Grands formats — Veste, sous-vêtement d’intervention et surpantalon, voici ce qui compose aujourd’hui la tenue de feu du sapeur-pompier de Paris. Parfois pointée du doigt pour sa couleur rouge, la nouvelle tenue de feu de la Brigade est aujourd’hui devenue incontournable chez les pompiers de Paris. Allo Dix-Huit vous fait découvrir comment ce nouvel ange gardien est né, de sa conception à sa confection.
Jouer avec le feu
« Nous avons remarqué, avec le dernier accident, que les brûlures repérées sur le pompier n’étaient pas aussi profondes que nous aurions pu le craindre. Sa tenue l’a sauvé. » Avec des flammes atteignant plus de 1 000°C et une exposition au feu d’environ douze secondes, le docteur Briche, cheffe de la section médicale secours à victime du bureau médical d’urgence, en est convaincue. Le drame aurait dû être bien plus lourd sans cette nouvelle tenue de feu. Alors d’où vient ce protecteur contre les chaleurs extrêmes ?
Tout commence en 2015 quand le bureau soutien de l’homme (BSH) cherche à renouveler le parc des tenues textiles et lance un appel d’offres. Autrefois géré par la société italienne Grassi, c’est aujourd’hui le groupe SIOEN, une entreprise basée à Graulhet dans le Tarn, filiale d’un groupe belge, qui remporte le lot. Le marché est conséquent. Au sein de la Brigade, le parc textile représente 10 000 tenues de feu, pour un coût d’environ 1,7 millions d’euros pour un seul groupement.
« Le cahier des charges était à la base plutôt classique. Il n’y avait pas un désir de tout changer de la part de la BSPP, l’idée principale étant d’améliorer la protection et l’image du pompier », raconte Jean-Luc Sarlat, responsable du marché pompier chez SIOEN.
Seulement voilà, SIOEN a dans son sac des nouveautés que la Brigade est prête à adopter.
« Un des problèmes rencontrés est la chaleur à l’intérieur de la tenue »
Dr Briche (BSPP)
Pour concevoir la tenue de feu la plus efficace, il faut avant tout connaître ses points de faiblesse. À l’aide des retours d’expériences (RETEX), le BSH identifie les zones les plus touchées en intervention. « D’abord nous allongeons la tenue de feu endommagée sur le sol , explique le commandant Capmarty, chef du BSH, puis nous observons les parties endommagées. Par exemple pour l’ancienne tenue de feu, on s’est rendu compte que les genoux étaient trop souvent exposés ». Avec ces informations précieuses, le BSH centralise toutes les remarques et observations réalisées sur chaque intervention pour établir une liste de points à améliorer.
Mais ce n’est pas tout. À cela s’ajoute les constatations des médecins en poste à la Brigade : « Nous avons l’épidémiologie de nos brûlés sur feu et nous repérons les zones touchées. En regroupant les analyses antérieures, nous constatons parfois que ce n’est pas la première fois et qu’il faut peut-être revoir des détails sur les tenues de feu », précise le docteur Briche. De son côté, le bureau de santé et de prévention (BSP) va centraliser toutes ses remarques pour les adresser au BSH. Une base de données supplémentaire et cruciale pour identifier les points de faiblesse de la tenue de feu des sapeurs-pompiers de Paris.
Avec toutes ces informations, l’entreprise SIOEN doit être capable de proposer des solutions. Un défis à double tranchant pour Jean-Luc Sarlat. « Il faut bien comprendre que la tenue de feu doit être une protection contre les flammes mais aussi contre soi-même. Si elle est trop lourde ou trop chaude, on expose les pompiers à une autre menace “le coup de chaud”. »
« Un des problèmes rencontrés est la chaleur à l’intérieur de la tenue », ajoute le docteur Briche. « Quand ils partent à l’attaque pour une durée respectée, entre l’effort physique, l’ambiance très chaude et la protection de la tenue, la température du corps augmente. Avec la déshydratation, arrivent les coups de chaleur. C’est un événement grave avec une mortalité importante, c’est pour cela qu’il faut agir vite. Ainsi prévention et vigilance en intervention sont primordiales. » Le bien-être du pompier ne concerne pas seulement l’aisance du mouvement, il concerne aussi et surtout la respirabilité de la tenue.
Des bases solides
Trois points importants sont finalement ciblés en plus des modifications prévues.
« Quand nous avons voulu changer la couleur de la tenue, en passant du bleu au rouge, cela en a surpris plus d’un », raconte le responsable de SIOEN. Au-delà d’une meilleure visibilité, la couleur rouge assure une meilleure protection face à la chaleur et notamment aux rayonnements.
