Retour d’inter — Retour sur cette chaude journée d’été, où les promeneurs sont nombreux rue du Sentier dans le IIe arrondissement. L’après-midi débute à peine lorsque les flâneries sont surprises par l’arrivée soudaine des pompiers toutes sirènes hurlantes. Un incendie s’est déclaré dans un immeuble de la rue…
Deuxième arrondissement de Paris. 20 juillet 2024. 31°C. « Plus on approche du lieu de l’incendie et plus cette odeur de brûlé s’intensifie », entame le lieutenant Matthieu Quénan, à bord du fourgon de Rousseau, premier engin arrivé sur les lieux. « Lorsque l’on tourne sur la rue du Sentier, là où l’immeuble est en flammes, nous sommes confrontés à l’incendie avant même d’être arrivés. La rue est totalement enfumée », continue-t-il.
Le fourgon avance jusqu’à dépasser l’adresse. « Le hall d’entrée brûle complètement », se souvient le lieutenant Quénan, premier Commandant des opérations de secours (COS). « Les flammes sortent sur la rue depuis la porte d’entrée, mais aussi par la toiture ! De la fumée noire s’échappe également du rideau métallique de la boutique, anciennement de textile, et désormais utilisée comme lieu de stockage », ajoute le capitaine Alexis Beaumont, second COS. Toutes les fenêtres de l’immeuble crachent de la fumée. À l’arrivée des secours, le feu est déjà entièrement développé et très virulent. Il est instantanément catégorisé comme feu d’immeuble.
Un immeuble en réfection. Aussitôt ces premières observations effectuées, un renfort habitation est demandé par le lieutenant Quénan avant de réaliser son tour du feu. « J’ai une pensée pour le gaz, l’électricité, la localisation de la courette et évidemment, les potentiels sauvetages. À cet instant, nous sommes persuadés que l’immeuble est habité », poursuit le premier COS. À première vue, aucun sauvetage n’est à réaliser. Alertés par les habitants des immeubles environnants, les pompiers aperçoivent une silhouette au sixième étage, derrière un renfoncement. Immédiatement, l’échelle pivotante automatique (EPA) de Rousseau se présente au cinquième niveau avant d’être prolongée par une échelle à crochets jusqu’au sixième. « J’anticipe l’état de santé de la victime avant même qu’elle ne soit sauvée, car de larges panaches de fumée noire sortent de son appartement. Je la déclare en urgence absolue », décrit le capitaine Beaumont.
Un autre appartement est occupé, au cinquième étage cette fois-ci. Les occupants se sont enfuis à temps par la coursive du bâtiment puis par l’échelle donnant sur le toit de l’immeuble voisin avant de s’y réfugier en attendant les secours. Un troisième appartement est habité, mais vide au moment des faits.
Lutter contre les flammes. Simultanément, d’autres équipes sont engagées dans la lutte contre l’incendie. Le hall et la boutique de tissus doivent impérativement être éteints avant de pouvoir accéder à l’escalier central en bois et aux étages. « J’ordonne à chacune des deux équipes du fourgon de Rousseau d’établir une lance au rez-de-chaussée, interpelle le lieutenant Matthieu Quénan. J’anticipe le fait que la cage d’escalier est très probablement enflammée. » Les binômes avancent vite, mais très rapidement, la cage d’escalier présente des signes d’effondrement et rend inaccessibles les niveaux supérieurs au troisième. « Les équipes de Rousseau me rendent compte que la cage d’escalier commence à se désolidariser du mur et de la cage d’ascenseur en structure métallique, enchaîne le capitaine Alexis Beaumont. Mon conducteur et moi-même partons vérifier. Arrivés au troisième, nous laissons chacun un pied à travers les marches. » Il faut trouver un autre moyen pour monter dans les étages et éteindre ce brasier…
Le feu est toujours très virulent en raison de la réfection du rez-de-chaussée et des trois premiers étages, et de l’absence de fenêtres et de portes à ces niveaux. Toutes les ouvertures réalisaient un puissant appel d’air embrasant, avant même l’arrivée des secours ; l’intégralité de la cage d’escalier et le dernier étage formant une immense colonne de feu. « On éteignait un niveau, on montait à l’étage supérieur, ça reprenait en-dessous », confie le lieutenant Quénan. Les appartements côté courette ont brûlé sur toute la hauteur du bâtiment en raison du très fort mouvement aéraulique. La puissance des flammes et le risque d’effondrement, proclamé par les architectes, obligent les soldats du feu à se désengager de l’intérieur du bâtiment afin de réaliser une attaque d’atténuation. Les moyens élévateurs aériens (MEA) et les échelles à mains permettent d’investir, par l’extérieur, les étages les plus élevés, à commencer par le troisième niveau. « Seuls les appartements des premier et deuxième étages donnant sur rue ont été épargnés par les flammes. Le feu est redescendu de la toiture au quatrième puis au troisième étage, côté rue des Jeuneurs », poursuit le capitaine Alexis Beaumont. Les toits des immeubles voisins sont eux aussi investis avec quatre lances établies au 18 rue du Sentier en direction du bâtiment en flammes.
Une présence interdite. En milieu d’après-midi, toute entrée dans le bâtiment est interdite. Le risque bâtimentaire est trop important. Le déblai et le dégarnissage sont donc prohibés. « Quand vous avez un incendie de cette ampleur, vous vous doutez qu’il y a des poutres en train de se consumer, mais on ne le voit pas à l’œil nu, ni même à la caméra thermique. Comme l’immeuble était en rénovation, il y avait des couches d’isolant et de ragréage, donc le feu ne s’est jamais réellement éteint durant un mois », déclare le second COS. La décision est donc prise de remplacer toutes les échelles par des bras élévateurs aériens, plus maniables et plus sécurisants pour les pompiers engagés, leur assurant un chemin de repli.
Deux à trois semaines après le début de l’intervention, une nouvelle demande d’architecte est réalisée en raison des reprises de feu quasi quotidiennes. Aux alentours du 10 août, de nouveaux plans sont transmis aux pompiers. Un escalier en béton a été réhabilité et masqué derrière des planches en bois clouées au mur ! À l’aide de ces plans, les pompiers réalisent quelques trouées et les remplissent de mousse afin d’éteindre les éléments inatteignables. « Mettre de la mousse par l’extérieur ne suffit pas, car elle ne pénètre pas et reste en surface. Les sols sont très étanches avec la rénovation des planchers, le parquet, la colle, l’isolant, etc », explique le capitaine Alexis Beaumont.
Le 21 août, soit un mois et un jour après le début de l’incendie, le feu est déclaré éteint. Malgré l’ampleur du sinistre, aucun pompier n’a été blessé. Par ailleurs, la victime du sixième étage a finalement été laissée sur place.