Web-série — Nous l’avons vu lors des épisodes précédents, l’image populaire du sapeur-pompier de Paris est celle du héros et du bon samaritain. Mais il arrive parfois que les circonstances dégénèrent en écarts et en dérives de comportement. Dans ces cas-là, dans le monde militaire, la punition est au rendez-vous…
Le pompier de Paris est militaire. Il a donc des devoirs : esprit de sacrifice, disponibilité, discrétion, mais aussi celui d’obéir aux ordres reçus et de respecter la discipline ; et ce depuis le décret du 18 septembre 1811. Les hommes sont « soumis aux lois, règlements et arrêtés relatifs à la discipline, police et justice militaire ». De plus, il est précisé que pour être reçu chez les sapeurs-pompiers de Paris, il faut, entre autre, ne pas avoir eu de punitions dans le corps d’origine. On recherche donc des hommes irréprochables ; et pourtant, les archives offrent un point de vue un peu différent.
Mutés, cassés dans leur grade, tours de consigne, jours de prison. Cela fait également parti de la vie des sapeurs-pompiers. Comme toute unité de l’Armée, des locaux disciplinaires étaient aménagés dans les casernes. On y trouve un poste de Police, des salles de disciplines, des prisons, des cellules.
Il faut savoir de la vie de cachots n’est pas de tout repos. Les détenus sont chargés des corvées de quartier, et doivent suivre les classes d’instruction comme chaque sapeur. Que ce soit les cours de théorie comme les exercices de gymnastique. Le tout sous la surveillance du sergent de semaine qui a la charge du service de la police et de la discipline dans les enceintes de la caserne et postes de ville. Les clés des cellules sont soigneusement gardées par les officiers. « Allez au trou » ! Mais pour quelle raison ? Les motifs principaux sont les suivants : refus d’obéissance, absence, abandon de poste, ivresse, et vol.
Bien souvent, les sujets et la formulation des bulletins de sanction des XIX-XXe siècles interpelle l’œil narquois de l’individu de notre temps. C’est une autre époque !
La loi du Talion n’est pas une solution. Le sapeur Rougier l’apprend à ses dépens. Il est sanctionné de quatorze jours de prison pour avoir coupé deux mèches de cheveux au perruquier de la compagnie pendant son sommeil. Il n’avait certainement pas apprécié sa dernière coupe.
On ne joue pas avec la nourriture ! Combien de fois l’a‑t-on entendu enfant. Sûrement pas assez pour les sapeurs Lambert et Mias, qui, après avoir été les adversaires d’une bataille de lancers de nouilles et légumes, lors du repas du midi au réfectoire, ont remporté huit jours de prison.
« Il y a des gens qui ont la susceptibilité de l’huître. On ne peut y toucher sans qu’ils se contractent » écrit le poète Paul-Jean Toulet. Serait-ce à dire que le sapeur Bourgignon est un poil irritable sur l’état de propreté de sa chambre ou que l’exigeante minutie du sergent chargé de la revue des chambres est responsable de l’incident. Les faits sont les faits. Après avoir entendu le reproche du gradé, le sapeur répondit : « il commence à me chier ». Permissions supprimées.
Parfois, il y a des jours, quand ça ne veut pas, ça veut pas. Le sapeur Jolly est un habitué des sanctions. Il faut dire qu’il a été muté en compagnie « dite disciplinaire » pour de nombreuses inconduites où il rejoint le sapeur Léonard, grand champion, qui totalise à lui seul 6 absences et 113 jours de punitions en deux années. Sous le coup de vingt tours de consignes, il récidive. Paroles outrageantes envers un supérieur, mauvaise volonté dans l’accomplissement des corvées, il se dérobe à ces dernières et part se coucher sur son lit avec ses bottes. Pour la hiérarchie, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Il prend 20 jours de prison, puis deux conseils de discipline plus tard, la punition est portée à 60 jours.
En décembre 1887, les pompiers défraient la chronique. Un fait interpelle au moins six quotidiens parisiens. La Lanterne titre « rixe entre pompiers et civils », « pompiers trop gais » pour l’Observateur Français, ou encore « un fait regrettable » pour Le Voltaire. L’histoire est anodine. Quatre sapeurs et un caporal de la caserne Château-Landon sortent gaiement d’un cabaret (jusqu’ici tout va bien), quand survient M. Ricard, marchand de foin, son commis et sa charrette. On sent la chose arriver. Stimulé par un éclair, un pompier décide de grimper sur la carriole et de lancer une botte de paille sur la tête d’un de ses camarades. C’est alors que, dans l’euphorie la plus totale, une bataille s’engage jusqu’à ce que le chargement soit vide. Le marchand, mécontent de l’issue de la bataille, tente de s’interposer, en vain. Il est repoussé violemment par les hommes, bien décidés à s’amuser. Le commis parti chercher de l’aide, revint quelques minutes plus tard avec des gardiens de la paix afin de rétablir l’ordre et la discipline. Les cinq pompiers furent conduits devant le commissaire Santini. On ose, alors, imaginer leur sanction !