#BrigadeInside — Une nouvelle étude a eu lieu au printemps, à Ménilmontant, pour connaître l’influence que pourrait avoir un programme alliant cohérence cardiaque, méditation de pleine conscience et des outils de psychologie positive sur la sollicitation opérationnelle de 75 soignants de la Division santé. Notre rédacteur en chef a vécu cette expérimentation en immersion. Il nous livre ici ses impressions… toutes personnelles.
À la rédaction d’ALLO DIX-HUIT, nous recevons toutes sortes d’informations, des plus globales au plus personnelles et nous devons faire des choix —souvent difficiles — pour traiter au mieux l’actualité BSPP dans un espace finalement pas si extensible que ça.
Ainsi, quand est tombée la nouvelle d’un projet visant à réduire le stress et l’épuisement professionnel du personnel soignant de la BSPP en utilisant cohérence cardiaque, méditation de pleine conscience et des outils de psychologie positive, cela a immédiatement éveillé notre attention. Pour des sapeurs-pompiers de Paris, formatés sur le mode du soldat infaillible, l’idée peut sembler inopportune, voire carrément saugrenue…
Une étude est associée au projet afin de valider scientifiquement ce programme et mesurer le stress et l’épuisement professionnel avant, après et à distance du programme. Le programme a été créé en collaboration avec l’IRBA et est animé par Adrien Jimenez, ancien infirmier major d’une unité spécialisée de l’armée de Terre.
Lorsque le docteur Louise Giaume, médecin urgentiste de la BSPP à Ménilmontant, m’a proposé de faire partie de cette expérimentation, j’ai finalement accepté. Tout est parti d’une boutade. « Tu verras ça ne te fera que du bien ! » me dit mon camarade de bureau. Sous-entendu, un peu de quiétude mentale ne peut pas te faire de mal !
“Sieste et massage”
C’est vrai, que, moi aussi, quelque peu “formaté Brigade”, j’étais assez circonspect dès lors que l’on utilisait les termes de cohérence cardiaque, pleine conscience, méditation,…
Sur le tableau de la rédaction où figurent le listing de nos reportages en cours, l’intitulé : “Firecare” a été remplacé par “Sieste et massage”. Derrière le côté potache, c’est un élément tangible de l’idée que se fait la troupe du selfcare.
C’est donc dans cet état d’esprit que je débarque un matin dans une salle d’instruction du Val-de-Grâce en compagnie d’une quinzaine d’autres « cobayes » tous prêts à se lancer dans cette expérimentation. Nous voilà partis pour une aventure qui va durer cinq semaines et six séances de 2h30. Soit quinze heures, quand même…
Dès le début de la séance nous remplissons un questionnaire. Celui-ci est destiné à mesurer notre état d’esprit en débutant ce cursus. Nous répondrons aux mêmes questions à la fin de la dernière séance.
Ensuite, les choses sérieuses commencent. Adrien Jimenez, notre formateur, se présente et nous met à l’aise. Nous sommes tous volontaires, mais on sent bien que le niveau d’implication ne sera pas le même pour tout le monde.Même derrière les masques, la plupart des participants ne peuvent cacher leurs sentiments.
Adrien rentre dans le vif du sujet et nous déstabilise un peu, nous transportant au-delà de la Brigade. Il nous fait réfléchir sur notre environnement, sur nous-mêmes, sur notre état d’esprit du moment, sur notre corps et sur le soin que nous lui apportons.
Un arsenal d’outils
Une introspection qui résonne chez tous les participants, mais chacun la vit différemment. Je prends moi-même (pleine) conscience que mes habitudes de vie sont souvent des actions subies et que je pourrais assez facilement en devenir un peu plus acteur.
Cette remise en question ne sera que la première d’une longue série, toutes basées sur l’idée de considérer son esprit et son corps d’un point de vue différent, avec un autre regard sur soi-même et sur ses propres pensées.
Tout au long de ces six séances qui ont chacune un thème différent, Adrien n’apparaîtra jamais comme un formateur, mais plutôt comme un instructeur qui met à notre disposition tout un arsenal d’outils, de méthodes. Mais aussi comme celui qui, au milieu d’un échange, glisse une question qui vous turlupine quelques jours durant.
Entre deux rendez-vous, nous avons des exercices à réaliser, ou plutôt à expérimenter. Ensuite, lors de la session suivante, nous faisons chacun le point de nos ressentis, ou de la difficulté à les mettre en œuvre. En ce qui me concerne, essayer de les placer dans mon emploi du temps, et ainsi prendre soin de ma personne, a déjà représenté un bond en avant dans ma réflexion globale.
Bien entendu, ce genre d’expérience demande, d’une certaine façon, de se déprogrammer pour mieux être à l’écoute de soi et de ce qui nous entoure dans notre travail et dans notre vie personnelle. Une petite barrière anti-stress qui permet de rebooster son cerveau en lui offrant une pause.
Alors, bien sûr, cette expérimentation ne peut pas s’adapter à tous, ni être acceptée par tout le monde. Mais dès lors que l’idée de lâcher prise sur le quotidien tendu du travail vous traverse l’esprit, les bienfaits sont au rendez-vous. La boîte à outils proposée permet d’aller plus loin si on le désire.
Il sera intéressant de connaître les résultats scientifiques de cette expérience qui va d’ailleurs connaître un deuxième volet avec du personnel du centre opérationnel (CO). Une population de la Brigade soumise aussi à un stress psychologique et physique important.
Affaire à méditer donc…
INTERVIEW
Adrien Jimenez : “J’aimerais qu’à la fin, les gens se disent que quelque chose a changé”
Infirmier pendant 17 ans au sein d’unités spéciales de l’armée de Terre, Adrien s’est reconverti dans la psychologie positive et dans la méditation de pleine conscience. Il est l’instructeur de cette expérimentation.
