WEB-SERIE SPORT (1/​4) GRAND FORMAT — Gymnastique et BSPP, histoires parallèles

Web-série — Véritable pilier de la formation continue chez les pompiers de Paris, la gymnastique revient en compagnie d’incendie. Entre histoire et tradition, découvrez les facettes de cette discipline emblématique pour la Brigade. Le premier épisode de notre série sur le sport à la Brigade.

La rédac­tion Allo18 —  — Modi­fiée le 21 juillet 2024 à 09 h 46 

En 1818, après la créa­tion du bataillon des sapeurs-pom­piers de Paris, le lieu­te­nant-colo­nel Jean-Bap­tiste Pla­za­net trouve une acti­vi­té pour épa­nouir et aguer­rir ces jeunes gens : la gym­nas­tique. À cette époque le colo­nel Fran­cis­co Amorós, réfu­gié espa­gnol des guerres napo­léo­niennes, enseigne cet art nou­veau en France. Cette dis­ci­pline com­prend à la fois les agrès, la course, l’escrime mais aus­si… le chant et la phi­lo­so­phie. Rapi­de­ment nom­mé ins­truc­teur du Bataillon, il dirige le pre­mier gym­nase nor­mal mili­taire, dans le quar­tier de Gre­nelle et forme les ins­truc­teurs. Au vu des résul­tats très satis­fai­sants, le lieu­te­nant-colo­nel Pla­za­net pro­pose au ministre de la Guerre d’étendre à tout son Bataillon ce genre d’éducation don­nant aux sol­dats une plus grande agi­li­té, beau­coup d’adresse et plus d’assurance dans le péril. Par la suite, c’est toute l’armée fran­çaise qui pra­ti­que­ra la dis­ci­pline. En 1830, cha­cune des quatre com­pa­gnies accueille un sapeur-pom­pier moni­teur. Dès le Second Empire, quatre gym­nases per­mettent aux pom­piers de s’entraîner. Les concours de gym­nas­tique appa­raissent et l’entraînement per­ma­nent en bottes d’incendie est si ardu que de nom­breux sapeurs aban­donnent leur ins­truc­tion. Les moni­teurs consti­tuent l’élite du Bataillon durant tout le XIXe siècle. Seuls à pou­voir pré­tendre au ser­vice de la pompe sur feu, ils portent un insigne en tis­su dis­tinc­tif sur leur tenue pour être dési­gnés afin d’accomplir les sau­ve­tages périlleux. La pra­tique tant appa­ren­tée à l’excellence phy­sique et opé­ra­tion­nelle s’intègre au sys­tème d’avancement : un pos­tu­lant au grade de capo­ral est obli­ga­toi­re­ment un gym­naste accom­pli. Des exer­cices comme la planche trou­ve­ront leurs ori­gines dans le règle­ment d’éducation phy­sique pré­sent dans chaque compagnie.

LA GYMNASTIQUE, EMBLEME DE LA BRIGADE

Durant la Grande Guerre, les moni­teurs déta­chés au bataillon de Join­ville apportent une dimen­sion plus artis­tique à la dis­ci­pline. Les mou­ve­ments sta­tiques alliés au tra­vail de la sou­plesse rem­placent la force brute. À la fin du conflit, le Régi­ment tente dif­fi­ci­le­ment de renou­ve­ler ses effec­tifs. Assez natu­rel­le­ment, on place l’espoir de recru­te­ment sur le pres­tige de la gym­nas­tique. La « Spé­ciale » est ain­si créée le 8 juin 1919 en qua­li­té d’ambassadrice de l’Institution. Sa mis­sion prin­ci­pale : assu­rer des repré­sen­ta­tions en France et à l’étranger avec ses neuf ins­truc­teurs. L’adjudant Joseph Mai­grot, moni­teur-chef de l’équipe, crée la plu­part des nou­veaux numé­ros dans les années 1930 et l’équipe rem­porte même les cham­pion­nats de France en 1936. Dès 1939, la pra­tique est néan­moins ébran­lée par l’occupation allemande.

