Retour d’inter — Dans la nuit du 11 février 2021, un violent feu d’appartement se déclare boulevard Voltaire (XIe). Si les sapeurs-pompiers sauvent une habitante des flammes et prennent rapidement la situation en main, un événement inattendu va bouleverser le cours de l’intervention…
« Il est quatre heures du matin lorsque la sirène retentit dans toute la caserne, se remémore l’adjudant Didier V., sous-chef de centre de la caserne de Parmentier. En passant par le PVO, je suis rejoint par les chefs d’agrès du PS et de l’EPAN. Nous profitons de ce très court laps de temps pour planifier ensemble l’intervention. » Les sous-officiers connaissent bien le secteur : l’immeuble sinistré donne sur une grande avenue, facile d’accès pour les engins. « L’itinéraire est limpide. Mon seul point d’inquiétude concerne le sol verglacé, lié à la neige et au froid de ces derniers jours. » Pas de temps à perdre : après ce rapide briefing, les conducteurs démarrent leurs engins, les binômes s’équipent à l’arrière, et les sirènes vrombissent. Dans la nuit, les camions rouges fondent sur le lieu sinistré, ça décale pour feu d’appartement !
En arrivant sur les lieux, le chef d’agrès du fourgon, accompagné de ses hommes, observe l’appartement dévoré par les flammes. « En regardant la façade de l’immeuble sinistré, je distingue une personne sur le balcon. Deux portes-fenêtres sont déjà embrasées et d’énormes volutes de fumées noires s’évacuent de la dernière. » Une femme âgée y est réfugiée à l’extrémité gauche. Les rouleaux de fumées l’assaillant déjà. Ce n’est qu’une question de temps avant que le brasier ne l’atteigne. « Sauvetage au cinquième étage ! Ai-je le temps d’ordonner à mon chef d’agrès échelle qui élance sa nacelle vers les flammes » se remémore l’adjudant. Tandis que le sergent G. accomplit sa mission (voir encadré), le chef de garde prend quelques secondes pour analyser la façade. « L’immeuble de type haussmannien comprend six étages. Le feu s’étant déclaré au cinquième étage, la mission prioritaire reste la reconnaissance de ce dernier. La toiture du sixième étage, bien en retrait de la façade, semble empêcher les flammes de s’étendre au dernier niveau par l’extérieur. »
L’équipage du fourgon pénètre ensuite dans l’immeuble, à la suite des hommes du PS. Le bâtiment dispose de deux cages d’escalier de chaque côté du porche. « À ce moment précis, un homme d’une quarantaine d’années vient à ma rencontre, explique l’adjudant. Il y a le feu chez lui, au cinquième, et sa mère est encore à l’intérieur. Immédiatement, je comprends qu’il s’agit de la dame réfugiée sur le balcon. » Le sous-officier recoupe ensuite les informations données par le requérant. « J’ai la confirmation que plus personne ne se trouve dans l’appartement, ce qui est une bonne nouvelle pour nous. »
Dans la continuité, l’adjudant reconnaît la courette intérieure : aucune personne ne se manifeste, rien à signaler sur cette face. Toujours accompagné de son équipage, il donne ses premières missions. « Chaque équipe remonte une cage d’escalier et doit créer un exutoire pour s’assurer qu’aucun bouchon de fumée ne se forme dans les derniers niveaux. Je dois également savoir si celles-ci communiquent au sixième étage. » L’adjudant V. gravit ensuite l’escalier menant à l’appartement sinistré. « Les paliers ne desservent que deux appartements par niveau, rendant les futures reconnaissances relativement faciles à appréhender. »
Le sous-officier suit les tuyaux laissés par l’équipage du PS jusqu’au cinquième étage où il rejoint le chef d’agrès. « L’établissement de la lance est en cours. Sur le palier, je distingue facilement la porte de l’appartement, grande ouverte. Les flammes n’en sortent pas encore, mais le plafond de fumées noires est bien présent. » En parallèle, il apprend que l’autre cage d’escalier est indépendante, limitant encore les risques de propagation. Une fois toutes ces informations en sa possession l’adjudant redescend au quatrième étage et passe sa demande. « L’emprise du sinistre ne pourra pas être excessive, je préfère donc ne pas demander trop d’engins pour éviter que nos sapeurs se gênent dans leurs missions respectives. En revanche, les risques de propagation au sixième étage me poussent à faire une demande mesurée : un groupe habitation. » Juste après le message passé, le sous-officier apprend par radio qu’une personne est incommodée par les fumées au dernier niveau, confirmant sa volonté de reconnaître rapidement cet espace.
