Il ÉTAIT UNE FOIS — Quand les “Stats” donnent l’alerte

Damien Gre­nèche —  — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 08 h 49 

Histoire — Le standard est le lieu incontournable de la vie en caserne. De cet endroit, un sapeur-pompier déclenche l’envoi des secours. Les chefs de garde viennent y prendre les précieux renseignements sur la nature de leur intervention. Résolument tourné vers l’opérationnel, le rôle du stationnaire est historique.

Il faut remon­ter à 1873 pour trou­ver, grâce aux archives pré­cieu­se­ment conser­vées par la SCPMT1, les pre­mières traces de l’apparition du terme « sta­tion­naire ». En effet, dans le cahier d’ordres de cette année, on peut lire à la date du 19 août : « […] à l’heure de la garde mon­tante, il sera pla­cé en sup­plé­ment un sapeur dit : sta­tion­naire de poste, dans cha­cun des postes télégraphiques ».

Dans cette pre­mière moi­tié du XIXe siècle, les pom­piers pari­siens répar­tissent leurs forces en plu­sieurs petits déta­che­ments. Ces postes-vigies sont com­po­sés d’une équipe de trois hommes armant une pompe à bras. Dès qu’un feu est signa­lé par la popu­la­tion (en frap­pant à la porte), ces der­niers s’élancent au pas de gym­nas­tique, en pous­sant, à la force des bras, leur maté­riel de lutte contre l’incendie. Une fois la recon­nais­sance réa­li­sée par le capo­ral, le sapeur télé­gra­phiste devait retour­ner en cou­rant au poste pour trans­mettre les demandes de ren­fort à la caserne. Un des trois mes­sages sui­vants était alors pas­sé : « petit feu : je m’en charge », « feu inquié­tant : deman­dez du ren­fort », « grand feu : pré­ve­nez la caserne et le colo­nel ». Or, à par­tir de 1873, le sta­tion­naire com­plète l’effectif des postes. Son rôle est de res­ter à son appa­reil télé­gra­phique pen­dant 24 heures. On com­prend alors toute l’importance de cette fonc­tion. Désor­mais, les postes appe­lés au feu peuvent, avec lui, aver­tir immé­dia­te­ment leur caserne res­pec­tive et mettre un terme aux retards dans les com­mu­ni­ca­tions.
Les temps modernes
Le temps de réponse opé­ra­tion­nelle va dimi­nuer consi­dé­ra­ble­ment avec la mise en place des bornes-aver­tis­seurs dans les rues de Paris, dès le début de l’année 1885. Ces boîtes métal­liques, posées sur des piliers de fonte, abritent un émet­teur en morse.

Bureau télé­gra­phique en 1888.

Un an plus tard, avec la construc­tion de la caserne Cha­li­gny, un for­mi­dable outil est mis à la dis­po­si­tion du « stass ». Grâce à un nou­veau tableau élec­trique, le sta­tion­naire peut trans­mettre pré­ci­sé­ment l’alarme dans les par­ties concer­nées de la caserne. Il s’agit d’une son­ne­rie inté­rieure à six timbres et d’une son­ne­rie exté­rieure dédiée à pré­ve­nir les pas­sants et les éven­tuels gêneurs de la sor­tie immi­nente des secours. D’autre part, l’ajout de manettes spé­ci­fiques lui per­met d’actionner l’éclairage, le réchauf­feur de la pompe à vapeur ain­si que l’ouverture et la fer­me­ture auto­ma­tiques des portes des remises.

Allô, le 18 ?
1892 est la date de l’adoption du télé­phone dans les aver­tis­seurs et les postes pour rem­pla­cer les appa­reils télé­gra­phiques. Cette inno­va­tion est une réelle plus-value pour le sta­tion­naire qui pos­sède la lourde res­pon­sa­bi­li­té de dépê­cher les secours. Il peut désor­mais obte­nir de pré­cieux ren­sei­gne­ments comme l’adresse exacte du sinistre, sa nature, son impor­tance ; et donc éva­luer le volume de voi­tures à faire par­tir. En 1924, tous les centres de secours sont désor­mais reliés au télé­phone urbain. En deman­dant les pom­piers, l’appel est auto­ma­ti­que­ment trans­fé­ré à l’état-major, qui, par l’intermédiaire des « lignes de feu », retrans­met l’alerte aux postes concer­nés. Autre­ment, il faut connaître les inti­tu­lés des lignes (ex : Cha­li­gny, Dide­rot 51 – 52).

En 1929 (et non 1932 !), c’est la révo­lu­tion ! Doré­na­vant, et c’est encore le cas de nos jours, il suf­fit de com­po­ser le n°18 pour être mis en rela­tion avec les sapeurs-pompiers.

Prise d’appel au cen­tral de Cham­per­ret (1973).

Le cen­tral téléa­larme
La tech­no­lo­gie de récep­tion et trans­mis­sion des appels subit une pro­fonde muta­tion en 1947. Le régi­ment confie à l’association des ouvriers en ins­tru­ments de pré­ci­sion (AOIP), la tâche d’appuyer les ser­vices tech­niques pour la mise au point d’un nou­veau sys­tème : le cen­tral téléa­larme. Ce tableau com­prend trois par­ties. À gauche, on retrouve la par­tie alarme, au milieu, la par­tie son­ne­rie et, à droite, la par­tie liai­son. En haut de cette impo­sante struc­ture entiè­re­ment métal­lique se trouve le plan du sec­teur et, de chaque côté, le tableau des véhi­cules com­po­sant la garde incendie.

