FEU SOUS LE PONT NATIONAL — Un enfer dans les entrailles de la ville

Maxime Gri­maud —  — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 08 h 45 

Retour d’inter — Jeudi 21 octobre 2021, un incendie hors norme consume le cœur du pont National. Entre les arcs électriques, l’environnement particulièrement défavorable et les risques d’explosion, seul un dispositif exceptionnel déployé par la Brigade permet d’éviter le pire. Retour sur un feu qui restera dans les annales.

Le jeu­di 21 octobre à 5 h 30 du matin, un véhi­cule uti­li­taire s’embrase sur le quai d’Ivry, juste en des­sous du pont Natio­nal. Déclen­ché à la caserne, puis gui­dé par les fumées, l’équipage du PSE B de Mas­sé­na arrive rapi­de­ment sur les lieux. Les pom­piers mettent leur camion en aspi­ra­tion et démarrent l’extinction au moyen de la lance du dévi­doir tour­nant (LDT). Le chef d’agrès PS iden­ti­fie immé­dia­te­ment la pro­blé­ma­tique du pont : les flammes lèchent sa struc­ture et des lueurs rouges appa­raissent à l’intérieur. Le feu s’est donc déjà pro­pa­gé !
Mal­heu­reu­se­ment, il s’avère impos­sible pour les pri­mo-inter­ve­nants de péné­trer dans l’édifice. La porte ver­rouillée néces­site les outils de for­ce­ment d’un four­gon. Devant cette situa­tion, le sous-offi­cier demande le com­plé­ment de DN qui arrive quelques minutes plus tard. La manœuvre s’organise : le four­gon s’alimente lui aus­si en aspi­ra­tion, l’extinction du véhi­cule est presque ache­vée et des équi­piers pré­parent le for­ce­ment de la porte. Alors que le chef de garde récu­père les infor­ma­tions du chef d’agrès PS, des bruits inquié­tants se portent à leurs oreilles : des cla­que­ments, signe d’un feu élec­trique. Le COS requiert donc la venue d’une remorque de poudre pour pal­lier ce dan­ger. Méfiance.

Éclairs sous le pont
Sou­dain, d’immenses arcs élec­triques tra­versent la voûte, juste au-des­sus des pom­piers. Cette vision inquiète tous les inter­ve­nants durant une frac­tion de seconde. « Nous avons vrai­ment eu très peur pour nos équipes à ce moment-là » témoignent le chef d’agrès PS et le CDG. Tout de suite, les sol­dats se désen­gagent du pont. Fort heu­reu­se­ment, l’équipage est indemne. Le bruit des cla­que­ments devient de plus en plus fort et des mor­ceaux incan­des­cents s’écrasent en bas du quai.

« Sou­dain, d’immenses arcs élec­triques tra­versent la voûte »

Le com­man­dant d’unité de la 2e com­pa­gnie arrive ensuite sur les lieux. Un pre­mier péri­mètre de sécu­ri­té se déploie de chaque côté de l’ouvrage. À ce stade, les pom­piers ne peuvent plus inter­ve­nir direc­te­ment sur la struc­ture. Il faut d’abord cou­per l’alimentation des ins­tal­la­tions élec­triques et des conduites sous pres­sion. Or, cha­cune dépend d’un ser­vice public dif­fé­rent. De plus, les pom­piers ne dis­posent pas d’informations sur le type de gaines et de conduites pré­sent dans l’ouvrage. Impos­sible de devi­ner ce qui se consume, ni de connaître la confi­gu­ra­tion interne du pont.

fumées noires et risques d’explosion
Un véri­table tra­vail d’enquêteur s’organise alors entre les cadres. En paral­lèle de la sécu­ri­sa­tion et des demandes de ren­forts, il faut iden­ti­fier et faire inter­ve­nir le plus rapi­de­ment pos­sible chaque ser­vice public dont les conduites passent par le pont. Les mes­sages radio s’enchaînent mais la situa­tion reste figée plu­sieurs heures.

Télé­com, éclai­rages publics, eau potable, câbles élec­triques 63 KV de la SNCF, anciens câbles RTE, etc. L’enjeu consiste à repé­rer les ins­tal­la­tions dan­ge­reuses pour les intervenants.

