation des volumes.
Contrairement à notre époque contemporaine, le dessinateur n’est pas nécessairement un chef de garde expérimenté, rompu aux modes opératoires d’extinction. Ces officiers, pour la plupart de jeunes lieutenants, sont issus soit des écoles de formation, soit des régiments d’infanterie.
Un outil précieux
Néanmoins, ils peuvent s’appuyer sur une formation générale scientifique où les mathématiques, la géographie et l’architecture sont étudiées. Devenant ainsi de véritables spécialistes, leurs coupes longitudinales donnent autant d’indices sur les connaissances techniques des officiers du corps ; et révèlent aux yeux du lecteur les spécificités des constructions haussmanniennes.
Le dessin opérationnel est également un précieux outil pour l’historien. C’est une source primaire (document brut issu du passé) avec plusieurs niveaux de lecture. Ces illustrations permettent de retracer une histoire urbaine de Paris. Depuis Haussmann, le visage de la capitale évolue. Et à cette époque, les industries sont implantées au cœur des habitations. Le risque incendie et les dangers sont importants. C’est pourquoi, la préfecture de Police a tenté de contrôler cette activité industrielle, voire de la déplacer. De nombreux règlements concernant les établissements insalubres, incommodes et dangereux ont été édités. Ces archives donnent également de précieuses informations sur les matériels utilisés pour l’extinction des incendies. En historicisant ces renseignements visuels, l’historien est capable de raconter l’évolution des détachements partants au feu. Ci-contre, à une époque où les bouches incendies n’existent pas, ce sont des tonneaux porteurs d’eau qui alimentent les pompes à bras.
LE GOÛT DU ROUGE
Hormis l’objectif opérationnel clairement identifié de ces illustrations, bon nombre d’entre elles peuvent prétendre au statut d’œuvre d’art. Qu’elles soient réalisées au crayon, à la plume ou au pinceau fin, certaines mettent en lumière le talent des dessinateurs.
Une couleur apparaît, comme par coutume sur tous ces dessins. Le rouge représente l’ennemi du sapeur-pompier : le feu. Cela dit, la fibre artistique pousse nos dessinateurs à développer un esthétisme particulièrement convainquant.
Et parfois, comme sur une carte aux trésors, on y trouve de véritables pépites. Il suffit d’ouvrir grands les yeux et de chercher ces petits détails, bien souvent noyés dans le reste de la feuille. Comme la représentation d’une lance d’attaque sur une grande échelle de sauvetage, l’alimentation d’une pompe à vapeur dans un batardeau (retenue d’eau), ou encore le détail accordé aux machineries d’un atelier en feu.