FEU D’APPARTEMENT, PARIS XIe — Cinq sauvetages et une tragique découverte

Maxime Gri­maud —  — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 08 h 35 
feu paris XIe

Retour d’inter — Dans la nuit du 11 février 2021, un violent feu d’appartement se déclare boulevard Voltaire (XIe). Si les sapeurs-pompiers sauvent une habitante des flammes et prennent rapidement la situation en main, un événement inattendu va bouleverser le cours de l’intervention…

« Il est quatre heures du matin lorsque la sirène reten­tit dans toute la caserne, se remé­more l’adjudant Didier V., sous-chef de centre de la caserne de Par­men­tier. En pas­sant par le PVO, je suis rejoint par les chefs d’agrès du PS et de l’EPAN. Nous pro­fi­tons de ce très court laps de temps pour pla­ni­fier ensemble l’intervention. » Les sous-offi­ciers connaissent bien le sec­teur : l’immeuble sinis­tré donne sur une grande ave­nue, facile d’accès pour les engins. « L’itinéraire est lim­pide. Mon seul point d’inquiétude concerne le sol ver­gla­cé, lié à la neige et au froid de ces der­niers jours. » Pas de temps à perdre : après ce rapide brie­fing, les conduc­teurs démarrent leurs engins, les binômes s’équipent à l’arrière, et les sirènes vrom­bissent. Dans la nuit, les camions rouges fondent sur le lieu sinis­tré, ça décale pour feu d’appartement !
En arri­vant sur les lieux, le chef d’agrès du four­gon, accom­pa­gné de ses hommes, observe l’appartement dévo­ré par les flammes. « En regar­dant la façade de l’immeuble sinis­tré, je dis­tingue une per­sonne sur le bal­con. Deux portes-fenêtres sont déjà embra­sées et d’énormes volutes de fumées noires s’évacuent de la der­nière. » Une femme âgée y est réfu­giée à l’extrémité gauche. Les rou­leaux de fumées l’assaillant déjà. Ce n’est qu’une ques­tion de temps avant que le bra­sier ne l’atteigne. « Sau­ve­tage au cin­quième étage ! Ai-je le temps d’ordonner à mon chef d’agrès échelle qui élance sa nacelle vers les flammes » se remé­more l’adjudant. Tan­dis que le ser­gent G. accom­plit sa mis­sion (voir enca­dré), le chef de garde prend quelques secondes pour ana­ly­ser la façade. « L’immeuble de type hauss­man­nien com­prend six étages. Le feu s’étant décla­ré au cin­quième étage, la mis­sion prio­ri­taire reste la recon­nais­sance de ce der­nier. La toi­ture du sixième étage, bien en retrait de la façade, semble empê­cher les flammes de s’étendre au der­nier niveau par l’extérieur. »


L’équipage du four­gon pénètre ensuite dans l’immeuble, à la suite des hommes du PS. Le bâti­ment dis­pose de deux cages d’escalier de chaque côté du porche. « À ce moment pré­cis, un homme d’une qua­ran­taine d’années vient à ma ren­contre, explique l’adjudant. Il y a le feu chez lui, au cin­quième, et sa mère est encore à l’intérieur. Immé­dia­te­ment, je com­prends qu’il s’agit de la dame réfu­giée sur le bal­con. » Le sous-offi­cier recoupe ensuite les infor­ma­tions don­nées par le requé­rant. « J’ai la confir­ma­tion que plus per­sonne ne se trouve dans l’appartement, ce qui est une bonne nou­velle pour nous. »