Entre­temps, les pom­piers engagent des équipes en sur­face, armées de camé­ras ther­miques, pour recon­naître l’autre ver­sant du pont. Cette action va per­mettre notam­ment d’identifier d’éventuels puits d’accès et autres signes de pro­pa­ga­tions. Nou­veau coup de chaud : à 9 h 30 un impor­tant panache de fumée noire se dégage sur toute la lon­gueur du pont. À ce stade, il s’avère impos­sible d’en connaître l’origine. Par sécu­ri­té, les pom­piers ferment la cir­cu­la­tion flu­viale. Pen­dant ce temps, les ser­vices publics arrivent pro­gres­si­ve­ment à la PC et les sol­dats du feu iden­ti­fient ceux qui exploitent le pont Natio­nal. La liste est longue : Télé­com, éclai­rages publics, eau potable, câbles élec­triques 63 KV de la SNCF, anciens câbles RTE, etc. L’enjeu consiste à repé­rer les ins­tal­la­tions dan­ge­reuses pour les intervenants.

Toute repro­duc­tion entière ou par­tielle interdite. 

Si le risque élec­trique est pré­sent avec la haute ten­sion, c’est bien la pré­sence de CPCU et de conduite de gaz (200 et 300 mm à 18 bars) qui inquiète prin­ci­pa­le­ment les sol­dats du feu. Pour ne pas arran­ger les choses, cha­cun des ser­vices publics dis­pose d’un « pro­cess » dif­fé­rent pour cou­per son ins­tal­la­tion et cer­tains fluides ne peuvent tout sim­ple­ment pas être vidés, seule­ment des­cen­dus en pres­sion. Évi­dem­ment, ce sont les plus dan­ge­reux qui sont concer­nés : le gaz et le CPCU. Le risque d’explosion est donc bien réel…

Un feu cou­rant inar­rê­table
Au fur et à mesure que les heures passent, les auto­ri­tés publiques s’enquièrent de la situa­tion face aux dégâts maté­riels, éco­no­miques et aux pro­blèmes de cir­cu­la­tions créés par l’incendie. La cir­cu­la­tion sur le quai d’Ivry est cou­pée depuis plu­sieurs heures, tout comme celle du tram­way. En dépit du risque avé­ré, la BSPP doit inter­ve­nir le plus vite pos­sible une fois le maxi­mum de fluides coupés.

Vision du pont avec la camé­ra thermique

Les sol­dats du feu orga­nisent donc leur riposte au moyen d’un dis­po­si­tif excep­tion­nel, encore jamais vu à la Bri­gade : la mobi­li­sa­tion des trois groupes ELD, soit Ivry-sur-Seine, Issy-les-mou­li­neaux et le Blanc-Mes­nil. Face à l’intensité extrême de l’engagement, les explo­ra­tions longues durée repré­sentent un atout cru­cial. Le lieu­te­nant-colo­nel Gue­nan­ten, offi­cier supé­rieur de garde, est à l’initiative de ce triple déploie­ment. S’il anti­cipe un com­bat long et éprou­vant, c’est parce qu’il garde en mémoire un feu simi­laire datant de plus de 20 ans.

« Un feu de che­min de câble peut cou­rir sur des cen­taines de mètres »

« Ce sinistre me rap­pelle en tout point le feu des gale­ries tech­niques de la BNF du 6 octobre 2000 » raconte-t-il (voir enca­dré page 32). Et pour cause : cette inter­ven­tion fut un véri­table cau­che­mar à l’époque. Durant des heures, les pom­piers cher­chèrent un feu invi­sible et insai­sis­sable, cou­rant sous leurs pieds.

Uni­que­ment acces­sible par des trappes dis­sé­mi­nées sur la voie publique. « Un feu de che­min de câble peut cou­rir sur des cen­taines de mètres, dans des gaines enfouies jusqu’à 10 m sous terre, pour­suit l’OSG. L’itinéraire est impos­sible à anti­ci­per et nous contraint à cou­rir constam­ment der­rière lui. »

Dans l’immédiat, tant que le feu reste cloi­son­né au niveau du pont, les pom­piers peuvent accé­der aux par­ties sinis­trées mais, s’il se pro­page et court sous les quais d’Ivry et de Ber­cy, ce ter­rible scé­na­rio se reproduira.

Pour anti­ci­per cette évo­lu­tion par­ti­cu­liè­re­ment défa­vo­rable et iden­ti­fier rapi­de­ment les poten­tielles pro­pa­ga­tions, des équi­piers armés de camé­ra ther­miques recon­naissent les quais en sur­face, de part et d’autre du sinistre ini­tial.
une véri­table four­naise
À 11 h 30, le lieu­te­nant-colo­nel Gue­nan­ten prend le COS et les pom­piers lancent l’assaut dans l’ouvrage, mal­gré le risque avé­ré d’explosion.

