INCENDIE — Cheminée de feu

You­na Lan­dron —  — Modi­fiée le 13 décembre 2024 à 09 h 38 

Retour d’inter — Retour sur cette chaude journée d’été, où les promeneurs sont nombreux rue du Sentier dans le IIe arrondissement. L’après-midi débute à peine lorsque les flâneries sont surprises par l’arrivée soudaine des pompiers toutes sirènes hurlantes. Un incendie s’est déclaré dans un immeuble de la rue…

Deuxième arron­dis­se­ment de Paris. 20 juillet 2024. 31°C. « Plus on approche du lieu de l’incendie et plus cette odeur de brû­lé s’intensifie », entame le lieu­te­nant Mat­thieu Qué­nan, à bord du four­gon de Rous­seau, pre­mier engin arri­vé sur les lieux. « Lorsque l’on tourne sur la rue du Sen­tier, là où l’immeuble est en flammes, nous sommes confron­tés à l’incendie avant même d’être arri­vés. La rue est tota­le­ment enfu­mée », conti­nue-t-il.

Le four­gon avance jusqu’à dépas­ser l’adresse. « Le hall d’entrée brûle com­plè­te­ment », se sou­vient le lieu­te­nant Qué­nan, pre­mier Com­man­dant des opé­ra­tions de secours (COS). « Les flammes sortent sur la rue depuis la porte d’entrée, mais aus­si par la toi­ture ! De la fumée noire s’échappe éga­le­ment du rideau métal­lique de la bou­tique, ancien­ne­ment de tex­tile, et désor­mais uti­li­sée comme lieu de sto­ckage », ajoute le capi­taine Alexis Beau­mont, second COS. Toutes les fenêtres de l’immeuble crachent de la fumée. À l’arrivée des secours, le feu est déjà entiè­re­ment déve­lop­pé et très viru­lent. Il est ins­tan­ta­né­ment caté­go­ri­sé comme feu d’immeuble.

Un immeuble en réfec­tion. Aus­si­tôt ces pre­mières obser­va­tions effec­tuées, un ren­fort habi­ta­tion est deman­dé par le lieu­te­nant Qué­nan avant de réa­li­ser son tour du feu. « J’ai une pen­sée pour le gaz, l’électricité, la loca­li­sa­tion de la cou­rette et évi­dem­ment, les poten­tiels sau­ve­tages. À cet ins­tant, nous sommes per­sua­dés que l’immeuble est habi­té », pour­suit le pre­mier COS. À pre­mière vue, aucun sau­ve­tage n’est à réa­li­ser. Aler­tés par les habi­tants des immeubles envi­ron­nants, les pom­piers aper­çoivent une sil­houette au sixième étage, der­rière un ren­fon­ce­ment. Immé­dia­te­ment, l’échelle pivo­tante auto­ma­tique (EPA) de Rous­seau se pré­sente au cin­quième niveau avant d’être pro­lon­gée par une échelle à cro­chets jusqu’au sixième. « J’anticipe l’état de san­té de la vic­time avant même qu’elle ne soit sau­vée, car de larges panaches de fumée noire sortent de son appar­te­ment. Je la déclare en urgence abso­lue », décrit le capi­taine Beaumont.

Un autre appar­te­ment est occu­pé, au cin­quième étage cette fois-ci. Les occu­pants se sont enfuis à temps par la cour­sive du bâti­ment puis par l’échelle don­nant sur le toit de l’immeuble voi­sin avant de s’y réfu­gier en atten­dant les secours. Un troi­sième appar­te­ment est habi­té, mais vide au moment des faits.

Lut­ter contre les flammes. Simul­ta­né­ment, d’autres équipes sont enga­gées dans la lutte contre l’incendie. Le hall et la bou­tique de tis­sus doivent impé­ra­ti­ve­ment être éteints avant de pou­voir accé­der à l’escalier cen­tral en bois et aux étages. « J’ordonne à cha­cune des deux équipes du four­gon de Rous­seau d’établir une lance au rez-de-chaus­sée, inter­pelle le lieu­te­nant Mat­thieu Qué­nan. J’anticipe le fait que la cage d’escalier est très pro­ba­ble­ment enflam­mée. » Les binômes avancent vite, mais très rapi­de­ment, la cage d’escalier pré­sente des signes d’effondrement et rend inac­ces­sibles les niveaux supé­rieurs au troi­sième. « Les équipes de Rous­seau me rendent compte que la cage d’escalier com­mence à se déso­li­da­ri­ser du mur et de la cage d’ascenseur en struc­ture métal­lique, enchaîne le capi­taine Alexis Beau­mont. Mon conduc­teur et moi-même par­tons véri­fier. Arri­vés au troi­sième, nous lais­sons cha­cun un pied à tra­vers les marches. » Il faut trou­ver un autre moyen pour mon­ter dans les étages et éteindre ce brasier…