Voya­geons dans le temps. Pour cela, il nous faut incar­ner le corps du sapeur Barbe, sta­tion­naire à la 11e compagnie.

Un signal sonore reten­tit, à l’extrême gauche du tableau, au-des­sus des lampes d’appel réser­vées aux aver­tis­seurs pri­vés. Une lumière rouge s’allume sur la ran­gée des aver­tis­seurs publics. Une seconde lueur se dégage du plan. Il s’agit de l’emplacement de l’avertisseur. Le « stass » se dirige vers le poste opé­ra­teur. Au-des­sus du com­bi­né, le numé­ro 26 s’affiche. Deux diodes sur quatre sont allumées2 : une rouge et une blanche. Elles signalent que la glace de l’avertisseur a été bri­sée et que la porte du télé­phone a été ouverte. Le sapeur Barbe décroche le combiné.

« – Les pom­piers, j’écoute…
– Il y a le feu au café de la place Sainte-Cathe­rine.
– J’envoie les secours ! »

Ensuite, il presse le bou­ton « départ nor­mal ». Cette action déclenche une son­ne­rie auto­ma­tique spé­ci­fique. Ici, un ron­fleur de trois secondes sui­vi d’un coup long de six secondes. Au niveau de la garde incen­die, pour le four­gon-pompe, le pre­miers-secours et le porte-échelle, la diode com­por­tant la men­tion « sor­ti » s’allume.

Cette par­tie du tableau indique en temps réel au sta­tion­naire l’état de sa remise. Devant chaque véhi­cule, il y a trois cases : « en ser­vice », « indis­po­nible » et « sor­ti ». Lors du retour des inter­ve­nants, le sta­tion­naire effec­tue une manœuvre qui replace le(s) véhicule(s) sorti(s) dans une posi­tion de dis­po­ni­bi­li­té et éteint éga­le­ment la signa­li­sa­tion lumi­neuse. Par ailleurs, à la fin de l’intervention, lorsque la glace de l’avertisseur est rem­pla­cée et que la porte auto­ri­sant l’accès au boî­tier est refer­mée, les lumières du poste opé­ra­teur s’éteignent. Ceci a pour effet de le rendre dis­po­nible pour de nou­veaux appels.

La der­nière par­tie du cen­tral concerne les liai­sons télé­pho­niques avec le réseau urbain, l’état-major, les autres centres de secours de la com­pa­gnie et les lignes internes (bureaux, appar­te­ments, etc.) par un sys­tème de fiche.

Le CCOT, vue glo­bale
À par­tir de 1971, le centre de coor­di­na­tion des opé­ra­tions de trans­mis­sion (CCOT), situé à l’état-major, cen­tra­lise tous les appels 18. L’opérateur doit savoir : où, quoi, qui et com­ment. Tout en écou­tant, il ins­crit sur le registre l’heure de l’appel, l’adresse et la nature du sinistre, mais aus­si le numé­ro de l’appelant. Après avoir rac­cro­ché, il consulte les fiches de rues et défi­nit le centre de secours du ter­ri­toire com­pé­tent (CSTC). Cette longue opé­ra­tion prend envi­ron 2 minutes. Pré­ve­nu par télé­phone, le sta­tion­naire n’a plus qu’à déclen­cher le départ des véhi­cules de secours. Après l’incendie du Publi­cis (1972), une polé­mique s’abat sur la Bri­gade. On reproche aux pom­piers pari­siens d’avoir été lents et désor­ga­ni­sés. Consé­quem­ment, plu­sieurs pres­crip­tions sont éta­blies comme l’enregistrement des appels (1974) et l’utilisation du sty­lo-bille pour la rédac­tion des mains cou­rantes à la place du crayon bois. En rouge sont notés les départs pour feu et en noir les mes­sages administratifs.

SYCORA, les pré­mices du numé­rique
L’arrivée de l’informatique en 1983 avec le sys­tème de com­mu­ni­ca­tion des réseaux d’alerte (SYCORA) trans­forme le stan­dard. Avec l’ordinateur, fini les erreurs ver­bales. Chaque « stass » reçoit un ordre de départ impri­mé avec tous les ren­sei­gne­ments néces­saires. Il suf­fit de fer­mer les yeux pour se sou­ve­nir du bruit stri­dent et haché de l’imprimante.

Le BOT (aujourd’hui PVO), sous les ordres du ser­gent de jour, est au cœur de la vie opé­ra­tion­nelle du centre de secours puisque le sta­tion­naire assure désor­mais l’écoute radio des inter­ven­tions sur son secteur.

Si aujourd’hui le centre opé­ra­tion­nel de la Bri­gade tend vers le tout numé­rique, il s’appuie sur toute cette expé­rience du départ des secours pour être des plus efficaces.

1 Sec­tion conser­va­tion du patri­moine, de la mémoire et des tra­di­tions.
2 La diode verte indique un déran­ge­ment sur la ligne, la diode bleue indique une panne du système.