Histoire — Agrès emblématique et distinctif du sapeur-pompier de Paris, l’échelle à crochets fête ses 200 ans. Dressons le portrait de cet outil, de son utilisation médiévale comme outil d’assaut, à son rôle essentiel dans les opérations de sauvetage. Dressez échelle !
Novembre 2022, je suis premier servant au Premier-secours évacuation (PSE). La séance de fractionné du matin réchauffe un peu le corps et s’oppose au temps glacial de l’hiver. Après cette petite mise en jambe, il est déjà dix heures. Rassemblement ! Ce matin, manœuvre d’ensemble pour toute la garde. « Tenue de feu, casque, Appareil respiratoire isolant (ARI) et dans les engins » ordonne le chef de garde ! Le départ normal se positionne au niveau de la tour de manœuvre, à vos rangs derrière le PSE, « première équipe, sauvetage par l’extérieur au moyen de l’échelle à crochets, premier étage, fenêtre à l’angle du bâtiment ! » commande le chef d’agrès. Échelle dressée, balcon testé, mon chef d’équipe s’élance et monte au premier étage. « Lot de sauvetage et de protection contre les chutes (LSPCC) et ARI, je ne l’ai jamais monté avec autant de poids ». C’est mon tour, le stress contraste mon envie de la monter. Une grosse traction et c’est gagné ! Premier essai, échec ! Cette fois, pas le droit à l’erreur. Je m’élance, j’ai l’impression d’être une enclume avec tout ce matériel. Contre toute attente, j’atteins ce premier étage me semblant si haut. « Quand toute la garde observe la manœuvre, ça motive ! ».
Quel sapeur n’a jamais eu un regard admiratif pour ces mythiques crochets ? Symbole des pompiers parisiens, l’échelle à crochets est bien plus qu’un défi physique. C’est un défi mental, une leçon de courage et de dépassement de soi. Les marques comme ABA, Audinov, 2,40m reployée, 4,25m dépliée, 8 – 9 kg, la nomenclature, mais aussi les manœuvres développées par le capitaine André Hamon en 1949 sont des fondamentaux du jeune pompier de Paris.
Héritage du Moyen-Âge. Décrite pour la première fois en 1405 par l’Allemand Conrad Kieser d’Eichstadt, l’échelle à crochets fait partie des moyens d’assaut des châteaux forts. Composée de crochets, de longues perches à crochets et d’échelons en bois, les fantassins de l’époque escaladent les murs des citadelles ennemies munis de cette échelle. Bien qu’utile, l’évolution de l’artillerie et des méthodes de siège va inévitablement faire disparaître cet instrument de guerre, remplacé par de nouvelles technologies militaires. Au début du XIXe siècle, les pompiers emploient les échelles traditionnelles. Leur poids et leur encombrement freinent la rapidité d’action et l’efficience des secours. Faute d’outil plus efficace, la question des échelles ne se pose pas véritablement.
En 1797, rue Saint– Roch, les gardes-pompes sont avertis pour un feu intéressant l’atelier d’un artisan. Les flammes se propagent rapidement à l’escalier, de nombreux habitants se manifestent aux fenêtres, mais les secours et badauds n’ont d’autres solutions que d’assister à la défenestration d’une dizaine de Parisiens. Le sinistre marque tellement les esprits que l’Académie des sciences lance un concours aux inventeurs pour un outil capable de sauver la vie des personnes bloquées dans les immeubles en feu. Lauréat de ce concours, le capitaine Régnier met au point un prototype aérien qui deviendra plus tard, la grande échelle. L’appareil, jugé trop lourd pour une mise en œuvre rapide, est laissé de côté.
Toutefois, l’inventeur et mécanicien Tréchard semble inspiré par les agrès d’assaut du Moyen- Âge. En 1902, il propose un archétype de notre future échelle à crochets, qui retombera dans l’oubli pendant deux décennies. Une renaissance inespérée. En 1818, le lieutenant-colonel de Plazanet suggère la mise en place de l’art de la gymnastique, afin de renforcer les qualités physiques et le mental du Bataillon. Cette discipline prônée par le gymnasiarque Amoros développe la force, l’adresse et le sang-froid : qualités nécessaires aux sapeurs-pompiers de Paris, mais également à l’utilisation de l’échelle à crochets.
L’année 1824 marque un tournant dans l’histoire de cette échelle, désormais outil de sauvetage. Le capitaine-ingénieur Mayniel perfectionne l’échelle à crochets. Il la rend à la fois plus résistante, plus souple et plus légère et donc adaptée au corps de sapeurs-pompiers de Paris. Ainsi en 1824, l’échelle à crochets fait son apparition pour la première fois dans le manuel du sapeur-pompier, écrit par le chef de Bataillon de Plazanet. Au même moment, il l’impose dans l’armement des détachements marchant au feu. Elles étaient placées sur les pompes à bras.
En quelques années, cette échelle qui permet d’accéder partout, devient l’outil incontournable du pompier de Paris. Une notoriété indiscutable.Le 8 août 1868 se produit le terrible incendie de la rue Saint-Antoine. Tout sapeur-pompier de Paris a déjà entendu la fameuse histoire des sauvetages du caporal Thibault. En héros, il se distingue par plusieurs sauvetages au moyen de son échelle à crochets dont celui de la dame Folias et consolide la réputation de cet outil. Dans la foule de curieux qui assiste à ce spectacle, tous observent le courage et la détermination des soldats du feu.
La prouesse gymnique réalisée par le caporal Thibault lui vaudra le qualificatif de héros, la renommée internationale, ainsi que les félicitations de l’Empereur Napoléon III en personne qui le décore de la Légion d’honneur. Il devient alors un modèle pour chaque sauveteur. Aujourd’hui symbole du sauvetage par excellence, l’échelle à crochets traverse les générations et passionne grâce à ses multiples exploits. Elle s’est largement imposée comme l’outil primordial sur des interventions comme la rue de Provence en 2005. Plus récemment, l’incendie du 17 bis rue Erlanger dans la nuit du 5 février 2019, va largement marquer l’histoire de cet agrès. La configuration de cet immeuble impose aux 300 sapeurs-pompiers de Paris l’emploi de l’échelle à crochets et pas moins de 64 sauvetages vont être réalisés. Jamais aucune intervention de la Brigade n’a atteint un tel niveau d’utilisation de cet agrès. De nos jours, malgré l’introduction d’équipements modernes, l’échelle à crochets, avec ses 200 ans d’histoire reste le symbole du pompier de Paris. Cette échelle mythique a même reçu l’appellation de « Pompier ladder » aux États-Unis attestant de son origine typiquement parisienne.