Histoire — La lutte contre les incendies est, historiquement, une activité héroïque masculine. L’arrivée des femmes, intégrées dans un milieu « militaro-viril », a bouleversé les habitudes en caserne. Pour autant, la guerre des sexes n’existe pas puisqu’il s’agit d’une vocation ! Revenons sur le parcours de ces femmes en uniformes de pompier… ou pas !
Dès le début du XXe siècle, l’image et le rôle de la femme interrogent. Certains artistes se plaisent à imaginer le futur. Le célèbre imprimeur Albert Bergeret réalise en 1902, une série de cartes postales provocantes intitulée « les femmes de l’avenir ». Les illustrations montrent des femmes exerçant des métiers d’hommes (soldat, avocat, médecin, etc.). L’une d’entre-elle arbore le casque de pompier et une tenue plutôt légère et raccourcie.
Du fantasme à la réalité, il n’y a qu’un pas : dans la région de Vannes (56), une équipe de jeunes filles animent des manœuvres lors de différentes fêtes et banquets en Bretagne. Pour apercevoir les premières femmes-pompiers, il faut traverser l’Atlantique. Sur la côte ouest des États-Unis, Lillie Hitchcok Coit est, à San Francisco, la marraine de la Knickerbocker Engine Co. n°5. De plus, la ville de Los Angeles compte alors trois compagnies de volontaires féminines.
En France, la féminisation des armées remonte à la Première Guerre mondiale. Des infirmières étaient affectées au Service de Santé. Puis plus tard, en 1940, à Londres, est créé le corps féminin rattaché aux Forces Françaises Libres (FFL). Simone Mathieu, une ancienne gloire du tennis, dirige cette troupe. Par la suite, d’autres formations sont mises sur pied comme les sections féminines de la Flotte ou encore les fameuses
« Merlinettes », Corps féminin des transmissions (CFT) en Afrique du Nord. À la fin de la guerre, le décret du 15 octobre 1951 octroie une certaine reconnaissance avec la création du corps des Personnels féminins de l’Armée de terre (PFAT).
Il n’est pas rare de trouver, dans les corps ruraux, des femmes qui assistaient leurs maris sur certaines missions (transport de matériel, relevage des victimes, etc.) tout en réclamant le droit d’exercer ce métier qui leur est interdit. En 1974, Françoise Mabille, une jeune normande intrépide, endosse le veston de cuir et troque ses mocassins contre de larges bottes. À Barentin (Seine-Maritime), elle devient alors, la première femme pompier volontaire de France. Confrontée à la non-mixité des locaux, en cas de départ pour feu, elle explique se changer chez sa sœur qui habite juste à côté de la caserne. Autorisée à participer aux interventions hors du cadre légal et juridique, elle doit attendre le décret du 25 octobre 1976 pour être reconnue. Face caméra, elle affirme que « pour faire un bon pompier, il faut avoir la santé, le courage, ne pas avoir peur des accidents, du sang surtout et du feu principalement ». Loin des strass et des paillettes, au prix d’énormes efforts, elle finit par se faire accepter.
Tout en l’observant monter à l’échelle, des centaines de femmes gravissent avec elle les derniers échelons conduisant à un emploi exclusivement masculin. Dès 1977, on assiste au recrutement officiel de plusieurs d’entre elles. Dans le reste du monde, Judith Livers Brewer (1974) devient à Arlington (USA), la première femme-pompier salariée. Quelques années plus tard, Sue Batten rejoint la Fire Brigade de Londres (1982) et Brenda Berkman le FDNY.
À partir des années 1980, la féminisation s’accélère dans les armées. Le service national féminin voit le jour en 1972 ; cependant, l’accès est limité par des quotas (supprimés en 1998). Un matin de mai 1973, les premières PFAT franchissent le porche de l’état-major Champerret. Militaires à part entière, elles portent l’uniforme : pas de pantalon mais une jupe bleue en whipcord. Leur arrivée suscite à la fois inquiétude, curiosité et impatience.
Ces contractuelles administrées par la préfecture de Police sont ensuite remplacées par les SOFAT (sous-officiers féminins). Après un an à Saint-Maixent‑L’école, elles suivent une formation à l’école d’application de Dieppe (EPFAT). Pour la plupart, elles occupent des emplois administratifs (standardistes, secrétaires) au sein des services et bureaux de l’état-major et des groupements car à cette époque, l’idée qu’elles puissent partir au feu est inconcevable. D’ailleurs, on comprend aisément que cette situation n’était pas toujours facile à vivre. Elisabeth témoigne en 1982 : « Il faut constamment avoir l’esprit habile et accepter pas mal de choses […]. Il peut arriver quelquefois d’avoir à remettre des gens à leur place. On n’en reste pas moins femme, alors une marque par-ci, par-là de coquetterie, cela peut ajouter un rayon de soleil dans un bureau ».
Les premières femmes qui entrent dans le milieu sont d’abord des « héritières », des « filles de ». Ce phénomène est similaire dans l’armée, la gendarmerie et la police. Pour autant, la valorisation médiatique, à partir du milieu des années 1990, suscite des vocations. Chez les sapeurs-pompiers de Paris, les huit premières femmes à intégrer la compagnie d’incendie sont incorporées en janvier 2002.
Dans ces fameux reportages sur France 3, elles incarnent un modèle nouveau et la perspective de nouvelles opportunités de carrière pour les jeunes filles. En 2011, le capitaine Karine Degrémont sera la première femme commandant d’unité (CDS2 puis CSI — 34e cie), avant que le capitaine Perrine Montel en face de même dans une unité opérationnelle (23e cie) de la Brigade. Cette année, soit plus de vingt ans après, nous avons assisté à la prise de fonction de l’adjudant Amélie Schorsch, première chef de centre d’incendie et de secours, au CS Nativité (1ère cie)