Retour d’inter — En pleine nuit, un violent incendie se déclare en plein cœur de Paris, dans le IIe arrondissement. De multiples déconvenues vont venir alimenter une intervention des plus complexes pour les pompiers.
Aux environs de 04 h 30, les pompiers de la 7e compagnie sont sortis de leur sommeil par le ronfleur. Un incendie s’est déclenché au septième et dernier étage d’un immeuble avec une notion de personnes bloquées dans les étages. Le sinistre se situe dans le deuxième arrondissement de Paris, 17 boulevard des Italiens. L’endroit exact où le Crédit Lyonnais avait presque intégralement brûlé près de trente ans auparavant… « Le pompier de la 7, dans son imaginaire, part au Crédit Lyonnais », explique le capitaine Alexandre Clastrier, officier de garde compagnie, sonné quelques minutes plus tard.
Pourtant, une fois sur place, il ne se passe rien. Visiblement, le Crédit Lyonnais ne brûle pas une deuxième fois. « Au moment où je demande la confirmation de l’adresse, le premier engin de Saint-Honoré, le fourgon pompe tonne léger (FPTL) n°36, est redirigé par radio au 25 boulevard des Italiens », raconte le sergent-chef Roman Joffo, chef de garde du départ normal et premier Commandant des opérations de secours (COS). « Il n’y a aucun signe extérieur au-dessus du bâtiment. Aucun bruit. Un calme olympien. Rien. Rien sur rue nous laissant présager de ce que l’on va finir par découvrir au 25 », rapporte le capitaine Clastrier, deuxième COS de l’intervention.
Au 25, les immeubles sont haussmanniens. En entrant dans le hall de l’immeuble principal, les pompiers tombent sur une cage d’escalier et une porte fermée donnant probablement sur l’extérieur. Le sergent-chef Joffo ouvre cette porte et arrive dans une petite courette très étroite, en forme de L, totalement embrasée. Tellement étroite qu’il est difficile d’y passer à deux. Cette courette était recouverte d’un enduit déjà consommé, coulé et fondu à l’arrivée des secours. Aussitôt, un renfort habitation est demandé. « Il y a des flammes un peu partout sur les côtés et une fuite de gaz enflammée au fond de cette courette au premier étage, confie le commandant d’unité de la 7e compagnie. La colonne de gaz sort à l’air libre au-dessus de ce qui était initialement un petit toit, entièrement consumé à notre arrivée », à tel point que le capitaine pense avoir affaire à une petite courette ouverte à l’air libre au départ.
Le feu n’est pas au septième étage comme annoncé, mais plutôt en bas de l’immeuble. Encore une fois, il n’y a aucun bruit. Personne ne se manifeste dans les étages… Un silence pesant règne. Le capitaine commence son tour du feu et se rend, dans un premier temps, au fond de la courette. Très encombrée et très sombre en raison des fumées, il pense être face à un cul-de-sac. Il fait alors demi-tour et monte au sixième étage du bâtiment donnant sur rue par l’escalier principal. Des portes blindées appartenant à des bureaux et des appartements entourent le palier. Pour atteindre le septième étage comprenant deux appartements sous combles non communicants avec les bâtiments adjacents, il emprunte un tout petit escalier. « Arrivé au septième, un habitant sous comble m’ouvre la porte. Tout juste réveillé, il n’est pas paniqué malgré une légère odeur de brûlé et un voile de fumée qui commencent à envahir son appartement. Par les fenêtres, on ne voit rien. Il n’y a toujours pas de bruit. C’est très déstabilisant. Peu inquiet pour le moment, mais ne souhaitant pas pour autant le laisser dans son logement, je lui demande de me suivre jusqu‘au rez-de-chaussée pour se mettre à l’abri », poursuit le capitaine Clastrier.
Le tour du feu terminé, la fuite de gaz enflammée n’est toujours pas arrêtée. Un barrage fait de la résistance. Deux lances s’activent autour afin de limiter le développement du feu. La première refroidit les façades contiguës à la fuite de gaz enflammée et la seconde éteint les résidus de foyer, mais…
Où est donc ce feu au septième étage et où sont les personnes bloquées ?