L’intérieur est par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile d’accès. Les sol­dats du feu doivent se mou­voir dans des conduits étroits, jusqu’à reti­rer leurs ARI pour se fau­fi­ler (voir enca­dré). Dans les entrailles du pont, c’est une véri­table four­naise. La cha­leur et l’humidité impliquent des tem­pé­ra­tures proches de 100 degrés.

Méti­cu­leu­se­ment, les ELD et les pom­piers de Mas­sé­na s’affairent à éteindre le feu. Les relais s’enchaînent et il faut recon­naître le plus loin pos­sible pour éli­mi­ner le risque de pro­pa­ga­tion au-delà du pont. Enfin, après plus de trois heures d’extinction et de recon­nais­sance, les mili­taires peuvent pas­ser « feu éteint » sur les ondes radios.

« POUR LA PREMIÈRE FOIS, LES TROIS GROUPES ELD D’IVRY-SUR-SEINE, D’ISSY-LES-MOULINEAUX ET DU BLANC-MESNIL ONT ÉTÉ DÉPLOYÉS SIMULTANÉMENT. C’EST HISTORIQUE POUR MON CENTRE DE SECOURS QUI VIENT D’ACCOMPLIR SA PREMIÈRE INTERVENTION MAJEURE »

Adjudant Mickael Teissier Chef de centre d’Ivry-sur-Seine — Chef de groupe ELD le 19/​10/​2021

Lors de l’attaque du pont, les ELD s’engagent de chaque côté afin de prendre le feu en tenaille. À l’intérieur, les équipes pénètrent dans un conduit simi­laire aux entrailles d’un bateau. La cha­leur res­sen­tie se rap­proche des 100 degrés et chaque pom­pier doit res­ter entre une et deux heures sous ARI, en cir­cuit fer­mé, pour assu­rer les recon­nais­sances et l’attaque. Les pas­sages s’avèrent par­ti­cu­liè­re­ment exi­gus et cer­taines par­ties béantes donnent sur la Seine. Mal­gré ces dif­fi­cul­tés, une réelle syner­gie s’opère entre les ELD et les sol­dats du feu de Mas­sé­na, per­met­tant d’assurer la réus­site de la mis­sion au terme d’un dur labeur.

Pour­tant, une autre mis­sion d’envergure doit être menée. Chaque opé­ra­teur des ser­vices publics tou­chés pénètre main­te­nant dans l’ouvrage, accom­pa­gné par des pom­piers, pour iden­ti­fier les dégâts cau­sés à cha­cune de leur ins­tal­la­tion res­pec­tive. Un tra­vail de four­mis, qui dure­ra encore de longues heures avant un retour pro­gres­sif à la nor­male. En défi­ni­tive, ce feu, à l’instar de celui de la BNF, délivre de nom­breux ensei­gne­ments en termes de RETEX, puisqu‘il concerne un type d’ouvrage sur lequel la BSPP n’intervient que rare­ment. Le sinistre aura néan­moins cau­sé de lourds dégâts dans les gaines et les conduites. Ces dom­mages et nui­sances se feront res­sen­tir dans tous les quar­tiers avoi­si­nant le pont. Les pom­piers seront éga­le­ment impac­tés puisque les douches de Mas­sé­na ne déli­vre­ront pas d’eau chaude avant le len­de­main matin !

« L’EXPÉRIENCE TIRÉE DU FEU DE LA BNF NOUS A PERMIS D’ANTICIPER LE PIRE ET DE L’ÉVITER. PLUTÔT QUE DE COURIR DERRIÈRE LES FLAMMES, LA BSPP A STOPPÉ LEUR AVANCÉE EN AMONT AUTANT QU’EN AVAL. »

Lieutenant-colonel David Guenanten OSG sur le pont National (2021) — CDG sur la BNF (2000)

Le 6 octobre 2000, un violent incen­die se déclare sous le quai Fran­çois Mau­riac (BNF), géné­rant d’énormes quan­ti­tés de fumées âcres et toxiques. Plu­sieurs fais­ceaux de câbles élec­triques de 20 000 volts brûlent à plus de 10 m de pro­fon­deur sous la chaus­sée. Le dis­po­si­tif doit être de nom­breuses fois dépla­cé et rema­nié face à l’avancée du feu. L’intervention, qua­li­fiée d’exceptionnelle par le géné­ral Lefèvre, com­man­dant la Bri­gade, res­te­ra dans les annales du corps.

Les gaines com­prennent plu­sieurs pas­sages de fluides, CPCU, EDF, RATP,… Un groupe explo­ra­tion longue durée est deman­dé pour les reconnaissances.

À LIRE AUSSI…

INSOLITE — La Brigade en miniature


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