Histoire — Si nous avons l’habitude de mettre en avant la modernité du sapeur-pompier de Paris, nous vous proposons ici un voyage dans le temps pour comparer les époques et les usages. Une mise en parallèle intéressante où se côtoient innovation, militarité, rigueur du comportement et condition physique. Tout a changé… et rien n’a changé.
POMPIER D’UN JOUR, POMPIER TOUJOURS !
Sur bien des points, le sapeur-pompier d’hier est différent de celui de 2020. En premier lieu, les catégories de personnels n’ont pas grand-chose à voir. Aujourd’hui, la Brigade compte dans ses rangs des engagés et des réservistes « volontaires » (que ce soit des ESR ou des VSC). Cependant, il n’y a pas si longtemps se côtoyaient engagés, appelés du contingent (1954 – 1997) et volontaires (pompiers communaux du département de la Seine licenciés en 1968). Et c’est en 2002 qu’un important changement social intervient avec l’entrée de huit femmes sous le porche du fort de Villeneuve-Saint-Georges, suivies par d’autres dans les rangs de l’unité. Aujourd’hui, elles sont 2,5 % à servir l’institution.
SIX MOIS D’ENTRÉE
« On ne s’improvise pas pompier, sans études et sans pratiques » disait Félicien Michotte (ingénieur et théoricien). De nos jours, toutes les recrues passent par le fort et se voient dispenser leur formation de sapeur-pompier pendant quatre mois. Cependant, n’oublions pas que l’emprise de Villeneuve-Saint-Georges est récente dans notre histoire et que les premiers pelotons s’y sont installés seulement en 1966. Avant cette date, les jeunes recrues étaient instruites dans leurs compagnies d’affectation. « C’était en mai 1957, se souvient un engagé. Nous arrivions devant Champerret stressés. Nous passions devant les guérites en franchissant la voûte où nous étions contrôlés et accueillis sévèrement. On nous dirigeait au milieu de la cour où des camions de la sécurité civile étaient alignés. Un gradé nous appelait : […] Georges, camion de gauche, CS Montmartre, Lissajoux, camion de droite, CS Blanche, […]. Puis, arrivés à la caserne, nous étions reçus par le lieutenant Fournier. Dès ce jour débutait nos six mois de formation en compagnie. »
LA MGO DE 1850
Pour parfaire son instruction, le sapeur-pompier de Paris du XXIe siècle dispose d’une série d’ouvrages regroupant les différents savoirs pour la formation technique : le BSP. Ses aînés disposaient, quant à eux, des manuels Roret ou « encyclopédie du sapeur-pompier ». L’instruction comporte également un volet technique : la manœuvre. De tout temps, le sapeur-pompier a mis en pratique ses enseignements, le plus souvent en utilisant l’architecture et les équipements de sa caserne : façade, tour, cave, etc. Rien n’a véritablement changé. Sur intervention, la marche générale des opérations (MGO), définie par Paulin en 1850, est restée la même : reconnaissance, sauvetage, établissement, attaque, extinction.
DU SAUT À LA PERCHE, À LA PLANCHE EN BOIS
Agilité, vigueur et audace : trois qualités qui prévalent dès lors qu’il s’agit d’utiliser l’échelle à crochet pour aller chercher les victimes au milieu des flammes. Le 8 août 1868, devant La truie qui file (exploits du caporal Thibaut), ou le 5 février 2019, rue Erlanger, les mêmes manœuvres sont employées pour les sauvetages. Depuis plus de 200 ans, les sapeurs-pompiers de Paris manient cette échelle avec la plus grande technicité. L’exercice de la planche est par ailleurs une épreuve synonyme d’aptitude opérationnelle. Tous les pompiers se retrouvent, un jour, face à cette planche de bois placée à l’horizontale à 2,40 m de hauteur. Qu’ils la montent à 10, 15, 20 ou 25, ils prouvent ainsi par leur force physique qu’ils sont aptes à partir sur intervention. Mais à l’origine, cette « épreuve » instaurée en 1895, visait à remplacer deux exercices de gymnastique accidentogènes dont le saut à la perche. Au delà de ces activités phares, le pompier de Paris a toujours été un compétiteur : il s’adonne également aux cross et aux challenges. Le sapeur-pompier des années 1980 a pu faire le Gerbe, le Lebrun et le Maigrot. Celui de 2019 participe au challenge corde et au challenge des Braves.
