Grands formats — Il n’y a pas si longtemps, le stationnaire appuyait sur les touches ALT et F2, puis deux fois sur Entrée pour valider un ordre de départ. Aujourd’hui, le data est partout. D’un côté, trois informaticiens chevronnés nous rafraîchissent la mémoire… vive. De l’autre la nouvelle génération arrive en force.
Génération 90 informatique et…
Ils ont, tous les trois œuvré dans les service informatiques de la Brigade dans les années 90… CTRL+Z sur cette époque.
À votre incorporation, comment fonctionnait la Brigade sur le plan numérique ?
Major Cédric Patte : Dans les années 1990, l’accès à l’outil informatique se développait, mais restait relativement confidentiel, destiné essentiellement au chef de centre ou à l’adjudant d’unité pour la partie administrative et aux services centraux pour la gestion des personnels, des biens et des matériels. Les ordinateurs étaient à l’époque des Intel 486, bien loin des standards actuels et le réseau intranet n’existait pas encore.
Major Étienne Bocage : En 1997, SYNTIA est le Système d’information opérationnelle et de commandement (SIOC) : un clavier, un écran cathodique monochrome de moins de 15 pouces, une imprimante, et c’est tout. La connexion entre sites se fait sur le réseau des lignes téléphoniques analogiques via des modems dont il faut régler les fréquences et intensités pour qu’ils « s’accrochent ». On parle de transmission de débit filaire de 56Kb/s, au mieux, soit 18 000 fois moins rapide que la fibre optique à plus d’1Gb/s… 1 Mo est téléchargé en plus de deux minutes !
Adjudant-chef Mickaël Perrin : C’était déjà le temps de l’adaptation, de la remise en cause et de la débrouillardise. On réparait même les téléphones, les télévisions et les radios avec des pièces détachées récupérées ici ou là. D’ailleurs, c’était souvent le travail des appelés. Il n’y avait pas de smartphone… Les bilans étaient passés depuis le téléphone du domicile du requérant ou depuis la cabine téléphonique de la rue…
Major Étienne Bocage : Le téléphone portable est encore trop onéreux pour être généralisé, les smartphones n’existent pas, Internet n’a pas intégré les foyers, et c’est tout juste si les PC sont abordables, sous Windows 95… Le wifi n’existe pas, les réseaux IP sont anecdotiques, donc pas de transmission de data sur les radios ou les téléphones, juste de la phonie sur des supports en cuivre. Pas d’Internet, donc encore moins d’intranet : les bureaux foyer ou ordinaire réalisent les « fins de mois » sur les quelques ordinateurs disponibles et enregistrent le travail sur des disquettes de 5,25 pouces avant de les envoyer par portefeuille au service centralisant la gestion !
Quelles sont, selon vous, les évolutions les plus importantes et/ou remarquables de ces dernières années ?
Major Cédric Patte : Il est tout à fait remarquable que la BSPP ait su cultiver sa capacité interne de création logicielle et d’administration de ses systèmes, alors que le mouvement naturel des entreprises, voire des administrations, tend à confier cette capacité à des éditeurs du secteur privé. La plupart de nos gros systèmes informatiques ont été réalisés par des pompiers de Paris pour des pompiers de Paris et nous en gardons encore aujourd’hui la maîtrise.
Adjudant-chef Mickaël Perrin : La plus grande évolution, c’est la place qu’il occupe. Qui peut maintenant se passer du numérique ? Un des exemples les plus flagrants, c’est la mise en place du télétravail pendant la période COVID. Cette place prédominante nécessite une interopérabilité des systèmes. Tout se concentre dorénavant autour du réseau. Aujourd’hui, une prise réseau peut accueillir soit de la téléphonie, soit un PC, voire la radio et les sonneries de feu. Nous sommes passés de la téléphonie « à papa », à la téléphonie sous IP (Internet Protocol) et bientôt,
à la virtualisation.
Major Cédric Patte : L’expérience utilisateur du sapeur-pompier est devenue le cœur des préoccupations. Il s’agit de rationaliser les processus et de simplifier les procédures administratives afin d’améliorer notre efficience collective. Le projet de guichet unique, dont la vocation est de centraliser les demandes, va dans ce sens. De même, la Fabrique Digitale continue à démontrer sa capacité à répondre rapidement aux nombreuses attentes opérationnelles et administratives de nos entités. Les technologies employées sont des dernières générations, notre réseau est rapide, notre infrastructure est sécurisée et nos techniciens restent motivés à répondre aux challenges qui se présentent.