Ce programme est-il une formation-type ?
Non, c’est du sur-mesure. L’idée vient du Dr Giaume au départ, mais pour les pompiers de Paris, il a fallu bâtir un programme basé sur les choses qui marchent dans les domaines de la psychologie positive et la méditation de pleine conscience et l’adapter. Notamment sur la longueur. Généralement, les formations sont composées de huit séances en huit semaines. Mais cela demeurait très compliqué compte-tenu des emplois du temps. Nous avons donc opté pour cette formule de deux séances par semaine sur cinq semaines avec un break de dix jours au milieu. Ensuite je me suis servi de toutes mon expérience de formateur en milieu militaire pour créer ce programme. Nous avons choisi les outils en fonction des paramètres que la docteure voulait mesurer et des résultats que l’on escomptait.
Comment as-tu vécu ce programme ?
Cela a été une expérience incroyable ! En fait, à chaque fois que je suis dans la posture du formateur, j’apprends énormément. Peut-être encore plus que les stagiaires. En fait, je suis instructeur. Je n’enseigne pas, j’oriente, j’accompagne. Je ne suis pas un thérapeute, chacun fait son propre chemin, sa propre expérience. Ainsi moi aussi, j’apprends sur moi.
Cela doit demander un maximum de concentration…
Oui, car à chaque séance, je perçois tout ce qui se passe, je le ressens et je dois réagir ou pas. Je suis tout le temps dans un questionnement sur ce que je dois dire ou ne pas dire. Il faut trouver la bonne distance de détachement et ça mobilise beaucoup de ressources.
Les six groupes étaient-ils homogènes ?
Pour des raisons scientifiques, chaque groupe avait été composé avec le même nombre de médecins, de conducteurs, etc. Néanmoins, les expériences ne sont pas vécues de la même façon, ça dépend de ce qui se passe. J’ai des objectifs pédagogiques pour respecter les besoins de l’expérimentation, mais les groupes ont parfois des chemins collectifs différents. Au fil du temps, j’adapte.
Les objectifs du départ ont-ils été atteints ?
Les objectifs de départ sont très variés, mais mon but est de semer une graine, que les gens prennent conscience qu’elle est un outil pour changer, évoluer, que “les pensées ne sont pas des faits”, pour reprendre une phrase de l’expérience. Ce qu’ils en font après ne me regarde plus. J’aimerais qu’à la fin, les gens se disent que quelque chose a changé ou que quelque chose peut changer. Aujourd’hui ou plus tard.
Docteur Louise Giaume : “On ne sait pas prendre de pause, stopper notre activité, se mettre au calme et se ressourcer.”
Urgentiste de la BSPP, le Dr Giaume est à l’origine de cette expérimentation. Elle nous explique son point de vue.
Comment vous est venue l’idée de cette expérimentation ?
J’ai personnellement participé à un cycle de méditation en 2019 de huit séances sur huit semaines et cela a vraiment changé les choses, tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel. Cela m’a permis d’aborder le départ ou le retour d’intervention de manière différente, ainsi que d’avoir une meilleure qualité de sommeil et de mieux gérer mon stress. Pendant la période du Covid, j’ai à nouveau participé à des séances et j’ai décidé de le proposer à mes camarades. Dans nos métiers, il y a en permanence une sur-sollicitation opérationnelle qui nous mobilise beaucoup sur le plan physique et psychologique.On ne sait pas prendre de pause, stopper notre activité, se mettre au calme et se ressourcer. Cela s’apprend. La méditation et la cohérence cardiaque peuvent être un bon moyen. Je me suis donc plongée dans les publications scientifiques des vingt dernières années sur le sujet pour ensuite proposer ce programme. Aux Etats-Unis, ou en Australie par exemple, les cycles de méditation de pleine conscience sont régulièrement proposés aux soignants, aux militaires et aux pompiers. J’ai eu envie d’essayer chez les pompiers de Paris.
Cette proposition a‑t-elle reçu un bon accueil ?
J’ai présenté l’expérimentation par son côté scientifique et pas du tout comme une pratique holistique, en m’appuyant sur des publications scientifiques et des données physiologiques mises en évidence par l’imagerie fonctionnelle cérébrale. Il y a des travaux de plus en plus développés en France et notamment par les armées. Avoir Adrien et sa très forte expérience militaire de terrain comme intervenant a facilité les choses également. Quant au soignants, c’était l’occasion de leur proposer une activité où l’on s’occupe d’eux, ce qui est finalement assez rare.
L’expérience va se déplacer vers le personnel du centre opérationnel (CO)…
Nous avons à faire à une population professionnelle soumise à un stress important. Le contact avec la population en situation d’urgence n’est pas toujours facile, il faut évaluer rapidement le degré d’urgence par téléphone. De plus, les opérateurs ont déjà un premier passif opérationnel en compagnie d’incendies. Ils ont déjà accumulé beaucoup de stress et de fatigue. Sur le long terme, ils présentent des dérèglements physiologiques importants et voient leur qualité de sommeil fortement impactée.
Ensuite, tout ceci fera partie d’une étude…
Dans un premier temps, on va vérifier l’efficacité du programme, travailler sur des ajustements selon les populations concernées et lorsque tout ceci sera bien calé, proposer cette formation à ceux qui le souhaitent.
Et dans les compagnies d’incendies aussi ?
Déjà des exercices de cohérences cardiaques ont été proposés par les médecins qui ont fait la formation Firecare aux stages du peloton des élèves caporaux-chefs (PECH). Ensuite, le but va être de s’adapter à la population des CS pour leur offrir une formation efficace.