Retour d’inter — Jeudi 21 octobre 2021, un incendie hors norme consume le cœur du pont National. Entre les arcs électriques, l’environnement particulièrement défavorable et les risques d’explosion, seul un dispositif exceptionnel déployé par la Brigade permet d’éviter le pire. Retour sur un feu qui restera dans les annales.
Le jeudi 21 octobre à 5 h 30 du matin, un véhicule utilitaire s’embrase sur le quai d’Ivry, juste en dessous du pont National. Déclenché à la caserne, puis guidé par les fumées, l’équipage du PSE B de Masséna arrive rapidement sur les lieux. Les pompiers mettent leur camion en aspiration et démarrent l’extinction au moyen de la lance du dévidoir tournant (LDT). Le chef d’agrès PS identifie immédiatement la problématique du pont : les flammes lèchent sa structure et des lueurs rouges apparaissent à l’intérieur. Le feu s’est donc déjà propagé !
Malheureusement, il s’avère impossible pour les primo-intervenants de pénétrer dans l’édifice. La porte verrouillée nécessite les outils de forcement d’un fourgon. Devant cette situation, le sous-officier demande le complément de DN qui arrive quelques minutes plus tard. La manœuvre s’organise : le fourgon s’alimente lui aussi en aspiration, l’extinction du véhicule est presque achevée et des équipiers préparent le forcement de la porte. Alors que le chef de garde récupère les informations du chef d’agrès PS, des bruits inquiétants se portent à leurs oreilles : des claquements, signe d’un feu électrique. Le COS requiert donc la venue d’une remorque de poudre pour pallier ce danger. Méfiance.
Éclairs sous le pont
Soudain, d’immenses arcs électriques traversent la voûte, juste au-dessus des pompiers. Cette vision inquiète tous les intervenants durant une fraction de seconde. « Nous avons vraiment eu très peur pour nos équipes à ce moment-là » témoignent le chef d’agrès PS et le CDG. Tout de suite, les soldats se désengagent du pont. Fort heureusement, l’équipage est indemne. Le bruit des claquements devient de plus en plus fort et des morceaux incandescents s’écrasent en bas du quai.
Le commandant d’unité de la 2e compagnie arrive ensuite sur les lieux. Un premier périmètre de sécurité se déploie de chaque côté de l’ouvrage. À ce stade, les pompiers ne peuvent plus intervenir directement sur la structure. Il faut d’abord couper l’alimentation des installations électriques et des conduites sous pression. Or, chacune dépend d’un service public différent. De plus, les pompiers ne disposent pas d’informations sur le type de gaines et de conduites présent dans l’ouvrage. Impossible de deviner ce qui se consume, ni de connaître la configuration interne du pont.
fumées noires et risques d’explosion
Un véritable travail d’enquêteur s’organise alors entre les cadres. En parallèle de la sécurisation et des demandes de renforts, il faut identifier et faire intervenir le plus rapidement possible chaque service public dont les conduites passent par le pont. Les messages radio s’enchaînent mais la situation reste figée plusieurs heures.
Entretemps, les pompiers engagent des équipes en surface, armées de caméras thermiques, pour reconnaître l’autre versant du pont. Cette action va permettre notamment d’identifier d’éventuels puits d’accès et autres signes de propagations. Nouveau coup de chaud : à 9 h 30 un important panache de fumée noire se dégage sur toute la longueur du pont. À ce stade, il s’avère impossible d’en connaître l’origine. Par sécurité, les pompiers ferment la circulation fluviale. Pendant ce temps, les services publics arrivent progressivement à la PC et les soldats du feu identifient ceux qui exploitent le pont National. La liste est longue : Télécom, éclairages publics, eau potable, câbles électriques 63 KV de la SNCF, anciens câbles RTE, etc. L’enjeu consiste à repérer les installations dangereuses pour les intervenants.
Si le risque électrique est présent avec la haute tension, c’est bien la présence de CPCU et de conduite de gaz (200 et 300 mm à 18 bars) qui inquiète principalement les soldats du feu. Pour ne pas arranger les choses, chacun des services publics dispose d’un « process » différent pour couper son installation et certains fluides ne peuvent tout simplement pas être vidés, seulement descendus en pression. Évidemment, ce sont les plus dangereux qui sont concernés : le gaz et le CPCU. Le risque d’explosion est donc bien réel…
Un feu courant inarrêtable
Au fur et à mesure que les heures passent, les autorités publiques s’enquièrent de la situation face aux dégâts matériels, économiques et aux problèmes de circulations créés par l’incendie. La circulation sur le quai d’Ivry est coupée depuis plusieurs heures, tout comme celle du tramway. En dépit du risque avéré, la BSPP doit intervenir le plus vite possible une fois le maximum de fluides coupés.
Les soldats du feu organisent donc leur riposte au moyen d’un dispositif exceptionnel, encore jamais vu à la Brigade : la mobilisation des trois groupes ELD, soit Ivry-sur-Seine, Issy-les-moulineaux et le Blanc-Mesnil. Face à l’intensité extrême de l’engagement, les explorations longues durée représentent un atout crucial. Le lieutenant-colonel Guenanten, officier supérieur de garde, est à l’initiative de ce triple déploiement. S’il anticipe un combat long et éprouvant, c’est parce qu’il garde en mémoire un feu similaire datant de plus de 20 ans.