Comment voyez-vous le futur de la Brigade sur le plan numérique ?
Major Cédric Patte : Une nouvelle étape arrive bientôt avec l’adoption de NEXSIS, qui doit succéder à ADAGIO. Ce système n’étant pas développé par ses équipes internes, après les 30 années de maîtrise complète de son outil informatique opérationnelle, la BSPP fait un peu un saut dans l’inconnu. Cependant, les enjeux restent les mêmes et les impacts sur notre organisation, s’ils sont inévitables, démontreront une fois de plus, notre capacité d’adaptation.
Major Étienne Bocage : Le futur proche pourrait voir l’avènement de vidéoconférences entre le requérant et l’opérateur pour mieux évaluer la situation et conseiller le demandeur. La prise en compte de l’intelligence artificielle est aussi incontournable. Je vois quelques exemples de ce que l’IA pourrait apporter ou consolider. En téléphonie, le débruitage des appels 18⁄112 accidentels ou la traduction d’un discours en langue étrangère ou peu audible…
Adjudant-chef Mickaël Perrin : Le futur sur le plan numérique, c’est la simplification et de la souplesse pour l’utilisateur et par conséquent, encore plus d’interopérabilité et toujours plus d’innovation. Interopérable : c’est la transmission des informations avec chaque acteur de la sécurité civile : pompiers, SAMU, police. En résumé : le projet NEXSIS. Souplesse, simplification : c’est le nomadisme, un PC portable, une tablette et depuis n’importe où, nous avons accès à notre espace de travail et aux applications métiers. Innovation : nous sommes, comme nos camarades de l’armée de Terre, dans la NEB, la numérisation de l’espace de bataille !
… Digital XXIe siècle !
À 23 ans seulement, le sapeur de première classe Williams a déjà fait un long chemin, de sa Guadeloupe natale aux arcanes numériques de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Portrait.
J’ai grandi à Petit-Bourg, en Guadeloupe, confie le sapeur de première classe Williams. J’ai passé toute ma vie en outre-mer : l’école, le sport, les amis, la famille… Tout. Mais j’ai été très bien reçu à la Brigade et en métropole. »
En Guadeloupe, Williams se passionne pour le football et l’informatique, obtient son Brevet de technicien supérieur (BTS) en Services informatiques aux organisations (SIO) et se spécialise en réseau. « Je n’avais jamais pensé à devenir pompier, admet Williams. Un jour, j’ai vu une annonce de la Brigade sur le réseau social Instagram et je me suis dit : pourquoi pas ? J’ai vu que la Brigade recrutait des informaticiens, avec mon BTS comme minimum requis, alors j’ai postulé… Et ils m’ont rappelé le lendemain ! » Le mois suivant, Williams était sapeur-pompier de Paris. « Tout a été très vite ! Le CIRFA [1] m’a pris en charge à l’aéroport des Abymes en Guadeloupe, et les formateurs de la BSPP m’ont réceptionnés à l’aéroport, à Paris. J’avais de l’appréhension, mais j’ai été très bien accompagné. »
Le sapeur est incorporé en juin 2022 en tant que spécialiste Systèmes information et communication dans la filière télécommunication et réseaux. Informaticien, le jeune a logiquement été affecté à la Compagnie de télécommunications et informatique (CTI). « Je suis au groupe Soutien des matériels informatiques (SMI) de la section soutien informatique de la CTI, annonce fièrement Williams.
J’ai commencé par des petits dépannages, des installations d’unité centrale ou d’imprimante, ou encore de la masterisation. C’est-à-dire la préparation des postes informatiques, en fonction des séquences de tâches liées au déploiement des logiciels… » Aucun doute, c’est un métier. Récemment, le sapeur de première classe a été affecté à la cellule administration du parc de la SMI. Il supervise les serveurs d’impressions, les PC SINUS et depuis peu, les PC nomades. « Mon métier me plaît parce que je fais ce que j’aime : l’informatique. Et surtout, j’ai le sentiment d’être utile. » Aucun doute non plus : nos informaticiens sont essentiels au bon fonctionnement de la Brigade et de toute la chaîne de départ des secours.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, Williams est à Agen, en formation d’adaptation complémentaire qualifiante (FACQ), afin d’obtenir son Certificat technique élémentaire (CTE). Associé au Certificat militaire élémentaire (CME), son CTE lui permettra d’obtenir le grade de caporal, puis de caporal-chef.
« Pour l’instant, j’avance », confie Williams. Nous lui souhaitons d’aller le plus loin possible
1 : Centre d’information et de recrutement des forces armées.