DÉTACHEMENTS (2/​3) — Assemblée nationale : protéger la maison du peuple

Har­ry Cou­vin —  — Modi­fiée le 12 février 2025 à 05 h 11 

Grands formats — Nous avons passé une journée entière avec le détachement de la 41e compagnie du GAS à l’Assemblée nationale. La manière idéale de comprendre le fonctionnement de ce groupe dans un univers bien particulier.

Nous ne sommes pas chez nous ici, nous confie le chef de bataillon Erwan Hamo­nic, chef du déta­che­ment de sapeurs-pom­piers de Paris à l’Assemblée natio­nale. Nous devons être le plus dis­crets pos­sible. » En effet, la mai­son du peuple fran­çais grouille d’activité : dépu­tés, assis­tants par­le­men­taires, groupes de visi­teurs, jour­na­listes, sur­veillants, ouvriers s’y croisent dans les cou­loirs et les halls, s’y parlent et s’y retrouvent. À titre de pro­por­tion, sachez que l’Assemblée natio­nale pos­sède son propre bureau de poste et le ser­vice de tri est équi­valent à celui d’une ville comme Rouen (Seine-Mari­time, 115 000 habi­tants). Dans ces cir­cons­tances, les pom­piers se trouvent sou­vent dans leur PC, situé juste sous l’hémicycle. Ils y sur­veillent les quelque 15 hec­tares (l’équivalent de quinze ter­rains de foot­ball) de leur sec­teur immo­bi­lier, qui s’étend sur plu­sieurs niveaux et dif­fé­rents styles d’architecture où sont répar­tis envi­ron 8 000 détec­teurs de fumée.

En per­pé­tuel chan­tier. Le Palais Bour­bon et l’Hôtel de Las­say, où se situent les appar­te­ments de la pré­si­dente de l’Assemblée natio­nale, datent du début du XVIIIe siècle. Des tra­vaux de réno­va­tion y sont néces­saires, mais demandent plus de pré­cau­tions et donc de temps. Ils pré­sentent éga­le­ment plus de dan­gers que la moyenne. Pour exemple, la grande biblio­thèque, qui subit une réno­va­tion com­plète, est un chan­tier que nous avons visi­té. Dès que nous entrons sous les bâches d’isolation, une odeur de bois nous enva­hit. Tous les maté­riaux uti­li­sés, comme les colles et les sol­vants, peuvent deve­nir une source poten­tielle d’incendie. Chaque chan­tier fait donc l’objet d’une demande de per­mis préa­lable auprès du déta­che­ment. Le nombre et l’ampleur de ces demandes sont impres­sion­nants : il peut y en avoir jusqu’à 30 par jour et plus de 4 000 par an.

Se repé­rer. Par consé­quent, la pré­ven­tion et la sur­veillance consti­tuent des tâches quo­ti­diennes pour nos pom­piers. Ils sont vingt et un au déta­che­ment pour sept de garde par jour. Leur jour­née de tra­vail est simi­laire à celle de la caserne d’incendie. Ils se ras­semblent, font de l’exercice, puis com­mencent leur tour de garde du matin et leur manœuvre. Par­mi leurs pré­oc­cu­pa­tions opé­ra­tion­nelles, la recon­nais­sance des lieux demeure leur prio­ri­té. « Ici, encore plus qu’en com­pa­gnie « clas­sique », chaque pom­pier doit pos­sé­der une bonne connais­sance du sec­teur, sou­ligne le ser­gent-chef Jérôme Ihuel, fraî­che­ment arri­vé. En cas d’urgence, nous devons inter­ve­nir en quelques minutes, peu importe la loca­li­sa­tion sur le site. » En effet, en déam­bu­lant avec nos sol­dats du feu, on s’aperçoit rapi­de­ment de la dif­fi­cul­té. Les cou­loirs et les portes, qui semblent iden­tiques à pre­mière vue, peuvent par­fois mener à des des­ti­na­tions com­plè­te­ment dif­fé­rentes. Après quelques allées et venues, en fin de mati­née, nous réus­sis­sons enfin à nous orien­ter vers l’hémicycle. Cepen­dant, pour le reste…