Les asso­cia­tions de gym­nas­tique soup­çon­nées de camou­fler des enti­tés de pré­pa­ra­tion mili­taire subissent la pres­sion des enva­his­seurs. Dans les années 60, le major Yvon Del­vaux, à la tête de l’équipe depuis treize ans, conçoit les exer­cices dyna­miques, les démons­tra­tions sur les échelles aériennes, le tra­vail en tenue de feu et les agrès avec un cercle enflam­mé. Au fil des décen­nies, les tour­nées s’enchaînent à l’international : Alger, Prague, Turin, Los Angeles ou encore Oua­ga­dou­gou par 48,5°C. Dans le tour­nant des années 2000, la « Spé­ciale » se com­pose de 50 hommes et son effi­cience n’est plus à prou­ver. En 2011, elle par­ti­cipe au Fes­ti­val inter­na­tio­nal du cirque de Monte-Car­lo et reçoit cinq récom­penses. C’est la consé­cra­tion ! Depuis 2014, le ser­gent-chef Guy est char­gé de conduire ce groupe de gymnastique.

LE RETOUR DE LA GYM EN COMPAGNIE D’INCENDIE

Pen­dant plus de deux siècles, les sapeurs-pom­piers de Paris pra­tiquent la gym­nas­tique au sein des centres de secours. Cette dis­ci­pline, qui per­met de déve­lop­per l’agilité, la force et le cou­rage des indi­vi­dus a pris plu­sieurs formes au fil du temps : échelle oblique, réta­blis­se­ment sur une poutre en hau­teur, pas­sage en équi­libre, saut à la barre éle­vée, planche à rai­nures, barres paral­lèles, barre fixe, sol, etc. Depuis les années 1930, les meilleurs gym­nastes s’affrontent lors du concours Lebrun, véri­table chal­lenge ins­ti­tu­tion­nel de haut niveau. Au début, inter-com­pa­gnies, il sera ensuite inter-grou­pe­ments. Cepen­dant, en 2009, face à l’augmentation ful­gu­rante de la charge opé­ra­tion­nelle, cette com­pé­ti­tion est sus­pen­due. Trois ans plus tard, les pro­blèmes de res­sources humaines et l’accidentologie spor­tive viennent à bout de la dis­ci­pline à la Bri­gade. Ce sport n’est plus consi­dé­ré comme acti­vi­té fon­da­men­tale, le per­son­nel n’est d’ailleurs plus éva­lué lors des contrôles annuels.

Lors de sa prise de fonc­tion, le géné­ral Jean-Claude Gal­let affirme son désir de mettre en place une réforme dont la rus­ti­ci­té, l’aguerrissement et la gym­nas­tique repré­sentent les piliers, tant dans la for­ma­tion qu’en com­pa­gnie d’incendie.« Depuis plus d’un an, les spé­cia­listes EPMS de l’ensemble des grou­pe­ments, ain­si que l’officier char­gé des sports mènent une grande réforme EPMS au sein du bureau ingé­nie­rie de la for­ma­tion (BIF). », explique le major Éric Car­pen­tey du BIF. « En 2018, la paru­tion d’une nou­velle doc­trine a concré­ti­sé nos tra­vaux. Elle sti­pule notam­ment le retour de la gym­nas­tique par­mi les acti­vi­tés phy­siques fon­da­men­tales (APF). Cette année, elle réin­tègre aus­si les contrôles phy­siques obli­ga­toires (CPO) au tra­vers du contrôle annuel de l’EAPO et ce, de manière pro­gres­sive. En 2019, nous réin­tro­dui­sons les exer­cices de barres paral­lèles, en 2020 ceux du sol. Les années 2021 et 2022 devraient être celles des anneaux. Sor­ti de son contexte impres­sion­nant en com­pé­ti­tion, cet agrès très péda­go­gique per­met de mul­tiples sol­li­ci­ta­tions mus­cu­laires et arti­cu­laires, tant au niveau du gai­nage, de la cein­ture sca­pu­laire que des muscles profonds.”

AU-DELA DES FRONTIERES

Quoi de plus valo­ri­sant pour les gym­nastes qui com­posent le groupe de pré­sen­ter leur tra­vail en arbo­rant fiè­re­ment les cou­leurs de l’Institution. Chaque année, ils assurent vingt-cinq repré­sen­ta­tions et sont très régu­liè­re­ment sol­li­ci­tés pour faire le show à l’occasion des dif­fé­rentes jour­nées « portes ouvertes » des centres de secours, céré­mo­nies mili­taires et autres fes­ti­vi­tés de la BSPP. Les invi­ta­tions dépassent aus­si les fron­tières : fes­ti­vals inter­na­tio­naux comme celui de la musique mili­taire à Rot­ter­dam, anni­ver­saires de centres de secours civils ou de clubs spor­tifs. Ils entre­tiennent avec brio le lien armée-nation. Le plus sou­vent, c’est main dans la main avec la Musique de la Bri­gade qu’ils par­courent les routes de France. « Je serai éter­nel­le­ment recon­nais­sant au major Domi­nique Fiau­drin de nous avoir pro­pul­sé tel un véri­table trem­plin au-devant de la scène. Après la période dif­fi­cile tra­ver­sé par le groupe de gym, sans lui, nous repré­sen­ter aujourd’hui, serait cer­tai­ne­ment un véri­table par­cours du com­bat­tant », confie avec émo­tion le ser­gent-chef Ben­ja­min Guy, moni­teur en chef du groupe.

