HISTOIRE — 200 ans de l’échelle à crochets

Raphaël Orlan­do —  — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 09 h 17 

Histoire — Agrès emblématique et distinctif du sapeur-pompier de Paris, l’échelle à crochets fête ses 200 ans. Dressons le portrait de cet outil, de son utilisation médiévale comme outil d’assaut, à son rôle essentiel dans les opérations de sauvetage. Dressez échelle !

Novembre 2022, je suis pre­mier ser­vant au Pre­mier-secours éva­cua­tion (PSE). La séance de frac­tion­né du matin réchauffe un peu le corps et s’oppose au temps gla­cial de l’hiver. Après cette petite mise en jambe, il est déjà dix heures. Ras­sem­ble­ment ! Ce matin, manœuvre d’ensemble pour toute la garde. « Tenue de feu, casque, Appa­reil res­pi­ra­toire iso­lant (ARI) et dans les engins » ordonne le chef de garde ! Le départ nor­mal se posi­tionne au niveau de la tour de manœuvre, à vos rangs der­rière le PSE, « pre­mière équipe, sau­ve­tage par l’extérieur au moyen de l’échelle à cro­chets, pre­mier étage, fenêtre à l’angle du bâti­ment ! » com­mande le chef d’agrès. Échelle dres­sée, bal­con tes­té, mon chef d’équipe s’élance et monte au pre­mier étage. « Lot de sau­ve­tage et de pro­tec­tion contre les chutes (LSPCC) et ARI, je ne l’ai jamais mon­té avec autant de poids ». C’est mon tour, le stress contraste mon envie de la mon­ter. Une grosse trac­tion et c’est gagné ! Pre­mier essai, échec ! Cette fois, pas le droit à l’erreur. Je m’élance, j’ai l’impression d’être une enclume avec tout ce maté­riel. Contre toute attente, j’atteins ce pre­mier étage me sem­blant si haut. « Quand toute la garde observe la manœuvre, ça motive ! ». 

Quel sapeur n’a jamais eu un regard admi­ra­tif pour ces mythiques cro­chets ? Sym­bole des pom­piers pari­siens, l’échelle à cro­chets est bien plus qu’un défi phy­sique. C’est un défi men­tal, une leçon de cou­rage et de dépas­se­ment de soi. Les marques comme ABA, Audi­nov, 2,40m reployée, 4,25m dépliée, 8 – 9 kg, la nomen­cla­ture, mais aus­si les manœuvres déve­lop­pées par le capi­taine André Hamon en 1949 sont des fon­da­men­taux du jeune pom­pier de Paris. 

Héri­tage du Moyen-Âge. Décrite pour la pre­mière fois en 1405 par l’Allemand Conrad Kie­ser d’Eichstadt, l’échelle à cro­chets fait par­tie des moyens d’assaut des châ­teaux forts. Com­po­sée de cro­chets, de longues perches à cro­chets et d’échelons en bois, les fan­tas­sins de l’époque esca­ladent les murs des cita­delles enne­mies munis de cette échelle. Bien qu’utile, l’évolution de l’artillerie et des méthodes de siège va inévi­ta­ble­ment faire dis­pa­raître cet ins­tru­ment de guerre, rem­pla­cé par de nou­velles tech­no­lo­gies mili­taires. Au début du XIXe siècle, les pom­piers emploient les échelles tra­di­tion­nelles. Leur poids et leur encom­bre­ment freinent la rapi­di­té d’action et l’efficience des secours. Faute d’outil plus effi­cace, la ques­tion des échelles ne se pose pas véritablement. 

En 1797, rue Saint– Roch, les gardes-pompes sont aver­tis pour un feu inté­res­sant l’atelier d’un arti­san. Les flammes se pro­pagent rapi­de­ment à l’escalier, de nom­breux habi­tants se mani­festent aux fenêtres, mais les secours et badauds n’ont d’autres solu­tions que d’assister à la défe­nes­tra­tion d’une dizaine de Pari­siens. Le sinistre marque tel­le­ment les esprits que l’Académie des sciences lance un concours aux inven­teurs pour un outil capable de sau­ver la vie des per­sonnes blo­quées dans les immeubles en feu. Lau­réat de ce concours, le capi­taine Régnier met au point un pro­to­type aérien qui devien­dra plus tard, la grande échelle. L’appareil, jugé trop lourd pour une mise en œuvre rapide, est lais­sé de côté. 

