DOSSIER — La récupération du sapeur-pompier (1/​4)

 — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 09 h 14 

Grands formats — À la fois physique et psychologique, la récupération est un maillon essentiel pour préserver le bien-être et la capacité opérationnelle du pompier de Paris, parfois soumis à une charge de travail soutenue. Découvrez tous les aspects de cette remise en condition en quatre épisodes. 

LA RɍCUPERATION SOUS TOUTES SES FORMES

Sport, sommeil, travail… Nous entendons régulièrement parler de récupération, mais il est difficile d’en donner une définition précise. À juste titre, car la récupération peut prendre différentes formes.

à la Bri­gade, la récu­pé­ra­tion est un enjeu cru­cial. Il s’agit d’un pro­ces­sus essen­tiel visant à per­mettre aux pom­piers de se recon­di­tion­ner phy­si­que­ment et psy­cho­lo­gi­que­ment après des inter­ven­tions exi­geantes et stres­santes. Elle vise à pré­ser­ver leur bien-être et leur capa­ci­té opé­ra­tion­nelle, sans alté­rer la ges­tion des évé­ne­ments dans leur par­cours de vie.

Une récu­pé­ra­tion phy­sique. Por­ter une tenue de feu et un appa­reil res­pi­ra­toire iso­lant dans des condi­tions ther­miques extrêmes n’est pas de tout repos et peut alté­rer l’organisme du sapeur-pom­pier. La récu­pé­ra­tion phy­sique doit com­men­cer pen­dant l’intervention. Pour cela, le pom­pier peut comp­ter sur la Zone de remise en condi­tion du per­son­nel (ZRCP) où est sta­tion­né un Véhi­cule de remise en condi­tion du per­son­nel (VRCP).
Des tech­niques sont en cours de mise en place pour ancrer la récu­pé­ra­tion, notion par­fois négli­gée, dans le par­cours du sapeur-pom­pier de Paris. Il s’agit du pro­gramme d’Optimisation des res­sources des forces armées (ORFA) per­met­tant aux pom­piers de mobi­li­ser à bon escient leurs res­sources phy­siques, mais éga­le­ment psychologiques.

Une récu­pé­ra­tion psy­cho­lo­gique. L’accompagnement des psy­cho­logues consti­tue un appui pour la récu­pé­ra­tion des sapeurs-pom­piers après des inter­ven­tions stres­santes ou trau­ma­ti­santes. Ils offrent un sou­tien et un sui­vi pro­lon­gé si néces­saire. Une com­pré­hen­sion col­lec­tive des enjeux psy­cho­lo­giques et la créa­tion d’un envi­ron­ne­ment de tra­vail encou­ra­geant la récu­pé­ra­tion leur per­mettent de pré­ser­ver leur bien-être et de pro­fi­ter plei­ne­ment de leur vie per­son­nelle et fami­liale.
La vie en caserne, et plus par­ti­cu­liè­re­ment la bien­veillance et l’écoute, favo­risent éga­le­ment la récu­pé­ra­tion. À l’issue d’une inter­ven­tion com­pli­quée, un defu­sing est mis en place pour que chaque pom­pier ayant par­ti­ci­pé aux opé­ra­tions puisse par­ta­ger et ver­ba­li­ser son res­sen­ti.
Qu’elle soit psy­cho­lo­gique ou phy­sique, la récu­pé­ra­tion est capi­tale pour accom­pa­gner le pom­pier de Paris tout au long de sa carrière.

Manon Peneaud


LA DETTE DE SOMMEIL

La BSPP s’est engagée depuis plusieurs années, avec l’aide de l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) à améliorer, malgré une sollicitation toujours plus intense, la récupération physiologique de son personnel. Explications.

Les consé­quences phy­sio­lo­giques de la dette de som­meil sont mul­tiples. À court terme : troubles de l’attention, de la concen­tra­tion et de l’humeur ; à moyen terme : réper­cus­sions sur le sys­tème immu­ni­taire et hor­mo­nal ; à long terme : aug­men­ta­tion des risques car­dio-vas­cu­laires (hyper­ten­sion arté­rielle), des risques psy­chiques (syn­drome dépres­sif, syn­drome post-trau­ma­tique) et des risques can­cé­ri­gènes (can­cer du sein chez la femme notam­ment). L’IRBA et la BSPP tra­vaillent de concert depuis 2015 pour éva­luer l’état de fatigue du per­son­nel de la Bri­gade et pro­po­ser des mesures correctrices.