UN PEU DE TENUE
Les transformations du sapeur-pompier de Paris sont également visibles sur intervention. Son apparence n’est plus la même, que ce soit par sa tenue de travail ou par sa tenue de feu. Le pompier contemporain porte depuis 1981 la tenue SPF1. Le polo remplace la chemise cravatée, la casquette remplace le képi. Concernant les tenues de feu, le cuir et le pantalon de drap sont abandonnés au profit d’une tenue textile en Kermel ignifugée. La révolution est également visible au niveau de la tête : le casque F1 remplace le casque dit « 33 » ou encore « en peau de locomotive ». Il en est de même pour les appareils respiratoires, passant du Mandet-Vanginot bi-bouteilles (1903) au Airgo mono-bouteille (2015).
DN EN LUMIÈRE JAUNE
Nul ne peut contester l’excitation ressentie lors de la sonnerie du DN (un coup long, pour les profanes). Le départ normal(isé) est une invention des pompiers de Paris de la fin du XIXe siècle. C’est la réponse standard pour un départ de feu : deux engins-pompe et un moyen aérien. Or, au siècle dernier, on parle de « premier » et de « deuxième » départ. Le premier départ répond à une alerte et comprend le fourgon auxiliaire et la grande échelle. Le second départ, qui renforce le premier ou répond à une seconde mission, est constitué de la pompe à vapeur et de la voiture dévidoir.
On comprend vite que les effectifs dans les camions ne soient pas les mêmes… dans les casernes non plus. Pour un jour pris au hasard de l’année 1899, 1 089 pompiers sont de garde et répartis de la façon suivante : 544 dans les casernes, 67 dans les postes de villes, 281 dans les théâtres, 124 de service intérieur et 73 à l’état-major. En 2019, la Brigade compte sur plus de 1 800 hommes et femmes quotidiennement. Les véhicules d’incendie et de secours ont également évolué. En 1888, le fourgon auxiliaire transporte douze hommes, en 1904 le fourgon-pompe automobile embarque quatorze hommes, et, en 2004, le fourgon d’appui décale avec six hommes. Mais le changement majeur s’opère dans les remises. Au XIXe siècle, on y trouve des chevaux et des écuries (certaines casernes possèdent encore ces inscriptions gravées) puis des véhicules à traction électrique en 1899, et enfin des premiers-secours relevage (PSR) et des premiers-secours évacuation (PSE) en 1985. Cette métamorphose est liée au transfert de la mission Police-secours aux pompiers de Paris et à la hausse croissante des interventions de secours à personne. Ainsi, quelques véhicules hors normes ont disparu, comme l’échelle de 45 m (« la grande dame ») et les bateaux-pompes (mis en service à partir de 1938 jusqu’en 1990 pour le Lutèce). Mais les anciens se souviennent sûrement que les gyrophares, avant 1971, tournaient en lumière jaune !
