Planète Brigade — L’habitude engendre des automatismes, des routines. Autant d’actions ou de gestes qui nous semblent tellement naturels qu’on en oublie comment et pourquoi ils ont été créés. Patrice Havard nous raconte la genèse de la cérémonie du 18 septembre.
Nous sommes en septembre et il semble logique de célébrer le 18 septembre comme la Journée des pompiers de Paris. Et pourtant ça n’a pas toujours été comme ça. Cette fête a débuté en 2003 ; il est temps pour l’histoire, vingt ans après, de connaître pourquoi et comment elle est née.
De la discussion jaillit la lumière, dit-on. Il est logique après deux décades de dire que l’idée fut… lumineuse. Il a simplement fallu une rencontre de deux hommes qui se comprennent. L’un pour soumettre l’idée et l’autre pour la saisir et l’officialiser. Il n’est pas courant à notre époque qu’une idée, fut-elle fédérative, puisse s’imposer comme tradition.
Avant de prendre son commandement, le général Périco est en fonction au sein du Génie en région parisienne et tient des réunions à Champerret. Mon bureau de directeur du musée était alors au niveau du poste de garde. Nous connaissant de longue date, nous discutions souvent avant et après ses réunions et bien entendu, le sujet permanent était la Brigade.
Un jour, le général me dit sa fierté de pouvoir commander la Brigade, un Corps à grande tradition.
Point-clé et extrêmement délicat, je ne pus cacher qu’à mes yeux et en l’état de mes connaissances, nous n’étions pas un Corps à grande tradition.
Stupeur, pour ne pas dire plus, du général qui me demande d’étayer.
Nous voilà donc, à faire ensemble l’inventaire de ce qui pouvait ressembler à des traditions. Le seul point qui nous appartenait mais qui n’est pas à proprement parler une tradition est notre devise « Sauver ou Périr », de 1942, et plus récemment le slogan « Un métier, un idéal, du sport » de 1967. Nous possédions des symboles et des actions propres au Corps et d’autres communes à d’autres formations. Propres au corps : appel des morts au feu, journée du souvenir (communément appelée la Sainte-Odile), bal du 14 juillet, devise, éthique, équipe de gymnastique. Communes à d’autres corps : drapeau, Sainte-Barbe, salle des traditions et musée, présentation des recrues au drapeau, remise de galons aux sous-officiers, insigne de corps, couleur distinctive de l’uniforme, musique, journées portes ouvertes. À chaque point évoqué, aucun ne pouvait correspondre à une vraie tradition purement Brigade. D’après le dictionnaire Hachette, tradition est un nom féminin qui définit la « manière de faire transmise par les générations antérieures. Mode de transmission d’une information de génération en génération ». On peut rattacher à ce mot celui de symbole, défini par le même dictionnaire comme la « représentation figurée, imagée, concrète d’une notion abstraite ».
On peut ainsi hiérarchiser les mots. La tradition est mise en perspective par le symbole.
De ce constat, le général me demande de lui faire des propositions. Enfin, j’avais la possibilité de m’exprimer utilement pour la Brigade. La Légion, dont les traditions sont bien ancrées et dont nous avons un peu plagié le code d’honneur, avait une date fixe pour célébrer Camerone. Les troupes de Marine célèbrent Baseilles Nous, rien, pas de date.
Le général me demande de trouver un grand feu ou grande opération marquante, mais cela me semblait trop sujet à discussion.
Alors je lui dis « qu’une date s’impose naturellement, le 18 septembre. Elle pourrait être choisie comme étant la journée de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris pour de multiples raisons. Cette date est reconnue de tous comme étant fondatrice de ce que nous sommes actuellement (bien que l’ancrage officiel dans « le complet de l’armée » date du 21 novembre 1821). Fêtée en interne, elle aurait pour objet de fédérer l’ensemble des personnels du corps de façon sacrale, sur notre identité de pompier professionnel et de militaire. Ce serait prétexte à un rapprochement auprès des pompiers civils et des militaires tout en affirmant ainsi notre identité spécifique. Le contenu de cette journée reste à définir mais pourrait débuter par la lecture d’un ordre du jour reprenant en partie l’objet de cette célébration. Dans l’esprit, il ne s’agit surtout pas de fête type Sainte-Barbe, mais plutôt recentrée sur les principes qui font notre réputation et notre honneur ».
Après cette proposition concrète et en trace directe avec notre histoire, le général me dit : « La voilà l’idée ! Faites-moi une note blanche développant vos propositions » et il ajoute par une réaction que je n’oublierai jamais « 1811 – 2011, nous nous inscrivons pour le futur bicentenaire ».
Le général savait très bien que prenant en septembre 2003, ce ne serait plus lui qui organiserait cet anniversaire. Il n’a pensé qu’à la Brigade et à sa grandeur. Mon général merci encore.
Bien entendu, je n’ai pas traîné. J’ai écrit cette note blanche, donc non datée et non signée, dont je conserve toujours un exemplaire. Dans mon développement j’apporte beaucoup d’idées, plus exactement des demandes. Certaines ont trouvé une pérennité et d’autres une application plus tardive quant au reste, on verra… Création d’un hymne des pompiers de Paris, retour du bonnet de police, nomination de pompier honoraires et remise en service d’un grade d’honneur (abandonné après-guerre), le général en tenue bleu, retour du fanion de commandement du général, journée des talents mettant en valeur tout pompier de Paris qui excelle dans son « art ».
Ce pourrait être une invention, une statue, une peinture, un trophée, un chant, une restauration, liste non exhaustive et cela sur n’importe quel thème selon la maxime « il n’est de richesse que d’hommes ». Et, pour le coup, je lui rappelai « son idée du « conseil des sages » composé de ses médaillés militaires de toutes unités (une dizaine différente à chaque réunion). J’insistai aussi sur le fait que « la 1831e section des médaillés militaires sapeurs-pompiers de Paris comprend dans ses rangs plus de 200 membres dont les états de service parlent pour eux. Près de la moitié sont des actifs, mais tous, actifs et retraités, seront à votre disposition pour servir encore et toujours notre Brigade ».
L’ordre du jour n°1 du général Périco porte création de la journée des sapeurs-pompiers de Paris le 18 septembre, date immuable. Il l’a lu en bleu, accompagné du fanion. Tout restait à concrétiser…
Deux ans après, la limite d’âge m’a rattrapé mais j’ai pu voir naître, le 18 septembre, le général en bleu, le fanion de commandement, les grades d’honneur, le bonnet de police pour les anciens en substitution du béret. À défaut d’hymne la commission ad’hoc a choisi la chanson créée pour l’événement Paris nous voilà. Ces deux dernières années m’ont permis de vivre selon le précepte « obéir d’amitié ».
Souvenirs pour l’Histoire.
Patrice HAVARD 14107
En marge, j’ajouterai pour terminer cet extrait de G. Ripert “Les forces créatrices du droit” 1953 à lire et à méditer car, à mon sens, intemporel :
« Le mépris du passé est un procédé facile pour justifier l’aventure présente. Les règles nécessaires pour la conduite des hommes sont infiniment variées, mais, à les analyser, elles se ramènent à quelques procédés qui sont toujours les mêmes et qui ont tous été déjà employés.
Chaque génération ne saurait prétendre à l’œuvre de création totale. Elle doit avoir la modestie de continuer ce qui a été fait avant elle, en s’efforçant de faire mieux s’il est possible, mais avec le sentiment que toute amélioration suppose une conservation ».