Il existe huit numé­ros dif­fé­rents, adap­tables en fonc­tion du temps, de l’emplacement et du nombre de gym­nastes dis­po­nibles. Par­mi eux, un numé­ro emblé­ma­tique, « Les Girls », créé par l’adjudant-chef Joseph Mai­grot dans les années 30, repré­sente la figure de proue des pro­grammes proposés.

Du côté de la logis­tique, le groupe prend la route la veille car il assure le char­ge­ment du maté­riel depuis Mas­sé­na, mais aus­si son déchar­ge­ment et le mon­tage sur les lieux. Le jour J est exclu­si­ve­ment réser­vé à une répé­ti­tion d’environ deux heures le matin, d’un temps de repos obli­ga­toire, puis d’un échauf­fe­ment de vingt minutes avant le coup de sif­flet. « Il faut savoir qu’aucun spor­tif n’effectue une figure durant une repré­sen­ta­tion sans l’avoir au préa­lable vali­dée au moins trois fois en entraî­ne­ment. Pas de place à l’improvisation, ou à la prise de risque liée à l’excitation du moment, le dan­ger est non seule­ment bien réel, mais aus­si connu de tous » insiste fer­me­ment le ser­gent-chef Ben­ja­min Guy. La jour­née du len­de­main est dédiée au retour et à la réin­té­gra­tion du matériel.

Comme la musique, le devoir du groupe de gym va bien au-delà de la repré­sen­ta­tion. Il fait éga­le­ment rayon­ner au plus haut l’image de la bri­gade de sapeurs-pom­piers de Paris. Dans le public, des jeunes se posent sou­vent la même ques­tion : « et si moi aus­si je deve­nais sapeurs-pom­piers de Paris ? » C’est la rai­son pour laquelle les gym­nastes sont habi­tués à répondre aux inter­ro­ga­tions de poten­tiels can­di­dats heu­reux de ren­con­trer des mili­taires acces­sibles, dyna­miques et passionnés.

À LA RENCONTRE DU COMMANDANT GEORGES HEBERT

Il est le créa­teur d’une méthode d’éducation phy­sique connue et pra­ti­quée par un grand nombre de spor­tifs inter­na­tio­naux, y com­pris les sapeurs-pom­piers de Paris. Par­cou­rant le monde lors de ses mis­sions sur un voi­lier de 1895 à 1903 Georges Hébert conçoit sa méthode en obser­vant le très bon état de san­té, ain­si que les qua­li­tés phy­siques et morales excep­tion­nelles des peuples indi­gènes vivant, en pleine nature, une vie très active. Il observe les mêmes faits chez ses mate­lots qui accom­plissent quo­ti­dien­ne­ment, en plein air, un tra­vail phy­sique intense et pénible. Il en conclut que l’addition des élé­ments natu­rels repré­sen­tés par l’air, le soleil, l’eau et l’accomplissement d’un tra­vail phy­sique quo­ti­dien suf­fi­sam­ment com­plet, per­mettent à l’homme d’aboutir à un par­fait équi­libre phy­sio­lo­gique et moral. À son retour en France, Georges Hébert applique les résul­tats de ses études.

En 1908, le minis­tère de la marine le charge de l’entrainement phy­sique et de la for­ma­tion des moni­teurs, a l’école des fusi­liers-marins. Pen­dant la grande guerre, il est à la tête d’une com­pa­gnie de fusi­liers-marins. Mis à la retraite en 1919 sur sa demande, le com­man­dant Hebert se consacre entiè­re­ment à sa méthode d’éducation phy­sique. Elle est offi­ciel­le­ment adop­tée par l’Éducation natio­nale et contri­bue lar­ge­ment à la for­ma­tion spor­tive de base de la jeu­nesse fran­çaise de l’époque. Grâce à la tra­duc­tion de son ouvrage en treize langues, la méthode « Georges Hebert » est recon­nue dans de nom­breux pays.


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Credits

Photos : BSPP et DR

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