Histoire — 6 février 1934, 18 heures : la foule commence à se rassembler place de la Concorde, avec l’idée d’entrer dans l’Assemblée Nationale. Depuis le matin, des affiches placardées partout dans Paris appellent à une grande manifestation. Les pompiers se retrouvent en première ligne…
Le gouvernement a démissionné. Un nouveau gouvernement se présente cet après-midi du 6 février devant la Chambre des députés (ancien nom de l’Assemblée Nationale). Le mot d’ordre de la manifestation est de dénoncer les scandales, et pour certains participants, d’envahir le Palais Bourbon. La manifestation qui va commencer sera la plus meurtrière des manifestations parisiennes, avant les grands rassemblements de la fin de la guerre d’Algérie en 1961 – 62. Dix-sept manifestants et un Garde républicain sont morts cette nuit-là, auxquels il faut ajouter des centaines de blessés.
Quel fut le rôle des pompiers de Paris pendant cette nuit tragique ? Le détail nous en est révélé non seulement par les traditionnels rapports d’interventions, mais aussi par les dépositions faites devant la commission d’enquête parlementaire, mise en place par les députés pour détailler, a posteriori, le déroulement des évènements et les responsabilités de chacun. Ces témoignages nous montrent l’ampleur des manifestations, l’importance de l’engagement du Régiment, mais aussi les dangers encourus par les pompiers durant les interventions.
Au cœur de l’émeute : place de la Concorde. L’objectif des manifestants est d’envahir le Palais Bourbon au moment où les députés vont voter la confiance au nouveau gouvernement. Un premier cortège, venu des Grands Boulevards, débouche sur la place par la rue Royale. Un deuxième cortège remonte le boulevard Saint-Germain et se trouve bloqué rue de Bourgogne, à l’arrière de l’Assemblée. Un troisième cortège part, un peu plus tard, du rond-point des Champs-Elysées et se dirige vers la place.
Pour défendre la Chambre des députés, la police a établi un solide barrage sur le pont de la Concorde. C’est ce barrage que les manifestants vont attaquer inlassablement toute la soirée, à coups de projectiles, puis en allumant des feux. Ils sont, dans un premier temps, repoussés… sans cesse par les policiers et des charges de la Garde républicaine à cheval.
Vers 19 heures, la police fait appel aux pompiers pour mettre les lances en batterie face aux manifestants. Cette demande n’est pas exceptionnelle, l’appel aux pompiers en renfort de la police est documenté dès le XIXe siècle et se produit régulièrement, par exemple lors de la grande manifestation du 1ᵉʳ mai 1919.
Pour la suite des évènements, donnons la parole au capitaine Féger, commandant la 4ᵉ compagnie : « Sur ordre de M. Marchand, directeur de la police municipale, nous avons établi deux grosses lances au débouché du pont sur la place de la Concorde. Le fourgon pompe était en refoulement sur la bouche n° 62, 33 quai d’Orsay. Les établissements suivaient le trottoir du pont.
Vers 19 h 30, sur une forte poussée de la foule, les deux lances manœuvrèrent sur les manifestants couvrant un repli des forces de police. Prises de flanc, les deux lances ne furent bientôt plus d’aucune utilité. Les assaillants, coupant les tuyaux, tirant des coups de révolver, frappèrent les porte-lances. Ceux-ci se replièrent pendant une charge des gardes. Une lance et la moitié d’un gros tuyau disparurent. Une grosse lance et deux petites remplacèrent les premiers établissements.
Vers 22 h 30, une puissante vague de manifestants arriva jusqu’à l’entrée du pont. Elle fut maintenue un court moment par les forces de police mais, cédant du terrain, les trois lances intervinrent pour la seconde fois. »
Les sapeurs-pompiers subissent un troisième assaut vers minuit mais n’ouvrirent pas les lances, le sol rendu glissant par l’eau devenant dangereux pour les chevaux de la Garde. L’intervention des hommes de Colombier se termine vers une heure du matin. Les onze sapeurs et gradés engagés ont tous été atteints et blessés par les projectiles lancés par les manifestants. Une grosse lance a disparu, les tuyaux ont été crevés.