Études sur le som­meil. Des pre­miers tra­vaux menés en 2015 mettent en évi­dence une hyper­som­no­lence pour 20 % du per­son­nel inter­ro­gé en Visite médi­cale pério­dique (VMP). Cela confirme les résul­tats de dif­fé­rentes études inter­na­tio­nales rap­por­tant un taux de som­no­lence diurne exces­sive variable de 14 à 42 % chez les pom­piers et secou­ristes. En 2018, une étude pros­pec­tive avec acti­mètres et agen­da du som­meil a per­mis de réa­li­ser un état du rythme veille-som­meil opé­ra­tion­nel. Une étape néces­saire puisqu’une nou­velle thèse confirme, en 2019, la forte pré­va­lence de troubles du som­meil impac­tant l’état phy­sio­lo­gique des sapeurs-pom­piers et leur acti­vi­té opé­ra­tion­nelle.
Pre­mières appli­ca­tions. Suite aux résul­tats de ces études, les pre­mières mesures d’une poli­tique de ges­tion ont été ini­tiées dès 2019 sous l’impulsion du com­man­de­ment BSPP : déclen­che­ment par STRADA dans les Véhi­cule de secours et d’assistances aux vic­times (VSAV), ins­ti­tu­tion dans la mesure du pos­sible de siestes opé­ra­tion­nelles per­met­tant de res­tau­rer la concen­tra­tion et l’attention (une durée de 15 à 20 minutes per­met une récu­pé­ra­tion signi­fi­ca­tive tout en évi­tant un éveil confu­sion­nel cau­sé par un som­meil lent et pro­fond), pro­jets d’infrastructures pour pré­ser­ver la récu­pé­ra­tion (chambre « Hiboux » notam­ment) et for­ma­tion d’instructeurs, puis à terme, de moni­teurs d’Optimisation des res­sources des forces armées (ORFA, voir page 44) par l’IRBA au pro­fit de la BSPP.

Vigi­lance ! Néan­moins, la pré­ven­tion de la fatigue est éga­le­ment indi­vi­duelle et cer­taines pré­cau­tions peuvent s’avérer par­ti­cu­liè­re­ment utiles. Dans la mesure du pos­sible à domi­cile, une anti­ci­pa­tion de la future garde peut-être réa­li­sée : l’allongement de trente minutes à une heure de la durée des périodes de som­meil dans les jours pré­cé­dant la garde aug­men­te­ra très signi­fi­ca­ti­ve­ment la résis­tance au som­meil pen­dant la garde. La consom­ma­tion de café est éga­le­ment à limi­ter en dehors des gardes afin de gar­der un effet sti­mu­lant pen­dant les périodes opé­ra­tion­nelles. Enfin, l’exposition aux écrans doit être limi­tée le soir, afin de ne pas per­tur­ber la sécré­tion de méla­to­nine et la phase d’endormissement.
La nature des mis­sions confiées à la Bri­gade, la forte sol­li­ci­ta­tion, mais aus­si l’exigence de qua­li­té de nos réponses opé­ra­tion­nelles et l’attention por­tée à la san­té de chaque pom­pier jus­ti­fient l’effort déployé depuis plu­sieurs années sur les sujets du som­meil et de la récu­pé­ra­tion phy­sio­lo­gique. Les mesures pré­co­ni­sées par l’IRBA et vou­lues par le com­man­de­ment doivent être connues de tous et reprises au plan indi­vi­duel et col­lec­tif, avant, pen­dant et après les gardes. 

Texte : Méde­cin en chef Cathe­rine Louyot


ORFA, DES TECHNIQUES INÉDITES

L’ORFA (Opti­mi­sa­tion des res­sources des forces armées) est un ensemble de tech­niques mis en place pour le sol­dat. Elle balaye un champ d’action large, mais la récu­pé­ra­tion est un des points impor­tants du dispositif.