Dédale. Un laby­rinthe de quinze hec­tares avec des pas­sages pas tou­jours simples, comme les petites portes qui déli­mitent les dif­fé­rentes par­ties de la tri­bune des spec­ta­teurs. L’Assemblée est vrai­ment un ERP pas comme les autres ! En effet, pour res­pec­ter les règles en vigueur, des modi­fi­ca­tions sont actuel­le­ment appor­tées, en par­ti­cu­lier pour les per­sonnes à mobi­li­té réduite. Cette pré­oc­cu­pa­tion n’était pas envi­sa­geable lors de la construc­tion du Palais Bour­bon. Pour­tant, les archi­tectes ont trou­vé une solu­tion ingé­nieuse en exploi­tant un espace de construc­tion exis­tant depuis que la façade de l’édifice a été ali­gnée sur l’église de la Made­leine au début du XIXe siècle. Une fois de plus, il s’agit d’un pro­jet hors du com­mun qui com­porte des risques considérables.

Pom­piers inter­dits pen­dant la séance. L’hémicycle, haut lieu de la poli­tique de notre pays, est un endroit très sen­sible où les sapeurs-pom­piers ne doivent pas inter­ve­nir lorsque les dépu­tés y tiennent séance. Par consé­quent, des exer­cices de ges­tion et d’évacuation des vic­times sont régu­liè­re­ment orga­ni­sés pour for­mer les huis­siers. Si cela est pos­sible, ils devront sor­tir la vic­time de la salle vers les espaces exté­rieurs, où les pom­piers pren­dront le relais. Si le nombre d’interventions du déta­che­ment ne peut riva­li­ser avec celui d’une com­pa­gnie d’incendie clas­sique, il a tout de même trai­té 175 secours à vic­times cette année. De plus, un déclen­che­ment quo­ti­dien d’alarme incen­die est mal­heu­reu­se­ment mon­naie cou­rante. Néan­moins, il faut par­fois réagir très rapi­de­ment, comme c’était le cas il y a quelques semaines lors d’une tem­pête sur la Capi­tale. Une inon­da­tion a détruit plu­sieurs sous-sols, dont une des salles de com­mis­sions. Le pro­fes­sion­na­lisme des pom­piers a per­mis de limi­ter les dégâts face à un déluge d’eau se déver­sant d’étage en étage… « Nous ne sommes pas dans le même esprit que lorsque nous étions en CS, car notre entou­rage est dif­fé­rent, et c’est bien aus­si de ne pas être qu’entre pom­piers », affirme le ser­gent-chef Bap­tiste Leduc. 

Des pom­piers d’ex­pé­rience. Les pom­piers du déta­che­ment ont tous plus de dix ans d’expérience, sont tous des pères de famille et sont donc plus mûrs. Ils font face à des fonc­tion­naires de l’Assemblée, dont la moyenne d’âge est de cin­quante ans, par­mi eux, plu­sieurs sont d’anciens de la BSPP. Après le déjeu­ner, les sol­dats s’offent une pause en regar­dant le jour­nal télé­vi­sé de 13 heures sur TF1. « Dans le cli­mat actuel, il est essen­tiel de se tenir infor­més, en par­ti­cu­lier sur les déve­lop­pe­ments poli­tiques majeurs », nous rap­pelle l’adjudant-chef Sté­phane Zla­manc­zuk, adjoint du com­man­dant. Dans l’après-midi, nous assis­tons à une séance de for­ma­tion aux gestes qui sauvent dans un bureau non loin de la salle des Pas per­dus. L’un de nos pom­piers de garde dirige l’exercice. « C’est une part impor­tante de notre action sur le site », nous explique l’adjudant-chef. Les sta­giaires repartent avec un diplôme. De tous les déta­che­ments, celui de l’Assemblée natio­nale est par­mi les plus sécu­liers. « Les pom­piers qui ter­minent leur car­rière peuvent y pré­pa­rer leur recon­ver­sion de façon opti­male, et la col­la­bo­ra­tion quo­ti­dienne avec le per­son­nel civil les aide énor­mé­ment, » conclut le sous-officier.

Texte Harry Couvin — Photographies Sergent-chef Nicholas Bady

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