FATIGUE DU SAPEUR-POMPIER — Firecare, un programme à méditer

Har­ry Cou­vin —  — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 08 h 30 

#BrigadeInside — Une nouvelle étude a eu lieu au printemps, à Ménilmontant, pour connaître l’influence que pourrait avoir un programme alliant cohérence cardiaque, méditation de pleine conscience et des outils de psychologie positive sur la sollicitation opérationnelle de 75 soignants de la Division santé. Notre rédacteur en chef a vécu cette expérimentation en immersion. Il nous livre ici ses impressions… toutes personnelles.

À la rédac­tion d’ALLO DIX-HUIT, nous rece­vons toutes sortes d’informations, des plus glo­bales au plus per­son­nelles et nous devons faire des choix —sou­vent dif­fi­ciles — pour trai­ter au mieux l’actualité BSPP dans un espace fina­le­ment pas si exten­sible que ça.

Ain­si, quand est tom­bée la nou­velle d’un pro­jet visant à réduire le stress et l’épuisement pro­fes­sion­nel du per­son­nel soi­gnant de la BSPP en uti­li­sant cohé­rence car­diaque, médi­ta­tion de pleine conscience et des outils de psy­cho­lo­gie posi­tive, cela a immé­dia­te­ment éveillé notre atten­tion. Pour des sapeurs-pom­piers de Paris, for­ma­tés sur le mode du sol­dat infaillible, l’idée peut sem­bler inop­por­tune, voire car­ré­ment saugrenue…

Une étude est asso­ciée au pro­jet afin de vali­der scien­ti­fi­que­ment ce pro­gramme et mesu­rer le stress et l’épuisement pro­fes­sion­nel avant, après et à dis­tance du pro­gramme. Le pro­gramme a été créé en col­la­bo­ra­tion avec l’IRBA et est ani­mé par Adrien Jime­nez, ancien infir­mier major d’une uni­té spé­cia­li­sée de l’armée de Terre.

Lorsque le doc­teur Louise Giaume, méde­cin urgen­tiste de la BSPP à Ménil­mon­tant, m’a pro­po­sé de faire par­tie de cette expé­ri­men­ta­tion, j’ai fina­le­ment accep­té. Tout est par­ti d’une bou­tade. « Tu ver­ras ça ne te fera que du bien ! » me dit mon cama­rade de bureau. Sous-enten­du, un peu de quié­tude men­tale ne peut pas te faire de mal !

“Sieste et massage”

C’est vrai, que, moi aus­si, quelque peu “for­ma­té Bri­gade”, j’étais assez cir­cons­pect dès lors que l’on uti­li­sait les termes de cohé­rence car­diaque, pleine conscience, méditation,…

Sur le tableau de la rédac­tion où figurent le lis­ting de nos repor­tages en cours, l’intitulé : “Fire­care” a été rem­pla­cé par “Sieste et mas­sage”. Der­rière le côté potache, c’est un élé­ment tan­gible de l’idée que se fait la troupe du selfcare.

C’est donc dans cet état d’esprit que je débarque un matin dans une salle d’instruction du Val-de-Grâce en com­pa­gnie d’une quin­zaine d’autres « cobayes » tous prêts à se lan­cer dans cette expé­ri­men­ta­tion. Nous voi­là par­tis pour une aven­ture qui va durer cinq semaines et six séances de 2h30. Soit quinze heures, quand même…

Dès le début de la séance nous rem­plis­sons un ques­tion­naire. Celui-ci est des­ti­né à mesu­rer notre état d’esprit en débu­tant ce cur­sus. Nous répon­drons aux mêmes ques­tions à la fin de la der­nière séance.

Ensuite, les choses sérieuses com­mencent. Adrien Jime­nez, notre for­ma­teur, se pré­sente et nous met à l’aise. Nous sommes tous volon­taires, mais on sent bien que le niveau d’implication ne sera pas le même pour tout le monde.Même der­rière les masques, la plu­part des par­ti­ci­pants ne peuvent cacher leurs sentiments. 

Adrien rentre dans le vif du sujet et nous désta­bi­lise un peu, nous trans­por­tant au-delà de la Bri­gade. Il nous fait réflé­chir sur notre envi­ron­ne­ment, sur nous-mêmes, sur notre état d’esprit du moment, sur notre corps et sur le soin que nous lui apportons.

Un arse­nal d’outils

Une intros­pec­tion qui résonne chez tous les par­ti­ci­pants, mais cha­cun la vit dif­fé­rem­ment. Je prends moi-même (pleine) conscience que mes habi­tudes de vie sont sou­vent des actions subies et que je pour­rais assez faci­le­ment en deve­nir un peu plus acteur.

Cette remise en ques­tion ne sera que la pre­mière d’une longue série, toutes basées sur l’idée de consi­dé­rer son esprit et son corps d’un point de vue dif­fé­rent, avec un autre regard sur soi-même et sur ses propres pensées.