Des arcs électriques…
En remontant, le chef de garde remarque que l’établissement est opérationnel. Au moyen de sa lance, l’équipe d’attaque cherche à abattre les flammes à l’intérieur de l’appartement. Mais des arcs électriques limitent fortement l’action des soldats et menacent leur intégrité physique. Après quelques tentatives, le caporal-chef à la lance parvient à trouver le disjoncteur. Celui-ci étant derrière la porte d’entrée, il réussit à faire ricocher son jet pour l’atteindre et le faire disjoncter. Pour autant, la chaleur de l’appartement reste écrasante : plusieurs équipes se relaient continuellement afin de conserver une attaque efficace.
La chaleur au sixième ralentit drastiquement l’avancée des équipes du fourgon pour créer un exutoire. « Devant l’impossibilité de reconnaître le sixième par l’intérieur, j’ordonne au chef d’agrès EPAN, qui vient de terminer son sauvetage, de rassurer les éventuels résidents, retranchés au dernier niveau », explique l’adjudant V..
Pour autant, la situation évolue dans le bon sens. Rejoint par le capitaine Quentin H., officier de garde (OGC) de la 11e compagnie, le sous-officier lui rend compte de la situation : « l’attaque de l’appartement est efficace, nos hommes commencent à l’investir et l’exutoire du dernier niveau vient d’être fait ! Nous allons pouvoir reconnaître le sixième étage ».
L’adjudant V. et le capitaine H. sont côte à côte lorsqu’un message capital passe sur les ondes « Urgent, urgent, urgent, ici le chef d’agrès EPAN, je vous rends compte de la découverte de trois victimes dans le coma dans un appartement enfumé du sixième étage ». À l’écoute de ce message radio, les deux hommes comprennent que l’intervention bascule dans une toute autre ampleur. Le capitaine H. prend immédiatement le commandement des opérations de secours et demande un groupe médical en renfort. Si la partie incendie est maîtrisée, il comprend que l’effort va certainement se porter sur la prise en charge des victimes. Trois personnes en arrêt cardio-respiratoire (ACR) viennent d’être découvertes par le chef d’agrès EPAN et l’ensemble du sixième étage n’est pas encore reconnu. L’officier décide donc de sectoriser l’intervention en deux parties. D’une part, le secteur le plus défavorisé pour l’adjudant aux cinquième et sixième étages. De l’autre, le reste de l’immeuble, du rez-de-chaussée au quatrième. Quelques minutes plus tard, une quatrième victime en ACR est découverte dans un autre appartement de l’étage supérieur. Les quatre victimes sont évacuées de l’immeuble pour que les équipes médicales procèdent à la réanimation cardio-pulmonaire. Un deuxième PMA est rapidement créé pour gérer l’afflux brutal de victimes.
Un bilan très lourd
Pour anticiper la montée en puissance de la partie médicale, du poste de commandement tactique et afin d’articuler efficacement chaque secteur géographique, le commandant David P., officier supérieur de garde (OSG) du 2e groupement, prend à son tour le COS. « Je sectorise à nouveau l’intervention en désignant un directeur des secours incendie et sauvetage (DSIS) et un directeur des secours médicaux (DSM), détaille l’officier supérieur. Notamment pour la prise en charge des deux postes médicaux avancés. Je demande également d’autres moyens pour la prise en charge des victimes. »
Par la suite, les ambulances de réanimation procèdent à l’évacuation. Le bilan est déjà très lourd et s’aggrave une fois l’arrivée à l’hôpital. Au total : deux décédés, deux urgences absolues et deux urgences relatives. Pour la partie feu, un déblai d’envergure s’organise et durera jusqu’à midi. Les intervenants prennent en compte le devoir d’accompagnement des victimes. « Dans l’incendie, ces gens ont tout perdu. C’est important de leur laisser récupérer quelques affaires. Nous avons ce devoir en tant que service public de les accompagner avec toute l’empathie possible » insiste l’OSG.
