Retour d’inter — 17 000 m2 d’entrepôts ravagés par les flammes, une tornade de feu dans le ciel et des capacités hydrauliques très limitées. Seule une manœuvre logistique d’ampleur et des moyens lourds ont permis aux soldats du feu de venir à bout de ce sinistre colossal. Rétrospective !
Vendredi 7 janvier 2022. Il est 2 heures du matin dans la ville de Stains (93), située en limite du secteur de la BSPP, aux portes du Val‑d’Oise (95). Entouré de jardins, traiteurs et restaurants, un vaste entrepôt, composé de dizaines d’alvéoles, subit l’assaut des flammes. L’incendie est déjà très développé et un grand panache de fumée domine la zone industrielle. Le sinistre se propage rapidement aux autres alvéoles et risque d’engloutir l’intégralité du bâtiment de 20.000 m2 (soit l’équivalent de trois terrain de football).
À peine arrivés sur place, les soldats de la 26e compagnie demandent l’envoi du renfort incendie. Deux lances grande puissance sont déployées pour tenter d’enrayer les propagations. Mais à ce stade, face à la violence de l’incendie, les lances 1.000 l/min ressemblent à de minuscules pistolets à eau…
En attendant les renforts des secteurs avoisinants, les primo-intervenants analysent le bâtiment. Si l’entrepôt est isolé sur ses quatre faces, la voie de circulation s’avère très étroite. Deux engins-pompe ne pourraient même pas se croiser. Pour ne rien arranger, il existe seulement deux entrées permettant d’accéder à l’entrepôt. Or, un incendie d’une telle ampleur nécessite de très nombreux engins à placer judicieusement. Cette configuration complique donc la grande manœuvre logistique à venir.
Autre inconvénient, les marchandises stockées dans les alvéoles sont très diverses et ne peuvent être identifiées. Du textile mais aussi des produits d’hygiène et d’entretien, rendant très difficile la lecture du feu. Dans les premières minutes de la manœuvre, des détonations se font entendre et une immense tornade de feu, créée par des solvants et une rafale de vent, tourbillonne dans le ciel. Un signal d’alerte pour les sapeurs-pompiers.
PAS ASSEZ D’EAU…
Dernier et principal problème : le réseau d’eau, à la limite du secteur Brigade, est pauvre, très pauvre. Les moyens alimentés sur les hydrants à proximité du bâtiment disposent d’un débit limité et seule la conduite de 400 mm à l’Ouest de l’entrepôt peut fournir un débit conséquent. Et si les pompiers veulent stopper l’avancée des flammes, les lances 1.000 l/min ne suffiront pas. Il faut déployer des moyens lourds : un ensemble grande puissance (EGP).
Mais la mise en place du dispositif va prendre beaucoup de temps. Arrivé sur les lieux, le colonel Le Corre, officier supérieur de garde, en est conscient. « Un incendie similaire dans un secteur bien doté en hydrants de grande capacité ? Un dispositif plus simple à déployer. Mais dans cette configuration, nous manquons cruellement d’eau. J’estime donc à plus d’une heure le temps de nous positionner. »
Pour assurer la fluidité du dispositif, la zone de déploiement initial (ZDI) est placée à l’extérieur de l’entrepôt. Tandis que les FACA s’alimentent et que les BEA se positionnent, le commandant des opérations de secours (COS) et ses chefs de secteur anticipent la manœuvre logistique. Ils prévoient de dresser une ligne d’arrêt pour protéger la partie administrative. Ce « barrage », le colonel Le Corre l’anticipe loin des flammes, à cinq alvéoles de distance. « Nous devons accepter de perdre du terrain dans le premier temps de la manœuvre, détaille-t-il. De plus, nous ne connaissons pas la nature exacte des marchandises contenues dans les alvéoles. L’incendie pourrait donc se propager bien plus vite que prévu. » Conséquence évidente : si le feu rattrape la ligne d’arrêt avant la fin des préparatifs, les pompiers perdront définitivement l’avantage.
LA BRIGADE CONTRE-ATTAQUE
Au sol, les binômes d’attaque suivent l’avancée du feu et tentent de limiter les propagations, armés de leurs lances 1 000 l/min. Pour atteindre la base des flammes il leur faut ouvrir les rideaux métalliques. Mais la double paroi isolante, avec mousse en polyuréthanne, est bien trop résistante pour les disqueuses du camion désincarcération (CD). Heureusement, les équipes RSMU arrivent en renfort et parviennent cette fois-ci à découper les portes pour créer des trouées d’attaque.
Enfin, après une longue phase de préparation, la séquence logistique et alimentation est achevée. Les troupes sont en place avec notamment deux BEA, positionnés de chaque côté de l’entrepôt et armés de puissantes lances-canon de 2.000 l/min. Les lances 1.000 et le robot d’extinction musclent le dispositif au sol. La deuxième phase commence : stopper l’avancée du feu qui a déjà ravagé 17.000 m² de l’entrepôt !
