#BrigadeInside — Depuis deux ans, la BSPP expérimente la prise en compte du facteur humain opérationnel. Si certaines petites erreurs ou oublis du quotidien ne portent pas à conséquence, ils peuvent être catastrophiques sur intervention… Allo18.fr fait le point.
L’erreur est humaine… Certes. Fort heureusement, les petites erreurs du quotidien sont, le plus souvent, sans gravité. Se tromper de numéro de téléphone, envoyer un email sans sa pièce jointe ou encore oublier de passer à la boulangerie pour acheter du pain n’aura généralement pas d’incidence trop fâcheuse… Mais certaines erreurs peuvent avoir des conséquences bien plus graves. Prenons l’exemple d’un pilote d’avion : si le commandant de bord commet une erreur de pilotage ou de jugement, une imprudence, qu’il manque de vigilance ou interprète un fait de façon erronée, sa maladresse peut entraîner la mort de plusieurs dizaines de personnes.
Quel est le point commun entre toutes les erreurs de notre commandant de bord ? Le facteur humain. Dans les exemples cités, il n’est pas question d’une défaillance technique ni de la survenue d’un événement extérieur, mais bien d’une erreur humaine. Maintenant, posons-nous la question : une erreur d’un chef d’agrès, d’un commandant des opérations de secours ou, plus simplement, d’un seul sapeur-pompier, peut-elle aussi avoir de graves conséquences ? La réponse est oui.
Dans le BSP 200.21…
Bien plus que le citoyen lambda, le pompier de Paris n’aime pas commettre d’erreurs. Encore moins en intervention, surtout lorsqu’elle engage la sécurité des intervenants ou de la population. C’est alors qu’intervient le facteur humain. Le BSP 200.21 RETEX le définit comme « l’ensemble des caractéristiques du fonctionnement humain (physiologiques, mentales et sociales) qui influent sur le déroulement de son activité de travail et, de fait, sur la sécurité et l’efficacité de l’action ». Plus simplement, le facteur humain vise à comprendre, rechercher, analyser et prévenir tout ce qui peut nous induire en erreur lors d’une intervention, d’un point de vue « humain ». Par exemple : le manque de communication. La fatigue, le stress ou encore une conscience de situation erronée sont autant de facteurs humains avérés. Petite précision : une erreur est toujours involontaire, contrairement à une violation du règlement, qui est volontaire, mais à des fins opérationnelles. Toujours à la recherche de l’efficacité maximum, la Brigade a lancé en 2020 une vaste expérimentation portant sur le facteur humain opérationnel, convaincue par les bons résultats obtenus lors des expérimentations de la division santé depuis 2018 (lire encadré).
« Je suis convaincu par la notion de facteur humain, annonce d’emblée le caporal-chef Nicolas Berjon. Au premier groupement d’incendie et de secours, nous formons les chefs d’agrès au FH depuis la fin de l’année 2020, et les retours sont très majoritairement positifs. » D’abord, leur connaissance aide à prévenir l’apparition de certaines erreurs. Ensuite, l’analyse d’un incident sous l’angle « facteur humain » permet de comprendre comment et pourquoi nous sommes tous potentiellement sujets aux erreurs. « Au bureau opération instruction, indique le caporal-chef Berjon, nous avons remarqué que les biais cognitifs sont de redoutables sources d’erreurs et surtout, que tout le monde est concerné, sans exception. » En effet, les biais cognitifs de fréquence, d’ancrage, d’habitude ou de conformité au groupe sont des phénomènes bien connus des scientifiques. « Le biais de confirmation d’hypothèse, par exemple, incite le chef d’agrès à ne tenir compte que des éléments qui confirment son raisonnement, et à occulter complètement les éléments qui l’infirment. C’est très dangereux » prévient le caporal-chef. Ainsi, l’analyse des faits à la lumière du facteur humain apporte une nouvelle dimension au retour d’expérience (RETEX). Au bureau planification opérationnelle (BPO), l’intérêt du facteur humain ne fait plus aucun doute.