MON CHEF D’AGRÈS ÉCHELLE ÉLANCE SA NACELLE VERS LES FLAMMES

Dans la conti­nui­té, l’adjudant recon­naît la cou­rette inté­rieure : aucune per­sonne ne se mani­feste, rien à signa­ler sur cette face. Tou­jours accom­pa­gné de son équi­page, il donne ses pre­mières mis­sions. « Chaque équipe remonte une cage d’escalier et doit créer un exu­toire pour s’assurer qu’aucun bou­chon de fumée ne se forme dans les der­niers niveaux. Je dois éga­le­ment savoir si celles-ci com­mu­niquent au sixième étage. » L’adjudant V. gra­vit ensuite l’escalier menant à l’appartement sinis­tré. « Les paliers ne des­servent que deux appar­te­ments par niveau, ren­dant les futures recon­nais­sances rela­ti­ve­ment faciles à appré­hen­der. »
Le sous-offi­cier suit les tuyaux lais­sés par l’équipage du PS jusqu’au cin­quième étage où il rejoint le chef d’agrès. « L’établissement de la lance est en cours. Sur le palier, je dis­tingue faci­le­ment la porte de l’appartement, grande ouverte. Les flammes n’en sortent pas encore, mais le pla­fond de fumées noires est bien pré­sent. » En paral­lèle, il apprend que l’autre cage d’escalier est indé­pen­dante, limi­tant encore les risques de pro­pa­ga­tion. Une fois toutes ces infor­ma­tions en sa pos­ses­sion l’adjudant redes­cend au qua­trième étage et passe sa demande. « L’emprise du sinistre ne pour­ra pas être exces­sive, je pré­fère donc ne pas deman­der trop d’engins pour évi­ter que nos sapeurs se gênent dans leurs mis­sions res­pec­tives. En revanche, les risques de pro­pa­ga­tion au sixième étage me poussent à faire une demande mesu­rée : un groupe habi­ta­tion. » Juste après le mes­sage pas­sé, le sous-offi­cier apprend par radio qu’une per­sonne est incom­mo­dée par les fumées au der­nier niveau, confir­mant sa volon­té de recon­naître rapi­de­ment cet espace.

Feu d’ap­par­te­ment au 5e étage d’un immeuble d’ha­bi­ta­tion R+6. 2 lances en manœuvre

Des arcs électriques…

En remon­tant, le chef de garde remarque que l’établissement est opé­ra­tion­nel. Au moyen de sa lance, l’équipe d’attaque cherche à abattre les flammes à l’intérieur de l’appartement. Mais des arcs élec­triques limitent for­te­ment l’action des sol­dats et menacent leur inté­gri­té phy­sique. Après quelques ten­ta­tives, le capo­ral-chef à la lance par­vient à trou­ver le dis­jonc­teur. Celui-ci étant der­rière la porte d’entrée, il réus­sit à faire rico­cher son jet pour l’atteindre et le faire dis­jonc­ter. Pour autant, la cha­leur de l’appartement reste écra­sante : plu­sieurs équipes se relaient conti­nuel­le­ment afin de conser­ver une attaque effi­cace.
La cha­leur au sixième ralen­tit dras­ti­que­ment l’avancée des équipes du four­gon pour créer un exu­toire. « Devant l’impossibilité de recon­naître le sixième par l’intérieur, j’ordonne au chef d’agrès EPAN, qui vient de ter­mi­ner son sau­ve­tage, de ras­su­rer les éven­tuels rési­dents, retran­chés au der­nier niveau », explique l’adjudant V..
Pour autant, la situa­tion évo­lue dans le bon sens. Rejoint par le capi­taine Quen­tin H., offi­cier de garde (OGC) de la 11e com­pa­gnie, le sous-offi­cier lui rend compte de la situa­tion : « l’attaque de l’appartement est effi­cace, nos hommes com­mencent à l’investir et l’exutoire du der­nier niveau vient d’être fait ! Nous allons pou­voir recon­naître le sixième étage ».

Dessin de René Dosne
Des­sin par René Dosne (Toute repro­duc­tion interdite)


L’adjudant V. et le capi­taine H. sont côte à côte lorsqu’un mes­sage capi­tal passe sur les ondes « Urgent, urgent, urgent, ici le chef d’agrès EPAN, je vous rends compte de la décou­verte de trois vic­times dans le coma dans un appar­te­ment enfu­mé du sixième étage ». À l’écoute de ce mes­sage radio, les deux hommes com­prennent que l’intervention bas­cule dans une toute autre ampleur. Le capi­taine H. prend immé­dia­te­ment le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours et demande un groupe médi­cal en ren­fort. Si la par­tie incen­die est maî­tri­sée, il com­prend que l’effort va cer­tai­ne­ment se por­ter sur la prise en charge des vic­times. Trois per­sonnes en arrêt car­dio-res­pi­ra­toire (ACR) viennent d’être décou­vertes par le chef d’agrès EPAN et l’ensemble du sixième étage n’est pas encore recon­nu. L’officier décide donc de sec­to­ri­ser l’intervention en deux par­ties. D’une part, le sec­teur le plus défa­vo­ri­sé pour l’adjudant aux cin­quième et sixième étages. De l’autre, le reste de l’immeuble, du rez-de-chaus­sée au qua­trième. Quelques minutes plus tard, une qua­trième vic­time en ACR est décou­verte dans un autre appar­te­ment de l’étage supé­rieur. Les quatre vic­times sont éva­cuées de l’immeuble pour que les équipes médi­cales pro­cèdent à la réani­ma­tion car­dio-pul­mo­naire. Un deuxième PMA est rapi­de­ment créé pour gérer l’afflux bru­tal de victimes.