DU VIN AU MENU
Au XIXe siècle, le maillage est particulier : les casernes sont implantées au milieu d’une multitude de petits postes de ville. Des pompiers vivent dans de petits locaux étroits souvent sur l’emplacement d’une échoppe, au milieu de leur matériel. Les bâtiments récupérés aux pompiers communaux, lors de l’extension du domaine de compétence en 1940 et en 1967, sont également loin des standards : les pompiers de Paris s’installent dans des bâtiments agricoles, des fermes, des écoles, des pavillons désaffectés, etc. Et en plein coeur de Paris, certains sapeurs mènent la vie de moines, rue de Poissy dans le collège des Bernardins, employé comme caserne depuis 1845 ! à cette période, l’état-major de Champerret n’existe pas encore, le commandement est encore installé sur l’Île de la Cité (boulevard du Palais). Dans les casernes, les chambrées n’ont rien à voir avec les chambres actuelles. Les conditions de vie sont assez éloignées de notre définition du confort : grande chambrée et douche froide, mais la troupe a le droit au vin à table ! Sur la photographie, on remarque la présence d’armes car à cette époque les sapeurs-pompiers de Paris sont armés. Même si ce n’est plus le cas à présent, les nostalgiques de l’époque gardent le souvenir des stands de tirs dans les fossés du fort de Villeneuve.
Aujourd’hui, les CS récents sont conçus pour mieux accueillir des pompiers. Les compagnies sont quant à elles composées de deux à trois centres de secours en moyenne, grâce à la sectorisation mise en place en 1902 par le colonel Paris et l’ingénieur Arthur Krebs.
ALLO 18 ?
Les nouvelles technologies engendrent de profondes ®évolutions dans le matériel utilisé par les pompiers mais également par les Parisiens. Aujourd’hui, pour nous contacter, rien de plus facile que d’utiliser son smartphone et composer le 18 ou le 112. Cela n’a pas toujours été le cas : il n’y a pas si longtemps, des avertisseurs étaient encore dispersés sur la voie publique parisienne. L’alerte s’effectuait alors par le biais de cet appareil, et l’appelant était directement mis en relation avec la caserne du secteur en parlant dans un microphone, après avoir brisé une petite vitre de verre. Si bien qu’il n’était pas rare pour les sapeurs de partir faire la tournée des avertisseurs munis de leur petite sacoche comprenant plusieurs vitres.
En revanche, une chose perdure : les traditions. L’appel des morts au feu, institué en 1881, est l’expression même de l’ADN du sapeur-pompier de Paris et de sa devise : « Sauver ou Périr ». Ce cérémonial a plusieurs finalités : culte du souvenir, exaltation du sens du devoir, vigilance opérationnelle et esprit de corps.
Hommage aux sapeurs-pompiers de Paris d’hier et d’aujourd’hui.
JOURNEE-TYPE D’UN SAPEUR-POMPIER DE PARIS AU DEBUT DU XXe SIECLE
6 h 00 : réveil au clairon suivi d’une toilette rapide aux lavabos, puis les chambrées sont rangées et les lits pliés.
6 h 15 : premier petit déjeuner (café noir et morceau de pain).
7 h 00 – 9 h 00 : c’est le temps des exercices : la manoeuvre des pompes, des échelles de sauvetage, des appareils à feu de cave et des ventilateurs, la gymnastique et les cours théoriques sur les incendies, sur les moyens de secours dans différents types d’infrastructures et sur les secours à apporter aux noyés, asphyxiés, etc.
9 h 00 : les pompiers montent faire leur lit au carré.
9 h 15 : déjeuner (soupe aux légumes, viande et un ¼ de vin).
10 h 00 : défilé de la garde, appel des morts au feu, et inspection des hommes. Dans les minutes qui suivent, c’est le départ de certains hommes vers les postes en ville et le retour de ceux qui étaient de garde dans ces postes qui, eux, déjeunent à 10h30.
12 h 00 – 14 h 00 : nouveaux exercices de gymnastique et manoeuvres de sauvetage à l’échelle.
14 h 00 : rassemblement pour analyser la matinée, donner des consignes et attribuer le service de nuit, suivi de la manoeuvre des engins d’incendie.
16 h 15 : on apporte le dîner aux hommes de garde dans les postes et, à 17 h 00, on distribue de la soupe aux hommes sur place dans la caserne (viande et légumes bouillis).
19 h 00 – 19 h 30 : départ vers le service de nuit des théâtres.