« Il ne faut pas négliger que cette couleur nous a aussi permis de créer une identité visuelle forte. Aujourd’hui on nous reconnaît au premier regard », confirme le commandant Capmarty.
Reconnaître le combattant du feu par sa couleur, mais aussi par ses bandes réfléchissantes. Initialement composées de billes de verre, SIOEN propose une alternative plus efficace, des prismes en verre, permettant une réflection de la lumière plus importante. Les bandes rétro-réfléchissantes sont désormais plus visibles mais légèrement fragiles. Un parti pris assumé qui mise avant tout sur la visibilité.
Même logique avec le deuxième point établi par SIOEN : l’hygiène de la tenue. La couleur rouge a aussi pour vocation de repérer plus facilement une tenue de feu sale. « Avec la couleur bleue, on ne remarque pas forcément la saleté » éclaire le chef du BSH. « Si cette dernière, n’est ni identifiée, ni traitée, cela impacte les capacités de la tenue de feu. Avec ce changement de couleur, on influe sur l’hygiène et la protection. »
Coup double pour SIOEN qui va plus loin avec son dernier point à savoir la volonté de proposer des tenues de feu aux volumes plus imposants. « Nous nous sommes rendus compte que les pompiers de Paris étaient de véritables sportifs. Alors parfois, la tenue était trop serrée », affirme Jean-Luc Sarlat.
La tenue de feu commence alors à se distinguer plus clairement. Trois couleurs sont retenues, sablée pour le personnel d’exploration longue durée (ELD) et les formateurs incendie, rouge pour les groupements d’incendie et le traditionnel bleu pour le personnel en formation et les populations particulières (réservistes, volontaires au service civique). Pour améliorer l’ergonomie et le confort, la forme du col est modifiée, la taille du pantalon est rehaussée et la veste raccourcie. Des bretelles amovibles sont ajoutées ainsi que des bourrelets espaceurs épaule-poitrine. Quant aux renforts rigides du coude, ils sont supprimés. Attendues, des genouillères renforcées avec mousse de 9 mm préformée sont ajoutées.
Sur le plan fonctionnel, le ceinturon disparaît avec l’ajout d’une poche tricoise sur veste ou pantalon et de poches basses avec soufflet et accessibles avec port ARI. Enfin, des anneaux d’accrochage sont intégrés sous rabat de poche. Le ceinturon reste disponible en dotation individuelle mais ne fait plus partie intégrante de la tenue de feu.
Sur le papier, la tenue de feu paraît opérationnelle. Pourtant des zones d’ombres en ce qui concerne notamment les matières du complexage perdurent. Association de trois couches de matériaux différents, le complexage constitue la matière textile. Sur ces trois couches, seul le tissu extérieur n’est pas encore totalement défini. Deux solutions sont proposées : le Nomex®3DP et le TWIN SYSTEM®. C’est là que l’expérimentation rentre en jeu.
Avec ce changement de couleur, on influe sur l’hygiène et la protection.
Jean-Luc Sarlat (SIOEN)
EXPÉRIMENTATION : La voix de la science
« Avec ces tests auprès des sapeurs-pompiers de Paris, nous voulons avant tout déterminer si le pompier est à l’aise avec la tenue », expose Jean-Luc Sarlat, « Un pompier gêné par sa tenue risque d’être déconcentré et être en danger ».
Après des tests réalisés en laboratoires où sont étudiées les réactions des différentes couches du complexage, l’expérimentation sur le terrain est primordiale pour affiner certains éléments de la tenue de feu. Au sein de la Brigade, l’expérimentation a pour objectifs principaux d’une part d’apprécier les deux différents complexages et d’autre part de déterminer quel niveau de protection thermique et mécanique les deux types de tissus identifiés peuvent offrir. À cela s’ajoutent les attentes et les retours sur les emplacements de poches et accessoires ainsi que les qualités de confort, d’aisance au porter et de mise en lavage.
« Par rapport aux anciennes tenues, nous avons gardé ce qui était ergonomique notamment les soufflets au niveau des genoux. De plus, la veste est plus courte pour pouvoir mieux se tourner et le pantalon, en remontant un peu sur le haut du corps, permet à la veste de moins descendre sur les cuisses. » L’adjudant Espejo, aujourd’hui remplacé par l’adjudant Jauze, a chapeauté toute la phase d’expérimentation au sein du centre de formation de Villeneuve-Saint-Georges. À partir d’octobre 2016, plusieurs compagnies d’incendie et de secours (Ivry, Montreuil et Issy-les-Moulineaux) et le centre de formation de Villeneuve-Saint-Georges ont été mobilisés pour tester différentes tenues aux couleurs différentes.