« Ce sinistre me rappelle en tout point le feu des galeries techniques de la BNF du 6 octobre 2000 » raconte-t-il (voir encadré page 32). Et pour cause : cette intervention fut un véritable cauchemar à l’époque. Durant des heures, les pompiers cherchèrent un feu invisible et insaisissable, courant sous leurs pieds.
Uniquement accessible par des trappes disséminées sur la voie publique. « Un feu de chemin de câble peut courir sur des centaines de mètres, dans des gaines enfouies jusqu’à 10 m sous terre, poursuit l’OSG. L’itinéraire est impossible à anticiper et nous contraint à courir constamment derrière lui. »
Dans l’immédiat, tant que le feu reste cloisonné au niveau du pont, les pompiers peuvent accéder aux parties sinistrées mais, s’il se propage et court sous les quais d’Ivry et de Bercy, ce terrible scénario se reproduira.
Pour anticiper cette évolution particulièrement défavorable et identifier rapidement les potentielles propagations, des équipiers armés de caméra thermiques reconnaissent les quais en surface, de part et d’autre du sinistre initial.
une véritable fournaise
À 11 h 30, le lieutenant-colonel Guenanten prend le COS et les pompiers lancent l’assaut dans l’ouvrage, malgré le risque avéré d’explosion.
L’intérieur est particulièrement difficile d’accès. Les soldats du feu doivent se mouvoir dans des conduits étroits, jusqu’à retirer leurs ARI pour se faufiler (voir encadré). Dans les entrailles du pont, c’est une véritable fournaise. La chaleur et l’humidité impliquent des températures proches de 100 degrés.
Méticuleusement, les ELD et les pompiers de Masséna s’affairent à éteindre le feu. Les relais s’enchaînent et il faut reconnaître le plus loin possible pour éliminer le risque de propagation au-delà du pont. Enfin, après plus de trois heures d’extinction et de reconnaissance, les militaires peuvent passer « feu éteint » sur les ondes radios.
« POUR LA PREMIÈRE FOIS, LES TROIS GROUPES ELD D’IVRY-SUR-SEINE, D’ISSY-LES-MOULINEAUX ET DU BLANC-MESNIL ONT ÉTÉ DÉPLOYÉS SIMULTANÉMENT. C’EST HISTORIQUE POUR MON CENTRE DE SECOURS QUI VIENT D’ACCOMPLIR SA PREMIÈRE INTERVENTION MAJEURE »
Adjudant Mickael Teissier Chef de centre d’Ivry-sur-Seine — Chef de groupe ELD le 19/10/2021
Lors de l’attaque du pont, les ELD s’engagent de chaque côté afin de prendre le feu en tenaille. À l’intérieur, les équipes pénètrent dans un conduit similaire aux entrailles d’un bateau. La chaleur ressentie se rapproche des 100 degrés et chaque pompier doit rester entre une et deux heures sous ARI, en circuit fermé, pour assurer les reconnaissances et l’attaque. Les passages s’avèrent particulièrement exigus et certaines parties béantes donnent sur la Seine. Malgré ces difficultés, une réelle synergie s’opère entre les ELD et les soldats du feu de Masséna, permettant d’assurer la réussite de la mission au terme d’un dur labeur.
Pourtant, une autre mission d’envergure doit être menée. Chaque opérateur des services publics touchés pénètre maintenant dans l’ouvrage, accompagné par des pompiers, pour identifier les dégâts causés à chacune de leur installation respective. Un travail de fourmis, qui durera encore de longues heures avant un retour progressif à la normale. En définitive, ce feu, à l’instar de celui de la BNF, délivre de nombreux enseignements en termes de RETEX, puisqu‘il concerne un type d’ouvrage sur lequel la BSPP n’intervient que rarement. Le sinistre aura néanmoins causé de lourds dégâts dans les gaines et les conduites. Ces dommages et nuisances se feront ressentir dans tous les quartiers avoisinant le pont. Les pompiers seront également impactés puisque les douches de Masséna ne délivreront pas d’eau chaude avant le lendemain matin !
« L’EXPÉRIENCE TIRÉE DU FEU DE LA BNF NOUS A PERMIS D’ANTICIPER LE PIRE ET DE L’ÉVITER. PLUTÔT QUE DE COURIR DERRIÈRE LES FLAMMES, LA BSPP A STOPPÉ LEUR AVANCÉE EN AMONT AUTANT QU’EN AVAL. »
Lieutenant-colonel David Guenanten OSG sur le pont National (2021) — CDG sur la BNF (2000)
Le 6 octobre 2000, un violent incendie se déclare sous le quai François Mauriac (BNF), générant d’énormes quantités de fumées âcres et toxiques. Plusieurs faisceaux de câbles électriques de 20 000 volts brûlent à plus de 10 m de profondeur sous la chaussée. Le dispositif doit être de nombreuses fois déplacé et remanié face à l’avancée du feu. L’intervention, qualifiée d’exceptionnelle par le général Lefèvre, commandant la Brigade, restera dans les annales du corps.