Fatigue, stress et complexité
« Le bilan de l’expérimentation est très positif, révèle le commandant Florent Chalmandrier, adjoint au chef de la section doctrine RETEX du BPO. Le facteur humain a été expérimenté au premier groupement, mais aussi au centre opérationnel et au GFIS. Au BMU, précurseur dans le domaine, tout le monde est formé. Les résultats, bien que difficiles à mesurer, sont vraiment encourageants. La prise de conscience par le pompier de Paris du facteur humain et de ses conséquences est une plus-value, cela ne fait aucun doute. Bien comprendre qu’une simple interruption de tâche peut mettre en danger des dizaines d’intervenants est forcément bénéfique pour le bon déroulement de nos opérations… » C’est vrai. Si un sapeur-pompier a pour mission de barrer le gaz et qu’il est interrompu dans sa tâche, son cerveau peut simplement « oublier » sa première mission. Qui ne s’est jamais demandé ce qu’il faisait ou quel était le sujet d’une discussion après avoir été interrompu ? En intervention, si la mémoire ne vous revient pas, les conséquences peuvent être catastrophiques. Ajoutez la fatigue, le stress et la complexité d’une situation et vous obtiendrez tous les éléments propices à la survenue d’un incident. « C’est pourquoi le général a décidé d’étendre le facteur humain à tous les groupements d’incendie et de secours, poursuit le commandant Chalmandrier. Mais aussi de l’intégrer au cursus de formation des chefs d’agrès VSAV dès septembre 2023, et à la formation des chefs de centre et des officiers. »
Le facteur humain opérationnel se développe à la Brigade, toujours en quête d’efficience. Dans le domaine aéronautique, il est employé depuis les années 1970, et son intérêt n’est plus à démontrer. À l’aune de ces bons résultats, la BSPP compte bien faire siennes les bonnes pratiques du facteur humain pour réduire le nombre d’erreurs en intervention, et pourquoi pas améliorer la vie en centre de secours. N’oublions pas : si personne n’est à l’abri d’une erreur, c’est toujours mieux quand on n’en fait pas.
MÉDECIN DE CLASSE EXCEPTIONNELLE MARIE PERY
Chef du groupe enseignement spécialisé du bureau médical d’urgence (BMU) et référente « facteur humain » de la BSPP
“L’idée est de faire prendre conscience, aux professionnels, de l’impact des facteurs humains ”
Le docteur Marie Pery est passée par la rédaction de votre magazine pour évoquer les enjeux du facteur humain au sein de l’Institution. Questions-réponses.
Docteur, qu’est-ce que le facteur humain ? Et avec quel organisme développez-vous ces notions ?
Les facteurs humains opérationnels sont tous les éléments liés à la propre nature de l’homme et son cerveau qui vont influencer le cours d’une intervention, que ce soit de manière positive ou délétère. Il n’y a pas un facteur, mais une multitude de facteurs humains : fatigue, stress, émotions, traitement cérébral de l’information… Ils agissent à des degrés différents sur chaque professionnel, selon l’intervention, l’heure, le contexte et peuvent, ou non, participer à la production d’erreurs. Ils ont également un rôle important dans le travail en équipe. La communication, la gestion des conflits ou les interruptions de tâches sont une grande source d’erreurs. Les facteurs humains sont également des éléments de performance. À la différence d’une machine, si fiable et élaborée soit-elle, l’humain a une capacité d’adaptation, de résolution de problèmes complexes, nécessaire à notre métier exigeant et sous pression de temps, comme dans une industrie à risque.
Depuis de très nombreuses années, les industries à risque comme le nucléaire ou l’aviation ont mis en place ces formations dans leur démarche de gestion des risques. L’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) avait l’expérience de ces formations auprès de personnels de l’armée de l’air et de sous-mariniers. Avec cette unité, nous avons élaboré un produit de formation adapté à notre environnement de travail, et ils ont formé un certain nombre d’entre nous à l’animation des formations en FH.
Quels sont les objectifs de la prise en compte du facteur humain à la Brigade ?
La prise en compte du FH est née de l’analyse entre les interventions des ambulances de réanimation et de la coordination médicale, et de l’observation de la formation des équipes médicales en simulation. Alors que les connaissances, les compétences techniques et le matériel adapté étaient satisfaisants, un nombre non négligeable d’erreurs existait, et en grande partie, liées à des éléments non techniques.
Tout le monde fait des erreurs. En revanche, la maîtrise de la technique et le respect des règlements et des procédures sont des conditions nécessaires, mais non suffisantes pour prévenir l’erreur et améliorer la performance, individuelle et collective. La connaissance de ces facteurs humains, et la gestion de ces phénomènes en intervention, personnellement et en équipe, sont les « compétences non techniques » indispensables au travail dans des unités à risque, comme la BSPP.
L’idée est de faire prendre conscience, aux professionnels, de l’impact des facteurs humains en situation opérationnelle. L’objectif est de prévenir en amont, améliorer la reconnaissance en opération de ces phénomènes et apprendre à les gérer en équipe. Enfin, le RETEX met en lumière les améliorations et le travail qu’il reste encore à accomplir.
Existe-il des bénéfices secondaires à la prise en compte du facteur humain par les pompiers de Paris ?
Effectivement, si l’objectif est opérationnel, la prise en compte du facteur humain dans le travail peut avoir des bénéfices secondaires dans le service intérieur ou dans la vie personnelle. Apprendre à interrompre quelqu’un dans son travail au bon moment et de la bonne manière optimise l’efficacité du service (les interruptions de tâches, c’est 25 % de perte de temps de travail) et diminue le risque d’erreur dans l’exécution d’une tâche. Apprendre à mieux communiquer peut améliorer les relations, y compris familiales, ainsi que la cohésion. La gestion de la fatigue a des effets personnels et sur l’Institution à long terme. Les applications sont très nombreuses.