« Pour nous, ce sont de vrais petits laboratoires, précise Jean-Luc Sarlat. Après leurs RETEX, nous avons commencé à mettre en place toutes nos idées et nos améliorations. Cela nous a permis d’être très exigeants avec nos fournisseurs, au point d’améliorer le rouge pour parvenir à cette teinte écarlate, couleur qui n’existait pas à la base. »
Sur place, les représentants du BSH et de SIOEN apportent les tenues de feu à tester. Avec des objectifs précis, les formateurs se lancent dans le caisson. « Nous nous exposons aux rayonnements d’un incendie pour livrer nos impressions. Ressenti de la chaleur ou pas, à quel moment apparaissent les picotements et cela, surtout par rapport à l’ancienne tenue de feu. » Pour l’adjudant Espejo, il n’y a pas de doute, cette nouvelle tenue est plus efficace que la précédente. Au centre de formation, deux exercices en caisson sont mis en place, l’un statique, l’autre en réalisant un petit effort avant insertion. « En formation, nous n’avons pas l’effort avant intervention, nous avons donc surtout travaillé sur les effets de la chaleur. »
Nous nous exposons aux rayonnements d’un incendie pour livrer nos impressions.
ADJ Espejo (BSPP)
Une tenue trouée
« Quand les formateurs sont sortis du caisson, nous avons remarqué que les escarbilles formées par le feu avaient troué la tenue » raconte le commandant Capmarty. Le problème concerne l’un des tissus testés : organisé en nid d’abeilles, il était censé protéger davantage. Finalement, il a été rapidement écarté, permettant aux observateurs de se concentrer sur d’autres points.
« Nous notons tous les ressentis de chaque formateur, nous prenons des photos, relevons les températures des parties de la tenue et pesons même les sous-vêtements d’intervention, avant et après le test pour contrôler le niveau de sudation », ajoute le commandant du BSH. Sur une grille d’évaluation, les remarques et résultats de ces expérimentations sont systématiquement relevés. Pour travailler plus efficacement, certaines tenues avaient par exemple des bras au complexage différent. « Ils étaient très attentifs à nos observations, mais surtout à notre confort » conclut l’adjudant Espejo.
Au fil des tests, la tenue de feu s’oriente vers un idéal réalisable. Arrive alors la fin des expérimentations. « La Brigade a réalisé un véritable effort financier. Choisir les bons équipements pour la meilleure protection, c’était leur objectif », explique Jean-Luc Sarlat. « Le produit final est plus que satisfaisant. Nos résultats sont hors norme. »
Nouveau départ pour la Brigade, qui compte bien continuer à innover en matière de tenue de feu.
LE SUIVI : Le retour au foyer
Dans sa version finale, la tenue de feu regroupe les innovations souhaitées telles que les bourrelets espaceurs sur la veste, au niveau des épaules et de la poitrine, et sur le pantalon, juste au niveau des cuisses. Thermiquement stable jusqu’à 250°C avec la création d’une couche d’air supplémentaire, la véritable prouesse technique repose sur le complexage en trois couches de la veste, le tissu extérieur, la membrane et la doublure thermique.
Son tissu extérieur, en assemblage 830 TWIN SQUARE Nomex® complexage trois couches 100 % en aramide, dispose d’une face extérieure en aramide (Nomex) de couleur rouge et une face intérieure en para-aramide (Twaron) de couleur jaune. Il peut se modifier sous l’effet de la chaleur en créant une isolation supplémentaire d’air reconnaissable par la formation de petits losanges, donnant un effet gaufré. Une protection accrue contre les déchirures et les particules incandescentes est apportée avec 85 % de matière face avant renforcé par 15 % de para-amide. Pour mesurer l’efficacité du tissu, il faut huit secondes avec une température entre 800°C et 1 000°C dans la flamme pour que le Nomex se carbonise et dix à quinze minutes si la température atteint 427°C.
Une membrane en PTFE (Polytétrafluoroéthylène) précède le tissu extérieur. Laminée sur un feutre 3D uniquement en aramide, cette barrière thermique et d’étanchéité limite la pénétration des liquides et offre une meilleure respirabilité. De plus, elle résiste seule à des températures de 280°C. Associée au complexage, elle peut fondre sous une exposition de 800°C à 1 000°C pendant une durée au moins supérieure à douze secondes.
Enfin, une doublure thermique en aramide 3D innovante complète la protection de la veste. Sous la forme de canaux, elle apporte un gain de confort, améliore la sécurité et réduit le poids de la veste. La doublure offre avant tout une isolation en limitant le contact avec la peau et en maintenant une couche d’air tout en minimisant l’accumulation d’humidité.