Uti­li­sa­tion d’un appa­reil de cohé­rence car­diaque auprès d’un sapeur-pom­pier après un tra­vail par­ti­cu­liè­re­ment éprouvant.

Tout au long de ces six séances qui ont cha­cune un thème dif­fé­rent, Adrien n’ap­pa­raî­tra jamais comme un for­ma­teur, mais plu­tôt comme un ins­truc­teur qui met à notre dis­po­si­tion tout un arse­nal d’outils, de méthodes. Mais aus­si comme celui qui, au milieu d’un échange, glisse une ques­tion qui vous tur­lu­pine quelques jours durant.

Entre deux ren­dez-vous, nous avons des exer­cices à réa­li­ser, ou plu­tôt à expé­ri­men­ter. Ensuite, lors de la ses­sion sui­vante, nous fai­sons cha­cun le point de nos res­sen­tis, ou de la dif­fi­cul­té à les mettre en œuvre. En ce qui me concerne, essayer de les pla­cer dans mon emploi du temps, et ain­si prendre soin de ma per­sonne, a déjà repré­sen­té un bond en avant dans ma réflexion globale.

Bien enten­du, ce genre d’expérience demande, d’une cer­taine façon, de se dépro­gram­mer pour mieux être à l’écoute de soi et de ce qui nous entoure dans notre tra­vail et dans notre vie per­son­nelle. Une petite bar­rière anti-stress qui per­met de reboos­ter son cer­veau en lui offrant une pause.

Alors, bien sûr, cette expé­ri­men­ta­tion ne peut pas s’adapter à tous, ni être accep­tée par tout le monde. Mais dès lors que l’idée de lâcher prise sur le quo­ti­dien ten­du du tra­vail vous tra­verse l’esprit, les bien­faits sont au ren­dez-vous. La boîte à outils pro­po­sée per­met d’aller plus loin si on le désire.

Il sera inté­res­sant de connaître les résul­tats scien­ti­fiques de cette expé­rience qui va d’ailleurs connaître un deuxième volet avec du per­son­nel du centre opé­ra­tion­nel (CO). Une popu­la­tion de la Bri­gade sou­mise aus­si à un stress psy­cho­lo­gique et phy­sique important.

Affaire à médi­ter donc…


INTERVIEW

Adrien Jimenez : “J’aimerais qu’à la fin, les gens se disent que quelque chose a changé”

Infir­mier pen­dant 17 ans au sein d’unités spé­ciales de l’armée de Terre, Adrien s’est recon­ver­ti dans la psy­cho­lo­gie posi­tive et dans la médi­ta­tion de pleine conscience. Il est l’instructeur de cette expérimentation.

Ce pro­gramme est-il une formation-type ?

Non, c’est du sur-mesure. L’idée vient du Dr Giaume au départ, mais pour les pom­piers de Paris, il a fal­lu bâtir un pro­gramme basé sur les choses qui marchent dans les domaines de la psy­cho­lo­gie posi­tive et la médi­ta­tion de pleine conscience et l’adapter. Notam­ment sur la lon­gueur. Géné­ra­le­ment, les for­ma­tions sont com­po­sées de huit séances en huit semaines. Mais cela demeu­rait très com­pli­qué compte-tenu des emplois du temps. Nous avons donc opté pour cette for­mule de deux séances par semaine sur cinq semaines avec un break de dix jours au milieu. Ensuite je me suis ser­vi de toutes mon expé­rience de for­ma­teur en milieu mili­taire pour créer ce pro­gramme. Nous avons choi­si les outils en fonc­tion des para­mètres que la doc­teure vou­lait mesu­rer et des résul­tats que l’on escomptait.

Com­ment as-tu vécu ce programme ?

Cela a été une expé­rience incroyable ! En fait, à chaque fois que je suis dans la pos­ture du for­ma­teur, j’apprends énor­mé­ment. Peut-être encore plus que les sta­giaires. En fait, je suis ins­truc­teur. Je n’enseigne pas, j’oriente, j’accompagne. Je ne suis pas un thé­ra­peute, cha­cun fait son propre che­min, sa propre expé­rience. Ain­si moi aus­si, j’apprends sur moi.

Cela doit deman­der un maxi­mum de concentration…

Oui, car à chaque séance, je per­çois tout ce qui se passe, je le res­sens et je dois réagir ou pas. Je suis tout le temps dans un ques­tion­ne­ment sur ce que je dois dire ou ne pas dire. Il faut trou­ver la bonne dis­tance de déta­che­ment et ça mobi­lise beau­coup de ressources.

Les six groupes étaient-ils homogènes ?

Pour des rai­sons scien­ti­fiques, chaque groupe avait été com­po­sé avec le même nombre de méde­cins, de conduc­teurs, etc. Néan­moins, les expé­riences ne sont pas vécues de la même façon, ça dépend de ce qui se passe. J’ai des objec­tifs péda­go­giques pour res­pec­ter les besoins de l’expérimentation, mais les groupes ont par­fois des che­mins col­lec­tifs dif­fé­rents. Au fil du temps, j’adapte.