Pom­piers réa­li­sant le sau­ve­tage de l’une des vic­times du 6e étage

Un bilan très lourd


Pour anti­ci­per la mon­tée en puis­sance de la par­tie médi­cale, du poste de com­man­de­ment tac­tique et afin d’articuler effi­ca­ce­ment chaque sec­teur géo­gra­phique, le com­man­dant David P., offi­cier supé­rieur de garde (OSG) du 2e grou­pe­ment, prend à son tour le COS. « Je sec­to­rise à nou­veau l’intervention en dési­gnant un direc­teur des secours incen­die et sau­ve­tage (DSIS) et un direc­teur des secours médi­caux (DSM), détaille l’officier supé­rieur. Notam­ment pour la prise en charge des deux postes médi­caux avan­cés. Je demande éga­le­ment d’autres moyens pour la prise en charge des victimes. »

Éva­cua­tion des vic­times vers les hôpitaux


Par la suite, les ambu­lances de réani­ma­tion pro­cèdent à l’évacuation. Le bilan est déjà très lourd et s’aggrave une fois l’arrivée à l’hôpital. Au total : deux décé­dés, deux urgences abso­lues et deux urgences rela­tives. Pour la par­tie feu, un déblai d’envergure s’organise et dure­ra jusqu’à midi. Les inter­ve­nants prennent en compte le devoir d’accompagnement des vic­times. « Dans l’incendie, ces gens ont tout per­du. C’est impor­tant de leur lais­ser récu­pé­rer quelques affaires. Nous avons ce devoir en tant que ser­vice public de les accom­pa­gner avec toute l’empathie pos­sible » insiste l’OSG.

Le des­si­na­teur opé­ra­tion­nel : un atout pour le COS


Quelques jours plus tard, les hommes de la 11e com­pa­gnie apprennent le décès des deux per­sonnes éva­cuées en urgence abso­lue. Dans ces cir­cons­tances tra­giques, les sol­dats du feu gardent un goût amer de l’intervention. « Je par­tage avec tous mes cama­rades de la 11e com­pa­gnie une cer­taine frus­tra­tion de n’avoir pu atteindre les habi­tants du sixième étage plus tôt. On se dit tou­jours que nous aurions pu en faire davan­tage. Pour­tant, cha­cun s’est enga­gé remar­qua­ble­ment lors de cette opé­ra­tion, conclut le com­man­dant P. C’est ce genre d’intervention qui donne un sens à notre enga­ge­ment. Nous avons fait tout notre pos­sible et c’est cela le plus important. »

Le sergent Jean-Noël G. raconte…


Chef d’agrès de l’EPAN 30 de Parmentier, acteur principal des quatre sauvetages

« Arri­vé rapi­de­ment sur les lieux, je sta­tionne mon échelle au pied de l’immeuble. J’aperçois au cin­quième étage deux fenêtres enflam­mées. Une dame pani­quée s’est réfu­giée sur le bal­con. Des volutes de fumées com­mencent à l’envelopper.
Il n’y a pas une seconde à perdre. Je croise briè­ve­ment le regard du chef d’agrès PS. Il com­prend que j’ai vu la vic­time et que je me charge de la mis­sion : sau­ve­tage ! Je m’équipe de l’ARI et saute sur mon panier qui remonte les cinq étages. Pen­dant la mon­tée, je tente de ras­su­rer la vic­time à pleins poumons :

