DÉCOUVERTE — L’autre histoire du dessin opérationnel

Damien Gre­nèche —  — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 08 h 49 

Histoire — À la BSPP, impossible de parler dessin opérationnel sans évoquer René Dosne. Alors dessinateur pour ALLO DIX-HUIT, il crée dans les années 1960 une méthode de schémas favorisant l’aide à la décision pour le COS. Pionnier en la matière, il a conçu et développé cet outil révolutionnaire. Cependant, on trouve dans les archives de la Brigade, les ancêtres de ces dessins opérationnels (DO), et ils remontent… au XIXe siècle !

Dans l’impressionnant fond com­pre­nant les registres « feux et évè­ne­ments », dont le pre­mier date de 1839, on trouve, sur cer­taines feuilles inter­ca­lées, le récit syn­thé­ti­sant l’action de l’intervention. Ce des­sin, pro­duit par l’officier de garde, est une véri­table res­source pour qui­conque s’intéresse à l’histoire des sapeurs-pom­piers de Paris. Conser­vés au sein des col­lec­tions patri­mo­niales de la BSPP, ces der­niers témoignent de la richesse de notre culture opé­ra­tion­nelle. C’est éga­le­ment pour nos des­si­na­teurs opé­ra­tion­nels une mise en abyme de leur tra­vail. La consul­ta­tion de ces der­niers et la consta­ta­tion des évo­lu­tions gra­phiques offrent de nou­velles pers­pec­tives sur les méthodes employées. Il convient de pré­ci­ser que ces des­sins sont dif­fé­rents de ceux d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’un cro­quis à chaud de l’intervention, mais bien d’une modé­li­sa­tion a pos­te­rio­ri, dans le but d’illustrer un rap­port. C’est une res­source qui asso­cie dif­fé­rents élé­ments visuels afin de com­prendre le cadre géné­ral, le contexte et le dérou­lé de l’intervention.

La plu­part se pré­sentent sous la forme de plans à plat, une vue du ciel de l’espace concer­né par l’incendie. Quelques fois, les des­si­na­teurs repré­sentent une vue de face du bâti­ment sinis­tré. Lorsque le feu est sur plu­sieurs niveaux, il est par­fois com­pli­qué de le mon­trer. Alors, cer­tains uti­lisent une super­po­si­tion de feuilles sur les­quelles figure l’espace de chaque étage. Tou­te­fois, à la fin des années 1870, ils s’essayent à la « 3D », et optent pour une repré­sen­ta­tion des volumes.
Contrai­re­ment à notre époque contem­po­raine, le des­si­na­teur n’est pas néces­sai­re­ment un chef de garde expé­ri­men­té, rom­pu aux modes opé­ra­toires d’extinction. Ces offi­ciers, pour la plu­part de jeunes lieu­te­nants, sont issus soit des écoles de for­ma­tion, soit des régi­ments d’infanterie.

Feu dans une fabrique de caoutchouc

Un outil précieux

Néan­moins, ils peuvent s’appuyer sur une for­ma­tion géné­rale scien­ti­fique où les mathé­ma­tiques, la géo­gra­phie et l’architecture sont étu­diées. Deve­nant ain­si de véri­tables spé­cia­listes, leurs coupes lon­gi­tu­di­nales donnent autant d’indices sur les connais­sances tech­niques des offi­ciers du corps ; et révèlent aux yeux du lec­teur les spé­ci­fi­ci­tés des construc­tions haussmanniennes.

Le des­sin opé­ra­tion­nel est éga­le­ment un pré­cieux outil pour l’historien. C’est une source pri­maire (docu­ment brut issu du pas­sé) avec plu­sieurs niveaux de lec­ture. Ces illus­tra­tions per­mettent de retra­cer une his­toire urbaine de Paris. Depuis Hauss­mann, le visage de la capi­tale évo­lue. Et à cette époque, les indus­tries sont implan­tées au cœur des habi­ta­tions. Le risque incen­die et les dan­gers sont impor­tants. C’est pour­quoi, la pré­fec­ture de Police a ten­té de contrô­ler cette acti­vi­té indus­trielle, voire de la dépla­cer. De nom­breux règle­ments concer­nant les éta­blis­se­ments insa­lubres, incom­modes et dan­ge­reux ont été édi­tés. Ces archives donnent éga­le­ment de pré­cieuses infor­ma­tions sur les maté­riels uti­li­sés pour l’extinction des incen­dies. En his­to­ri­ci­sant ces ren­sei­gne­ments visuels, l’historien est capable de racon­ter l’évolution des déta­che­ments par­tants au feu. Ci-contre, à une époque où les bouches incen­dies n’existent pas, ce sont des ton­neaux por­teurs d’eau qui ali­mentent les pompes à bras.

LE GOÛT DU ROUGE
Hor­mis l’objectif opé­ra­tion­nel clai­re­ment iden­ti­fié de ces illus­tra­tions, bon nombre d’entre elles peuvent pré­tendre au sta­tut d’œuvre d’art. Qu’elles soient réa­li­sées au crayon, à la plume ou au pin­ceau fin, cer­taines mettent en lumière le talent des dessinateurs.

Une cou­leur appa­raît, comme par cou­tume sur tous ces des­sins. Le rouge repré­sente l’ennemi du sapeur-pom­pier : le feu. Cela dit, la fibre artis­tique pousse nos des­si­na­teurs à déve­lop­per un esthé­tisme par­ti­cu­liè­re­ment convain­quant.
Et par­fois, comme sur une carte aux tré­sors, on y trouve de véri­tables pépites. Il suf­fit d’ouvrir grands les yeux et de cher­cher ces petits détails, bien sou­vent noyés dans le reste de la feuille. Comme la repré­sen­ta­tion d’une lance d’attaque sur une grande échelle de sau­ve­tage, l’alimentation d’une pompe à vapeur dans un batar­deau (rete­nue d’eau), ou encore le détail accor­dé aux machi­ne­ries d’un ate­lier en feu.


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