Web-série — Véritable pilier de la formation continue chez les pompiers de Paris, la gymnastique revient en compagnie d’incendie. Entre histoire et tradition, découvrez les facettes de cette discipline emblématique pour la Brigade. Le premier épisode de notre série sur le sport à la Brigade.
En 1818, après la création du bataillon des sapeurs-pompiers de Paris, le lieutenant-colonel Jean-Baptiste Plazanet trouve une activité pour épanouir et aguerrir ces jeunes gens : la gymnastique. À cette époque le colonel Francisco Amorós, réfugié espagnol des guerres napoléoniennes, enseigne cet art nouveau en France. Cette discipline comprend à la fois les agrès, la course, l’escrime mais aussi… le chant et la philosophie. Rapidement nommé instructeur du Bataillon, il dirige le premier gymnase normal militaire, dans le quartier de Grenelle et forme les instructeurs. Au vu des résultats très satisfaisants, le lieutenant-colonel Plazanet propose au ministre de la Guerre d’étendre à tout son Bataillon ce genre d’éducation donnant aux soldats une plus grande agilité, beaucoup d’adresse et plus d’assurance dans le péril. Par la suite, c’est toute l’armée française qui pratiquera la discipline. En 1830, chacune des quatre compagnies accueille un sapeur-pompier moniteur. Dès le Second Empire, quatre gymnases permettent aux pompiers de s’entraîner. Les concours de gymnastique apparaissent et l’entraînement permanent en bottes d’incendie est si ardu que de nombreux sapeurs abandonnent leur instruction. Les moniteurs constituent l’élite du Bataillon durant tout le XIXe siècle. Seuls à pouvoir prétendre au service de la pompe sur feu, ils portent un insigne en tissu distinctif sur leur tenue pour être désignés afin d’accomplir les sauvetages périlleux. La pratique tant apparentée à l’excellence physique et opérationnelle s’intègre au système d’avancement : un postulant au grade de caporal est obligatoirement un gymnaste accompli. Des exercices comme la planche trouveront leurs origines dans le règlement d’éducation physique présent dans chaque compagnie.
LA GYMNASTIQUE, EMBLEME DE LA BRIGADE
Durant la Grande Guerre, les moniteurs détachés au bataillon de Joinville apportent une dimension plus artistique à la discipline. Les mouvements statiques alliés au travail de la souplesse remplacent la force brute. À la fin du conflit, le Régiment tente difficilement de renouveler ses effectifs. Assez naturellement, on place l’espoir de recrutement sur le prestige de la gymnastique. La « Spéciale » est ainsi créée le 8 juin 1919 en qualité d’ambassadrice de l’Institution. Sa mission principale : assurer des représentations en France et à l’étranger avec ses neuf instructeurs. L’adjudant Joseph Maigrot, moniteur-chef de l’équipe, crée la plupart des nouveaux numéros dans les années 1930 et l’équipe remporte même les championnats de France en 1936. Dès 1939, la pratique est néanmoins ébranlée par l’occupation allemande.
Les associations de gymnastique soupçonnées de camoufler des entités de préparation militaire subissent la pression des envahisseurs. Dans les années 60, le major Yvon Delvaux, à la tête de l’équipe depuis treize ans, conçoit les exercices dynamiques, les démonstrations sur les échelles aériennes, le travail en tenue de feu et les agrès avec un cercle enflammé. Au fil des décennies, les tournées s’enchaînent à l’international : Alger, Prague, Turin, Los Angeles ou encore Ouagadougou par 48,5°C. Dans le tournant des années 2000, la « Spéciale » se compose de 50 hommes et son efficience n’est plus à prouver. En 2011, elle participe au Festival international du cirque de Monte-Carlo et reçoit cinq récompenses. C’est la consécration ! Depuis 2014, le sergent-chef Guy est chargé de conduire ce groupe de gymnastique.
LE RETOUR DE LA GYM EN COMPAGNIE D’INCENDIE
Pendant plus de deux siècles, les sapeurs-pompiers de Paris pratiquent la gymnastique au sein des centres de secours. Cette discipline, qui permet de développer l’agilité, la force et le courage des individus a pris plusieurs formes au fil du temps : échelle oblique, rétablissement sur une poutre en hauteur, passage en équilibre, saut à la barre élevée, planche à rainures, barres parallèles, barre fixe, sol, etc. Depuis les années 1930, les meilleurs gymnastes s’affrontent lors du concours Lebrun, véritable challenge institutionnel de haut niveau. Au début, inter-compagnies, il sera ensuite inter-groupements. Cependant, en 2009, face à l’augmentation fulgurante de la charge opérationnelle, cette compétition est suspendue. Trois ans plus tard, les problèmes de ressources humaines et l’accidentologie sportive viennent à bout de la discipline à la Brigade. Ce sport n’est plus considéré comme activité fondamentale, le personnel n’est d’ailleurs plus évalué lors des contrôles annuels.