— Ne vous inquié­tez pas madame, je suis là, on vient vous cher­cher.
En réa­li­té, je crains sur­tout que cette dame âgée, accu­lée par les flammes et pros­trée à l’extrémité de la ram­barde, ne saute dans le vide. Ses vête­ments com­mencent déjà à brû­ler et la cha­leur venant de la fenêtre, der­rière elle, se fait de plus en plus oppres­sante. Je saute alors de mon panier et m’intercale entre la vic­time et les flammes. Avec mes mains, je tape sur ses vête­ments en feu. Fati­guée et dans un état de sidé­ra­tion, elle me paraît inca­pable de mon­ter sur le bal­con pour rejoindre le panier. Je la mets moi-même dans l’échelle aus­si rapi­de­ment que pos­sible. Ensemble nous rejoi­gnons la terre ferme.
Mon conduc­teur trouve rapi­de­ment un point de regrou­pe­ment des vic­times (PRV). Je confie alors la dame aux poli­ciers. En remon­tant, je croise le chef de garde qui m’ordonne de trou­ver et de ras­su­rer les gens au sixième étage. Une fois en haut, le cin­quième étage brûle tou­jours. Impos­sible de rejoindre les fenêtres du 6e et, sur­tout, je ne vois per­sonne.
Je redes­cends donc mon panier au cin­quième étage pour ana­ly­ser la situa­tion. Les flammes de la fenêtre cen­trale, don­nant sur la porte d’entrée, s’amenuisent et la fumée devient grise. L’attaque de mes cama­rades est effi­cace ! Juste au-des­sus, je remarque, mal­gré la nuit noire, que la fenêtre du sixième est très légè­re­ment entrou­verte : les fumées peuvent pas­ser. Je peux avan­cer mon panier sans crainte d’être brû­lé. L’ARI coif­fé, j’arrive jusqu’à la fenêtre.
Une fois à l’intérieur, je me retrouve dans un espace de 10 m² tota­le­ment enfu­mé. Pro­gres­sant à tâtons, je vois le pied d’une per­sonne. Je regarde son visage : elle est dans le coma. Sur le lit, une deuxième vic­time, dans le coma éga­le­ment. Au sol, devant la porte d’entrée, une femme gît à plat dos. Je rends compte immé­dia­te­ment à mes chefs : « URGENT, URGENT, URGENT, ici le chef d’agrès EPAN, je vous rends compte de la décou­verte de trois vic­times dans le coma dans un appar­te­ment enfu­mé du sixième étage ».

Déga­ge­ment d’urgence
À ce stade, impos­sible de les éva­cuer seul. Je décide donc de les sor­tir par la porte d’entrée. Par chance, celle-ci est ouverte. En sor­tant je tombe sur une équipe qui vient de rejoindre le palier.

Les gars, venez m’aidez, il y a des sau­ve­tages à faire, y’a des gens à des­cendre !
Mes cama­rades com­prennent vite et viennent me don­ner un coup de main. J’effectue un déga­ge­ment d’urgence sur chaque vic­time. D’autres sapeurs, aler­tés par mon mes­sage radio, viennent nous prê­ter main forte. Nous éva­cuons rapi­de­ment les trois vic­times par les esca­liers. Une qua­trième sera décou­verte dans un appar­te­ment voi­sin. Les équipes médi­cales prennent le relais et j’assurerai mes mis­sions à l’EPAN pour le reste des opé­ra­tions.
Lorsque je repense à cette inter­ven­tion, je res­sens à chaque fois une cer­taine frus­tra­tion. Dans ce métier on aime­rait tou­jours sau­ver tout le monde mal­gré les dan­gers, mal­gré la fata­li­té. Même si la réa­li­té est par­fois dif­fi­cile à encais­ser, je garde cette volon­té, cette moti­va­tion, cette abné­ga­tion pour être prêt lors du pro­chain jour J ! »


Points favorables

  • Faci­li­té à recon­naître l’immeuble jusqu’au cin­quième étage
  • Faible risque de propagations

Points défavorables

  • Inter­ven­tion en pleine nuit et dans le froid
  • Arcs élec­triques à l’entrée de l’appartement sinistré
  • Feu sor­ti de son volume ini­tial, entraî­nant des dif­fi­cul­tés à recon­naître le sixième étage

Pho­tos ADJ Benoit Moser

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