Les objec­tifs du départ ont-ils été atteints ?

Les objec­tifs de départ sont très variés, mais mon but est de semer une graine, que les gens prennent conscience qu’elle est un outil pour chan­ger, évo­luer, que “les pen­sées ne sont pas des faits”, pour reprendre une phrase de l’expérience. Ce qu’ils en font après ne me regarde plus. J’aimerais qu’à la fin, les gens se disent que quelque chose a chan­gé ou que quelque chose peut chan­ger. Aujourd’hui ou plus tard.

Docteur Louise Giaume : “On ne sait pas prendre de pause, stopper notre activité, se mettre au calme et se ressourcer.”

Urgen­tiste de la BSPP, le Dr Giaume est à l’origine de cette expé­ri­men­ta­tion. Elle nous explique son point de vue.

Com­ment vous est venue l’idée de cette expérimentation ?

J’ai per­son­nel­le­ment par­ti­ci­pé à un cycle de médi­ta­tion en 2019 de huit séances sur huit semaines et cela a vrai­ment chan­gé les choses, tant sur le plan per­son­nel que sur le plan pro­fes­sion­nel. Cela m’a per­mis d’aborder le départ ou le retour d’intervention de manière dif­fé­rente, ain­si que d’a­voir une meilleure qua­li­té de som­meil et de mieux gérer mon stress. Pen­dant la période du Covid, j’ai à nou­veau par­ti­ci­pé à des séances et j’ai déci­dé de le pro­po­ser à mes cama­rades. Dans nos métiers, il y a en per­ma­nence une sur-sol­li­ci­ta­tion opé­ra­tion­nelle qui nous mobi­lise beau­coup sur le plan phy­sique et psychologique.On ne sait pas prendre de pause, stop­per notre acti­vi­té, se mettre au calme et se res­sour­cer. Cela s’ap­prend. La médi­ta­tion et la cohé­rence car­diaque peuvent être un bon moyen. Je me suis donc plon­gée dans les publi­ca­tions scien­ti­fiques des vingt der­nières années sur le sujet pour ensuite pro­po­ser ce pro­gramme. Aux Etats-Unis, ou en Aus­tra­lie par exemple, les cycles de médi­ta­tion de pleine conscience sont régu­liè­re­ment pro­po­sés aux soi­gnants, aux mili­taires et aux pom­piers. J’ai eu envie d’es­sayer chez les pom­piers de Paris.

Cette pro­po­si­tion a‑t-elle reçu un bon accueil ?

J’ai pré­sen­té l’ex­pé­ri­men­ta­tion par son côté scien­ti­fique et pas du tout comme une pra­tique holis­tique, en m’appuyant sur des publi­ca­tions scien­ti­fiques et des don­nées phy­sio­lo­giques mises en évi­dence par l’imagerie fonc­tion­nelle céré­brale. Il y a des tra­vaux de plus en plus déve­lop­pés en France et notam­ment par les armées. Avoir Adrien et sa très forte expé­rience mili­taire de ter­rain comme inter­ve­nant a faci­li­té les choses éga­le­ment. Quant au soi­gnants, c’était l’occasion de leur pro­po­ser une acti­vi­té où l’on s’oc­cupe d’eux, ce qui est fina­le­ment assez rare.

L’expérience va se dépla­cer vers le per­son­nel du centre opé­ra­tion­nel (CO)…

Nous avons à faire à une popu­la­tion pro­fes­sion­nelle sou­mise à un stress impor­tant. Le contact avec la popu­la­tion en situa­tion d’ur­gence n’est pas tou­jours facile, il faut éva­luer rapi­de­ment le degré d’ur­gence par télé­phone. De plus, les opé­ra­teurs ont déjà un pre­mier pas­sif opé­ra­tion­nel en com­pa­gnie d’in­cen­dies. Ils ont déjà accu­mu­lé beau­coup de stress et de fatigue. Sur le long terme, ils pré­sentent des dérè­gle­ments phy­sio­lo­giques impor­tants et voient leur qua­li­té de som­meil for­te­ment impactée.

Ensuite, tout ceci fera par­tie d’une étude…

Dans un pre­mier temps, on va véri­fier l’efficacité du pro­gramme, tra­vailler sur des ajus­te­ments selon les popu­la­tions concer­nées et lorsque tout ceci sera bien calé, pro­po­ser cette for­ma­tion à ceux qui le souhaitent.

Et dans les com­pa­gnies d’incendies aussi ?

Déjà des exer­cices de cohé­rences car­diaques ont été pro­po­sés par les méde­cins qui ont fait la for­ma­tion Fire­care aux stages du pelo­ton des élèves capo­raux-chefs (PECH). Ensuite, le but va être de s’adapter à la popu­la­tion des CS pour leur offrir une for­ma­tion efficace.


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