Le sous-vêtement d’intervention contribue à retarder le coup de chaleur et à protéger d’un contact direct avec la flamme. Il n’a pas subi de modification importante, contrairement au surpantalon. Toujours associé au pantalon Kermel SPF1, il se compose d’un tissu extérieur Nomex et d’une barrière d’étanchéité laminée sur doublure intérieure, constituée de canaux d’air.
C’est une nécessité de fournir à nos pompiers la meilleure protection possible.
CDT Capmarty (BSPP)
Une tenue optimale, efficace, mais qui peut encore être améliorée pour Jean-Luc Sarlat. « Nous sommes en train de mettre au point une nouvelle version du tissu, nous avons aussi résolu un problème survenu sur des cas de brûlures au fessier. Et puis, il y a toujours cet objectif de bien-être ». Cette constante évolution et recherche du meilleur produit, l’adjudant Espejo le confirme. Il raconte qu’encore aujourd’hui, de nouvelles vestes et surpantalons viennent être testés au centre de formation. « Une nouveauté par rapport au début du processus d’expérimentation, ce sont les observations physiologiques. Le BSH relève des données cardiaques et respiratoires pour améliorer la respirabilité de la tenue et comprendre comment elle s’adapte à la sudation. Les rapports de ces tests nous permettent aussi de comprendre ce que subissent nos corps et ça, c’est un réel plus pour nous. »
Dans la suite de cette évolution, le BSH développe aussi une tenue de feu adaptée au personnel féminin, déjà testée au centre d’incendie et de secours de Montreuil. Pour le commandant Capmarty, « nous devrions avoir une idée précise vers la fin de 2019. » Une continuité qui satisfait SIOEN et le BSH, mais aussi les formateurs. « Les formateurs sont contents de ce processus d’expérimentation parce que nous nous rendons compte que le BSH va jusqu’à la base du problème » expliquent les adjudants Espejo et Jauze. « Acheter des tenues de feu sur catalogue si elles n’ont pas été testées au moins dans une caserne ou soumises aux effets d’un incendie serait complètement aberrant. Aujourd’hui nous avons la chance d’avoir un BSH proche du terrain et c’est en allant vers ces hommes de terrain que la Brigade va améliorer leurs équipements. »
Mais la tenue de feu n’est pas le seul équipement que les pompiers de Paris utilisent. « Nous travaillons sur les autres équipements de protection individuelle (EPI), confirme le commandant Capmarty. C’est une nécessité de fournir à nos pompiers la meilleure protection possible ». Si le BSH a été réellement le moteur en interne BSPP et auprès des confectionneurs, les résultats obtenus sont issus de l’implication de tous : SIOEN, bureau planification opérationnelle, formateurs des caissons du groupement formation, division santé et bureau planification finances budget). Un effort collectif vers un objectif commun : protéger nos soldats du feu.
La couleur des tenues
Sablée, rouge ou bleue, les couleurs choisies par le BSH pour les nouvelles tenues de feu ne sont en aucun cas des effets de mode. Toujours dans la recherche d’une meilleure protection, les tests réalisés en laboratoire ont prouvé que ce changement de couleur était nécessaire.
En fonction du type de transfert de chaleur et dans le temps. SIOEN mesure alors le HTI, le temps de montée en température, de 12°C (HTI 12) ou de 24°C (HTI 24) au niveau de la peau. Pour un transfert de chaleur par flamme, la norme est de treize secondes pour un HTI 24. Les tenues testées atteignent des temps allant de dix-sept secondes (tenue de feu rouge) à vingt secondes maximum (tenue de feu sablée). En ce qui concerne les transferts de chaleur par rayonnement, la norme de dix-huit secondes est largement dépassée avec des tenues allant de vingt-et-une secondes (tenue de feu bleue) à vingt-trois secondes (tenue de feu rouge). De plus, au fur et à mesure des lavages, le tissu extérieur voit son HTI légèrement augmenter par réaction chimique. Cela pouvant aller jusqu’à un gain de deux secondes après vingt-cinq lavages.
Les différences de temps mesurées sont de l’ordre de quelques secondes entre la sable, la rouge et la bleue. Mais ces quelques secondes sont importantes car elles augmentent le temps de réaction du porteur pour se soustraire au rayonnement (temps de fuite). Après observation, on sait que la couleur sable résiste plus au rayonnement, suivie de près par la couleur rouge. La couleur bleue est nettement en dessous des deux autres couleurs.
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