L’ORFA, dans le cadre de la récu­pé­ra­tion, per­met aux pom­piers de mobi­li­ser à bon escient leurs res­sources phy­siques et psy­cho­lo­giques pour se remettre d’appoint rapi­de­ment. Le sys­tème ORFA peut jouer un rôle notable dans la ges­tion du stress opé­ra­tion­nel. Sou­vent de nature phy­sique avec la fatigue, ce stress peut rapi­de­ment deve­nir psy­cho­lo­gique. L’ORFA per­met d’améliorer la récu­pé­ra­tion et la décom­pres­sion après une sur­charge opé­ra­tion­nelle. Il s’agit d’une approche pré­ven­tive. Il est avant tout essen­tiel d’agir avant que le pro­blème n’intervienne. Les tech­niques ensei­gnées aux pom­piers sont conçues pour être inté­grées à leur quo­ti­dien en toute autonomie.

Spé­cia­liste de l’ORFA. Le major Ber­trand Bon­net, réfé­rent Entraî­ne­ment phy­sique mili­taire et spor­tif (EPMS) au Bureau ingé­nie­rie et for­ma­tion (BIF) détient la qua­li­fi­ca­tion la plus éle­vée dans le cur­sus de l’ORFA. Il œuvre, au côté du com­man­de­ment et du corps médi­cal, pour mettre en place ce sys­tème au pro­fit des pom­piers de Paris. « L’objectif de l’ORFA est d’apporter à l’individu un bien-être ponc­tuel et sur­tout de l’acclimater aux tech­niques de détente », explique le major Bon­net. Par exemple, le rythme de tra­vail des pom­piers peut entraî­ner des troubles du som­meil. L’ORFA va per­mettre de pro­di­guer des tech­niques pour s’endormir plus rapi­de­ment.
Les psy­cho­logues ont éga­le­ment mis en place une méthode basée sur la sophro­lo­gie. Le mili­taire est ame­né dans un état de détente sans pour autant quit­ter le ter­rain opé­ra­tion­nel. En effet, l’ORFA doit être appli­cable en tout lieu.
Géné­ra­li­ser l’ORFA. His­to­ri­que­ment, l’Institut de recherche bio­mé­di­cale des armées (l’IRBA) a mené une étude à la Bri­gade sur le som­meil et la récu­pé­ra­tion pour y appor­ter des solu­tions. En paral­lèle, le pre­mier Grou­pe­ment d’incendie et de secours (GIS), sous l’impulsion du colo­nel Baillé, a mis en place, dès 2019, des mesures des­ti­nées à favo­ri­ser la récu­pé­ra­tion du per­son­nel. Par exemple, les locaux de cer­tains centres de secours ont été réamé­na­gés, de manière à s’isoler des bruits ren­con­trés en caserne, afin de pou­voir faire une sieste opé­ra­tion­nelle le midi. L’ORFA tend à démo­cra­ti­ser ces ini­tia­tives à l’échelle de la Bri­gade. Les pre­miers retours des per­sonnes ayant tes­té l’ORFA sont una­nimes : toutes ont appré­cié. Déployées à l’échelle des armées, les ORFA se déve­loppent pro­gres­si­ve­ment. La Bri­gade est actuel­le­ment en phase d’expérimentation. Il faut main­te­nant péren­ni­ser ces tech­niques sur l’ensemble de la BSPP. Plu­sieurs moni­teurs ORFA pro­posent des séances ponc­tuelles, essen­tiel­le­ment auprès des jeunes en for­ma­tion et des centres de secours qui en font la demande.

Pers­pec­tives. « À l’avenir, l’idéal serait de pro­po­ser une for­ma­tion ini­tiale sur les ORFA à toutes les recrues pas­sant par le Grou­pe­ment for­ma­tion ins­truc­tion et de secours (GFIS) » aspire le major Bon­net. Pour les plus anciens qui n’auraient pas reçu de for­ma­tion au GFIS, les moni­teurs ORFA inter­vien­dront dans les centres de secours afin de for­mer un maxi­mum de per­sonnes.
À terme, l’objectif de l’ORFA est de faire par­tie inté­grante du quo­ti­dien du pom­pier afin qu’il puisse, en par­faite auto­no­mie, gérer son stress opé­ra­tion­nel, mais aus­si familial. 

Texte : Manon Peneaud



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