De nombreuses photos et films d’actualité ont été pris durant ces évènements. Une des photos les plus connues de cette manifestation est celle d’un autobus en flammes au milieu de la place de la Concorde. Vers 19 h, les manifestants arrêtent cet autobus, en font descendre les passagers et y mettent le feu. L’intervention des hommes de Saint-Honoré sera périlleuse.
Pendant ce temps-là, de l’autre côté de la place, les secours venus de Blanche, Saint-Honoré et Champerret intervenaient à 20 h 20 pour un incendie au ministère de la Marine. Arrivés sur les lieux, les pompiers sont attaqués par les manifestants qui leur lancent pavés et plaques de fonte. Les vitres des pare-brises du fourgon pompe et du premier secours sont brisées, les phares arrachés, les tuyaux volés du dévidoir arrière. Cinq hommes sont blessés ou contusionnés. Aidés par les marins conduits par l’officier général de permanence, le vice-amiral François Darlan, les pompiers maîtrisent l’incendie vers 22 heures.
Le capitaine Randon, commandant la 7ᵉ compagnie, témoigne devant la commission d’enquête parlementaire : « le fourgon pompe était passé par la rue de Rivoli. À l’angle de la rue Saint-Florentin, il fut arrêté par des manifestants qui le criblèrent de divers projectiles. Des bris de glace ont blessé l’adjudant et un caporal. En ce qui concerne le véhicule de la rue Blanche, les manifestants nous ont assaillis à coups de projectiles et nous avons même reçu des coups de révolver. Le Président : « combien avez-vous essuyé de coups de feu ? » Randon : « une demi-douzaine. Mes hommes ont entendu nettement l’éclat des coups, ils n’ont pas été atteints, mais il y a eu des traces de balles sur la voiture ». En 1934, seize ans après la fin de la guerre de 14 – 18, de nombreux pompiers étaient anciens combattants et savaient donc parfaitement reconnaître les armes à leur détonation. La manifestation prendra fin vers 2 heures du matin, après de violentes charges des gardes à cheval qui finiront de disperser les manifestants.
Ailleurs dans Paris. Au même moment, d’autres cortèges de manifestants parcourent Paris. L’agitation débute vers 18 heures aux alentours de l’Hôtel de Ville avec des manifestants qui se dirigent vers Châtelet et remontent ensuite le boulevard de Sébastopol. Les secours de Sévigné, Rousseau et Château d’Eau interviennent sur un camion et des automobiles en feu, des kiosques à journaux renversés et incendiés et surtout des feux de réverbères.
Ces réverbères étaient en effet alimentés au gaz (les fameux « becs de gaz »). Brisés par les manifestants, des jets de gaz enflammés s’en échappent. Lors d’une extinction de ces becs de gaz au coin du boulevard Sébastopol et de la rue Rambuteau, les manifestants s’en prennent aux engins de Rousseau qui sont détériorés et les tuyaux coupés.
La défense des pouvoirs publics. L’inquiétude croissante du gouvernement devant la multiplicité des lieux de manifestations et les violences grandissantes, le décide à faire appel à des unités militaires qui commencent à converger vers Paris dans le courant de la nuit du 6 au 7 février. Elles entreront dans Paris dans la matinée du 7.
Sans attendre, le ministre de l’Intérieur demande au Régiment de participer à la défense du périmètre Élysée-Beauvau (Présidence de la République et ministère de l’Intérieur). À 17 h 30, le colonel Islert, commandant le Régiment, se rend personnellement place Beauvau pour superviser la mise en place d’un détachement de protection et de l’Auto pompe de grande puissance (APGP) de Grenelle. Trois lances de 35 mm sont établies, l’une dans l’axe de la rue de Miromesnil, l’autre dans l’axe de l’avenue de Marigny, la dernière dans celui de la rue du Faubourg Saint-Honoré, pour contenir l’arrivée d’éventuels manifestants. Ce service de protection, où se succèdent en relève les APGP de Landon, Champerret, Montmartre et Plaisance, va durer jusqu’au 12 février.
Le fourgon pompe de Malar est également positionné dans les jardins du Palais Bourbon pour défendre la Chambre des députés contre d’éventuels envahisseurs et y restera jusqu’au lendemain 7 février. D’autres manifestations, moins violentes, se succèdent jusqu’au 12 février, nécessitant de nouvelles mobilisations des sapeurs-pompiers.