Pour porter un coup violent à l’incendie, les pompiers effectuent d’abord un “ONE SHOT”. Le barrage d’eau interrompt progressivement les propagations. Perché dans le ciel, le drone du GAS diffuse en temps réel une vision aérienne de la situation à la PC. Les chefs de secteur et les chefs d’agrès BEA disposent de tablettes de report. Ces outils technologiques permettent d’orienter plus facilement le jet des lances tout en conservant une vision globale de l’intervention.
Une fois l’incendie contenu, la troisième phase du plan d’attaque s’enclenche : la réarticulation du dispositif. « Pour compenser nos moyens hydrauliques très limités, nous devons exploiter au maximum la mobilité de nos lances, justifie l’officier supérieur. Nous ne sommes pas dans un cas de figure où les équipes d’attaque peuvent fixer leurs lances au dévidoir. Pour vaincre ce feu, il faut aller au contact. » Les lances à main et le REX s’affairent donc au pied de l’entrepôt. Ils pénètrent dans le bâtiment pour atteindre la base des flammes.
Chiffres Clés
3 lances canon dont 2 sur bras élévateur aérien et 1 sur le REX
7 lances grande puissance
2 lances
8 lignes de 110 établies
79 engins mobilisés
268 militaires engagés
ADAPTATION ET INVENTIVITÉ
Mieux, les militaires exploitent au maximum les lances de leur BEA. Ils déplacent le véhicule et le réalimentent régulièrement. « Sur son bras articulé, la lance canon est un outil très efficace et mobile. J’ai donc jugé opportun de l’employer à la manière d’une lance de plain-pied afin de frapper directement à l’intérieur de l’entrepôt, précise le COS. Avec leur mobilité, nos BEA cachent un énorme potentiel. Si besoin, ils peuvent même attaquer au ras des pâquerettes. » Une initiative encore peu commune au sein de la BSPP mais particulièrement efficace.
Si la phase d’extinction s’achève, les pompiers prennent également en considération les risques de pollution atmosphérique. Notamment en lien avec le processus PEIGASE (plateforme opérationnelle d’estimation des polluants lors d’incendies de grande ampleur pour la préservation de la santé et de l’environnement). En effet, le cône de propagation des fumées s’est dirigé vers des zones d’habitation densément peuplées. Ce facteur révèle la dimension interservices de l’opération, nécessitant une communication externe, notamment avec la préfecture du Val‑d’Oise.
Après plus de cinq heures de lutte, les pompiers deviennent maîtres du feu. L’extinction se poursuit à l’intérieur et les derniers foyers résiduels sont éteints. Les équipes cynotechniques, spécialisées en recherche de produits accélérateurs d’incendies (RPAI) se rendent sur les lieux avec le laboratoire central de la préfecture de Police. (voir article p 48) afin d’identifier l’origine du sinistre. Enfin, dix heures après le début de l’intervention, le feu est éteint et le bâtiment administratif est finalement sauvé. Pour laisser place à un long déblai et à plusieurs nuits de ronde au feu !
Messages Radio
03 h 10
Violent feu d’entrepôt de 17.000 m² environ à usage de stockage multiple. Deux lances grande puissance en manœuvre. Plusieurs détonations ressenties, poursuivons reconnaissances.
02 h 58
De l’adjudant-chef Costa : je demande renfort incendie.
03 h 21
Du lieutenant Bœuf : je prends le commandement des opérations de secours.
03 h 51
Je demande quatre engins-pompe et un camion désincarcération.
04 h 04
Du colonel Le Corre : je prends le commandement des opérations de secours.
04 h 21
Je demande deux engins-pompe et un groupe de recherche et sauvetage en milieu urbain. Le feu intéresse plusieurs alvéoles, quatre lances grande puissance en manœuvre et quatre lignes de 110 mm en cours d’établissement.
05 h 27
Cinq lances grande puissance dont une sur bras élévateur aérien et quatre lignes de 110 mm établies.
06 h 39
Je demande un fourgon d’appui camion d’accompagnement.
07 h 12
Je demande une relève d’attaque composée de quatre engins-pompe dont deux chefs de garde incendie. Feu circonscrit. Il intéresse la partie stockage d’un entrepôt de 20.000 m² environ.
08 h 11
Maître du feu. Deux lances grande puissance, trois lances et trois lances canons dont deux sur bras élévateurs aériens et une sur robot d’extinction en manœuvre. Huit lignes de 110 établies.
11 h 38
Je demande un véhicule de secours à victime et deux engins pompe chef de garde incendie.
13 h 34
Feu éteint.