Lors de sa prise de fonction, le général Jean-Claude Gallet affirme son désir de mettre en place une réforme dont la rusticité, l’aguerrissement et la gymnastique représentent les piliers, tant dans la formation qu’en compagnie d’incendie.« Depuis plus d’un an, les spécialistes EPMS de l’ensemble des groupements, ainsi que l’officier chargé des sports mènent une grande réforme EPMS au sein du bureau ingénierie de la formation (BIF). », explique le major Éric Carpentey du BIF. « En 2018, la parution d’une nouvelle doctrine a concrétisé nos travaux. Elle stipule notamment le retour de la gymnastique parmi les activités physiques fondamentales (APF). Cette année, elle réintègre aussi les contrôles physiques obligatoires (CPO) au travers du contrôle annuel de l’EAPO et ce, de manière progressive. En 2019, nous réintroduisons les exercices de barres parallèles, en 2020 ceux du sol. Les années 2021 et 2022 devraient être celles des anneaux. Sorti de son contexte impressionnant en compétition, cet agrès très pédagogique permet de multiples sollicitations musculaires et articulaires, tant au niveau du gainage, de la ceinture scapulaire que des muscles profonds.”
AU-DELA DES FRONTIERES
Quoi de plus valorisant pour les gymnastes qui composent le groupe de présenter leur travail en arborant fièrement les couleurs de l’Institution. Chaque année, ils assurent vingt-cinq représentations et sont très régulièrement sollicités pour faire le show à l’occasion des différentes journées « portes ouvertes » des centres de secours, cérémonies militaires et autres festivités de la BSPP. Les invitations dépassent aussi les frontières : festivals internationaux comme celui de la musique militaire à Rotterdam, anniversaires de centres de secours civils ou de clubs sportifs. Ils entretiennent avec brio le lien armée-nation. Le plus souvent, c’est main dans la main avec la Musique de la Brigade qu’ils parcourent les routes de France. « Je serai éternellement reconnaissant au major Dominique Fiaudrin de nous avoir propulsé tel un véritable tremplin au-devant de la scène. Après la période difficile traversé par le groupe de gym, sans lui, nous représenter aujourd’hui, serait certainement un véritable parcours du combattant », confie avec émotion le sergent-chef Benjamin Guy, moniteur en chef du groupe.
Il existe huit numéros différents, adaptables en fonction du temps, de l’emplacement et du nombre de gymnastes disponibles. Parmi eux, un numéro emblématique, « Les Girls », créé par l’adjudant-chef Joseph Maigrot dans les années 30, représente la figure de proue des programmes proposés.
Du côté de la logistique, le groupe prend la route la veille car il assure le chargement du matériel depuis Masséna, mais aussi son déchargement et le montage sur les lieux. Le jour J est exclusivement réservé à une répétition d’environ deux heures le matin, d’un temps de repos obligatoire, puis d’un échauffement de vingt minutes avant le coup de sifflet. « Il faut savoir qu’aucun sportif n’effectue une figure durant une représentation sans l’avoir au préalable validée au moins trois fois en entraînement. Pas de place à l’improvisation, ou à la prise de risque liée à l’excitation du moment, le danger est non seulement bien réel, mais aussi connu de tous » insiste fermement le sergent-chef Benjamin Guy. La journée du lendemain est dédiée au retour et à la réintégration du matériel.
Comme la musique, le devoir du groupe de gym va bien au-delà de la représentation. Il fait également rayonner au plus haut l’image de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Dans le public, des jeunes se posent souvent la même question : « et si moi aussi je devenais sapeurs-pompiers de Paris ? » C’est la raison pour laquelle les gymnastes sont habitués à répondre aux interrogations de potentiels candidats heureux de rencontrer des militaires accessibles, dynamiques et passionnés.
À LA RENCONTRE DU COMMANDANT GEORGES HEBERT
Il est le créateur d’une méthode d’éducation physique connue et pratiquée par un grand nombre de sportifs internationaux, y compris les sapeurs-pompiers de Paris. Parcourant le monde lors de ses missions sur un voilier de 1895 à 1903 Georges Hébert conçoit sa méthode en observant le très bon état de santé, ainsi que les qualités physiques et morales exceptionnelles des peuples indigènes vivant, en pleine nature, une vie très active. Il observe les mêmes faits chez ses matelots qui accomplissent quotidiennement, en plein air, un travail physique intense et pénible. Il en conclut que l’addition des éléments naturels représentés par l’air, le soleil, l’eau et l’accomplissement d’un travail physique quotidien suffisamment complet, permettent à l’homme d’aboutir à un parfait équilibre physiologique et moral. À son retour en France, Georges Hébert applique les résultats de ses études.
En 1908, le ministère de la marine le charge de l’entrainement physique et de la formation des moniteurs, a l’école des fusiliers-marins. Pendant la grande guerre, il est à la tête d’une compagnie de fusiliers-marins. Mis à la retraite en 1919 sur sa demande, le commandant Hebert se consacre entièrement à sa méthode d’éducation physique. Elle est officiellement adoptée par l’Éducation nationale et contribue largement à la formation sportive de base de la jeunesse française de l’époque. Grâce à la traduction de son ouvrage en treize langues, la méthode « Georges Hebert » est reconnue dans de nombreux pays.
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