Un cul-de-sac qui n’en est pas un. « Le chef de garde me rend compte que, finalement, au fond de la courette, il y a un accès à une petite porte, désormais inexistante, car totalement brûlée, menant sur des escaliers », détaille le commandant des opérations de secours. Cette cage d’escalier de service en bois est entièrement embrasée. Une verrière non manœuvrable, située à l’aplomb de l’escalier, empêche les fumées de s’évacuer. Les opérations d’extinction et de reconnaissances de ladite cage commencent. La première équipe engagée est aussitôt relevée, car le premier chef a été brûlé au niveau du cou. Les reconnaissances continuent, avant d’être stoppées entre le cinquième et le sixième étage en raison de l’effondrement de la cage d’escalier. Au cinquième étage, une gaine a permis au feu de s’engouffrer dans un bureau d’une vingtaine de mètres carrés rapidement éteint.
« On se retrouve donc avec toute une courette embrasée, une fuite de gaz enflammée, une cage d’escalier sur sept étages partie en fumée. On comprend désormais pourquoi on est parti pour feu au septième étage… Très vite, ça devient une source d’angoisses parce que nous sommes bloqués. Pour l’instant, on a trouvé qu’un accès », reprend le capitaine.
Au même moment, le gaz finit par être barré. Le premier message d’ambiance est diffusé : « Le feu intéresse un local situé au rez-de-chaussée en fond de courette ayant mis le feu à une fuite de gaz. Le feu s’est propagé par une cage d’escalier en fond de courette et menace de se propager à l’ensemble du bâtiment. Pour le moment, deux lances en manœuvre. Le bilan humain fait état d’un sapeur-pompier de Paris en urgence relative. Les difficultés résident dans l’imbrication de quatre bâtiments autour du feu qui menace différentes adresses, boulevard des Italiens et rue de Choiseul. L’effort porte sur la lutte contre les propagations et la reconnaissance des bâtiments contigus au feu ».
Le capitaine se rend au poste de commandement pour faire un premier point de situation avec l’officier PC en s’appuyant notamment sur les images du drone. « On m’informe que des points chauds très inquiétants avec des fumées commencent à s’échapper de la toiture et une personne bloquée au septième étage est aperçue. » À cet instant, le colonel Frédérick Zimmermann, officier supérieur de garde, devient le troisième commandant des opérations de secours. Il demande aussitôt le Groupe d’intervention en milieu périlleux (GRIMP) et un groupe de Recherche et de sauvetage en milieu urbain (RSMU) afin d’effectuer le sauvetage par l’extérieur. Pour l’instant, le septième étage est inaccessible de l’intérieur. Les fenêtres du septième étage sont très étroites. Heureusement, la personne à sauver étant très mince, elle réussit à se glisser entre les barreaux puis elle est récupérée par un pompier positionné sur l’échelle à crochets et sécurisé par le personnel du GRIMP tout juste arrivé.
Le feu de la cage d’escalier court toujours. Un nouvel établissement est donc mis en place par l’extérieur et le RSMU crée une ligne d’arrêt entre les deux lucarnes. Simultanément, des pompiers forcent les portes blindées du sixième étage donnant boulevard des Italiens. Tous les bureaux et appartements ont un accès sur la cage d’escalier en flammes où un second pompier de Paris est brûlé. Les pompiers décident alors de passer par le sixième étage pour contourner l’effondrement de la cage d’escalier embrasée et atteindre le septième étage a priori concerné par le sinistre et accessible uniquement par l’escalier de service.
Après pratiquement trois heures d’attaque, trois victimes sont malheureusement décédées. Elles s’étaient réfugiées dans un local d’une dizaine de mètres carrés, servant vraisemblablement d’appartement, où elles ont été piégées par l’incendie. De multiples barreaux étaient présents aux fenêtres, les fumées étaient épaisses et les flammes ont fini par détruire le petit appartement.
« Dans cette intervention complexe, les intervenants sont confrontés à des problématiques différentes pendant plus de deux heures : la mauvaise adresse, une fuite de gaz enflammée, une cage d’escalier en flammes, un sapeur-pompier de Paris blessé, un deuxième, la toiture qui prend feu, une victime à sauver, une cage d’escalier qui s’effondre et malheureusement, trois décès », conclut le capitaine Clastrier .