Tou­te­fois, l’inventeur et méca­ni­cien Tré­chard semble ins­pi­ré par les agrès d’assaut du Moyen- Âge. En 1902, il pro­pose un arché­type de notre future échelle à cro­chets, qui retom­be­ra dans l’oubli pen­dant deux décen­nies. Une renais­sance ines­pé­rée. En 1818, le lieu­te­nant-colo­nel de Pla­za­net sug­gère la mise en place de l’art de la gym­nas­tique, afin de ren­for­cer les qua­li­tés phy­siques et le men­tal du Bataillon. Cette dis­ci­pline prô­née par le gym­na­siarque Amo­ros déve­loppe la force, l’adresse et le sang-froid : qua­li­tés néces­saires aux sapeurs-pom­piers de Paris, mais éga­le­ment à l’utilisation de l’échelle à crochets. 

L’année 1824 marque un tour­nant dans l’histoire de cette échelle, désor­mais outil de sau­ve­tage. Le capi­taine-ingé­nieur May­niel per­fec­tionne l’échelle à cro­chets. Il la rend à la fois plus résis­tante, plus souple et plus légère et donc adap­tée au corps de sapeurs-pom­piers de Paris. Ain­si en 1824, l’échelle à cro­chets fait son appa­ri­tion pour la pre­mière fois dans le manuel du sapeur-pom­pier, écrit par le chef de Bataillon de Pla­za­net. Au même moment, il l’impose dans l’armement des déta­che­ments mar­chant au feu. Elles étaient pla­cées sur les pompes à bras. 

En quelques années, cette échelle qui per­met d’accéder par­tout, devient l’outil incon­tour­nable du pom­pier de Paris. Une noto­rié­té indiscutable.Le 8 août 1868 se pro­duit le ter­rible incen­die de la rue Saint-Antoine. Tout sapeur-pom­pier de Paris a déjà enten­du la fameuse his­toire des sau­ve­tages du capo­ral Thi­bault. En héros, il se dis­tingue par plu­sieurs sau­ve­tages au moyen de son échelle à cro­chets dont celui de la dame Folias et conso­lide la répu­ta­tion de cet outil. Dans la foule de curieux qui assiste à ce spec­tacle, tous observent le cou­rage et la déter­mi­na­tion des sol­dats du feu. 

La prouesse gym­nique réa­li­sée par le capo­ral Thi­bault lui vau­dra le qua­li­fi­ca­tif de héros, la renom­mée inter­na­tio­nale, ain­si que les féli­ci­ta­tions de l’Empereur Napo­léon III en per­sonne qui le décore de la Légion d’honneur. Il devient alors un modèle pour chaque sau­ve­teur. Aujourd’hui sym­bole du sau­ve­tage par excel­lence, l’échelle à cro­chets tra­verse les géné­ra­tions et pas­sionne grâce à ses mul­tiples exploits. Elle s’est lar­ge­ment impo­sée comme l’outil pri­mor­dial sur des inter­ven­tions comme la rue de Pro­vence en 2005. Plus récem­ment, l’incendie du 17 bis rue Erlan­ger dans la nuit du 5 février 2019, va lar­ge­ment mar­quer l’histoire de cet agrès. La confi­gu­ra­tion de cet immeuble impose aux 300 sapeurs-pom­piers de Paris l’emploi de l’échelle à cro­chets et pas moins de 64 sau­ve­tages vont être réa­li­sés. Jamais aucune inter­ven­tion de la Bri­gade n’a atteint un tel niveau d’utilisation de cet agrès. De nos jours, mal­gré l’introduction d’équipements modernes, l’échelle à cro­chets, avec ses 200 ans d’histoire reste le sym­bole du pom­pier de Paris. Cette échelle mythique a même reçu l’appellation de « Pom­pier lad­der » aux États-Unis attes­tant de son ori­gine typi­que­ment parisienne. 

Photo ouverture : 1ere classe Paul Millet
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