Quelques jours plus tard, les hommes de la 11e compagnie apprennent le décès des deux personnes évacuées en urgence absolue. Dans ces circonstances tragiques, les soldats du feu gardent un goût amer de l’intervention. « Je partage avec tous mes camarades de la 11e compagnie une certaine frustration de n’avoir pu atteindre les habitants du sixième étage plus tôt. On se dit toujours que nous aurions pu en faire davantage. Pourtant, chacun s’est engagé remarquablement lors de cette opération, conclut le commandant P. C’est ce genre d’intervention qui donne un sens à notre engagement. Nous avons fait tout notre possible et c’est cela le plus important. »
Le sergent Jean-Noël G. raconte…
Chef d’agrès de l’EPAN 30 de Parmentier, acteur principal des quatre sauvetages
« Arrivé rapidement sur les lieux, je stationne mon échelle au pied de l’immeuble. J’aperçois au cinquième étage deux fenêtres enflammées. Une dame paniquée s’est réfugiée sur le balcon. Des volutes de fumées commencent à l’envelopper.
Il n’y a pas une seconde à perdre. Je croise brièvement le regard du chef d’agrès PS. Il comprend que j’ai vu la victime et que je me charge de la mission : sauvetage ! Je m’équipe de l’ARI et saute sur mon panier qui remonte les cinq étages. Pendant la montée, je tente de rassurer la victime à pleins poumons :
— Ne vous inquiétez pas madame, je suis là, on vient vous chercher.
En réalité, je crains surtout que cette dame âgée, acculée par les flammes et prostrée à l’extrémité de la rambarde, ne saute dans le vide. Ses vêtements commencent déjà à brûler et la chaleur venant de la fenêtre, derrière elle, se fait de plus en plus oppressante. Je saute alors de mon panier et m’intercale entre la victime et les flammes. Avec mes mains, je tape sur ses vêtements en feu. Fatiguée et dans un état de sidération, elle me paraît incapable de monter sur le balcon pour rejoindre le panier. Je la mets moi-même dans l’échelle aussi rapidement que possible. Ensemble nous rejoignons la terre ferme.
Mon conducteur trouve rapidement un point de regroupement des victimes (PRV). Je confie alors la dame aux policiers. En remontant, je croise le chef de garde qui m’ordonne de trouver et de rassurer les gens au sixième étage. Une fois en haut, le cinquième étage brûle toujours. Impossible de rejoindre les fenêtres du 6e et, surtout, je ne vois personne.
Je redescends donc mon panier au cinquième étage pour analyser la situation. Les flammes de la fenêtre centrale, donnant sur la porte d’entrée, s’amenuisent et la fumée devient grise. L’attaque de mes camarades est efficace ! Juste au-dessus, je remarque, malgré la nuit noire, que la fenêtre du sixième est très légèrement entrouverte : les fumées peuvent passer. Je peux avancer mon panier sans crainte d’être brûlé. L’ARI coiffé, j’arrive jusqu’à la fenêtre.
Une fois à l’intérieur, je me retrouve dans un espace de 10 m² totalement enfumé. Progressant à tâtons, je vois le pied d’une personne. Je regarde son visage : elle est dans le coma. Sur le lit, une deuxième victime, dans le coma également. Au sol, devant la porte d’entrée, une femme gît à plat dos. Je rends compte immédiatement à mes chefs : « URGENT, URGENT, URGENT, ici le chef d’agrès EPAN, je vous rends compte de la découverte de trois victimes dans le coma dans un appartement enfumé du sixième étage ».
Dégagement d’urgence
À ce stade, impossible de les évacuer seul. Je décide donc de les sortir par la porte d’entrée. Par chance, celle-ci est ouverte. En sortant je tombe sur une équipe qui vient de rejoindre le palier.
Les gars, venez m’aidez, il y a des sauvetages à faire, y’a des gens à descendre !
Mes camarades comprennent vite et viennent me donner un coup de main. J’effectue un dégagement d’urgence sur chaque victime. D’autres sapeurs, alertés par mon message radio, viennent nous prêter main forte. Nous évacuons rapidement les trois victimes par les escaliers. Une quatrième sera découverte dans un appartement voisin. Les équipes médicales prennent le relais et j’assurerai mes missions à l’EPAN pour le reste des opérations.
Lorsque je repense à cette intervention, je ressens à chaque fois une certaine frustration. Dans ce métier on aimerait toujours sauver tout le monde malgré les dangers, malgré la fatalité. Même si la réalité est parfois difficile à encaisser, je garde cette volonté, cette motivation, cette abnégation pour être prêt lors du prochain jour J ! »
Points favorables
- Facilité à reconnaître l’immeuble jusqu’au cinquième étage
- Faible risque de propagations
Points défavorables
- Intervention en pleine nuit et dans le froid
- Arcs électriques à l’entrée de l’appartement sinistré
- Feu sorti de son volume initial, entraînant des difficultés à reconnaître le sixième étage
Photos ADJ Benoit Moser