Le feu est tou­jours très viru­lent en rai­son de la réfec­tion du rez-de-chaus­sée et des trois pre­miers étages, et de l’absence de fenêtres et de portes à ces niveaux. Toutes les ouver­tures réa­li­saient un puis­sant appel d’air embra­sant, avant même l’arrivée des secours ; l’intégralité de la cage d’escalier et le der­nier étage for­mant une immense colonne de feu. « On étei­gnait un niveau, on mon­tait à l’étage supé­rieur, ça repre­nait en-des­sous », confie le lieu­te­nant Qué­nan. Les appar­te­ments côté cou­rette ont brû­lé sur toute la hau­teur du bâti­ment en rai­son du très fort mou­ve­ment aérau­lique. La puis­sance des flammes et le risque d’effondrement, pro­cla­mé par les archi­tectes, obligent les sol­dats du feu à se désen­ga­ger de l’intérieur du bâti­ment afin de réa­li­ser une attaque d’atténuation. Les moyens élé­va­teurs aériens (MEA) et les échelles à mains per­mettent d’investir, par l’extérieur, les étages les plus éle­vés, à com­men­cer par le troi­sième niveau. « Seuls les appar­te­ments des pre­mier et deuxième étages don­nant sur rue ont été épar­gnés par les flammes. Le feu est redes­cen­du de la toi­ture au qua­trième puis au troi­sième étage, côté rue des Jeu­neurs », pour­suit le capi­taine Alexis Beau­mont. Les toits des immeubles voi­sins sont eux aus­si inves­tis avec quatre lances éta­blies au 18 rue du Sen­tier en direc­tion du bâti­ment en flammes.

Une pré­sence inter­dite. En milieu d’après-midi, toute entrée dans le bâti­ment est inter­dite. Le risque bâti­men­taire est trop impor­tant. Le déblai et le dégar­nis­sage sont donc pro­hi­bés. « Quand vous avez un incen­die de cette ampleur, vous vous dou­tez qu’il y a des poutres en train de se consu­mer, mais on ne le voit pas à l’œil nu, ni même à la camé­ra ther­mique. Comme l’immeuble était en réno­va­tion, il y avait des couches d’isolant et de ragréage, donc le feu ne s’est jamais réel­le­ment éteint durant un mois », déclare le second COS. La déci­sion est donc prise de rem­pla­cer toutes les échelles par des bras élé­va­teurs aériens, plus maniables et plus sécu­ri­sants pour les pom­piers enga­gés, leur assu­rant un che­min de repli.

Deux à trois semaines après le début de l’intervention, une nou­velle demande d’architecte est réa­li­sée en rai­son des reprises de feu qua­si quo­ti­diennes. Aux alen­tours du 10 août, de nou­veaux plans sont trans­mis aux pom­piers. Un esca­lier en béton a été réha­bi­li­té et mas­qué der­rière des planches en bois clouées au mur ! À l’aide de ces plans, les pom­piers réa­lisent quelques trouées et les rem­plissent de mousse afin d’éteindre les élé­ments inat­tei­gnables. « Mettre de la mousse par l’extérieur ne suf­fit pas, car elle ne pénètre pas et reste en sur­face. Les sols sont très étanches avec la réno­va­tion des plan­chers, le par­quet, la colle, l’isolant, etc », explique le capi­taine Alexis Beaumont.

Le 21 août, soit un mois et un jour après le début de l’incendie, le feu est décla­ré éteint. Mal­gré l’ampleur du sinistre, aucun pom­pier n’a été bles­sé. Par ailleurs, la vic­time du sixième étage a fina­le­ment été lais­sée sur place.

Photo : CCH Marc Loukachine — Illustration : René Dosne

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