INCENDIE MORTEL BOULEVARD DES ITALIENS — Incompréhension et stupeur

You­na Lan­dron —  — Modi­fiée le 26 août 2024 à 09 h 29 

Retour d’inter — En pleine nuit, un violent incendie se déclare en plein cœur de Paris, dans le IIe arrondissement. De multiples déconvenues vont venir alimenter une intervention des plus complexes pour les pompiers.

Aux envi­rons de 04 h 30, les pom­piers de la 7e com­pa­gnie sont sor­tis de leur som­meil par le ron­fleur. Un incen­die s’est déclen­ché au sep­tième et der­nier étage d’un immeuble avec une notion de per­sonnes blo­quées dans les étages. Le sinistre se situe dans le deuxième arron­dis­se­ment de Paris, 17 bou­le­vard des Ita­liens. L’endroit exact où le Cré­dit Lyon­nais avait presque inté­gra­le­ment brû­lé près de trente ans aupa­ra­vant… « Le pom­pier de la 7, dans son ima­gi­naire, part au Cré­dit Lyon­nais », explique le capi­taine Alexandre Clas­trier, offi­cier de garde com­pa­gnie, son­né quelques minutes plus tard.

Pour­tant, une fois sur place, il ne se passe rien. Visi­ble­ment, le Cré­dit Lyon­nais ne brûle pas une deuxième fois. « Au moment où je demande la confir­ma­tion de l’adresse, le pre­mier engin de Saint-Hono­ré, le four­gon pompe tonne léger (FPTL) n°36, est redi­ri­gé par radio au 25 bou­le­vard des Ita­liens », raconte le ser­gent-chef Roman Jof­fo, chef de garde du départ nor­mal et pre­mier Com­man­dant des opé­ra­tions de secours (COS). « Il n’y a aucun signe exté­rieur au-des­sus du bâti­ment. Aucun bruit. Un calme olym­pien. Rien. Rien sur rue nous lais­sant pré­sa­ger de ce que l’on va finir par décou­vrir au 25 », rap­porte le capi­taine Clas­trier, deuxième COS de l’intervention.

Au 25, les immeubles sont hauss­man­niens. En entrant dans le hall de l’immeuble prin­ci­pal, les pom­piers tombent sur une cage d’escalier et une porte fer­mée don­nant pro­ba­ble­ment sur l’extérieur. Le ser­gent-chef Jof­fo ouvre cette porte et arrive dans une petite cou­rette très étroite, en forme de L, tota­le­ment embra­sée. Tel­le­ment étroite qu’il est dif­fi­cile d’y pas­ser à deux. Cette cou­rette était recou­verte d’un enduit déjà consom­mé, cou­lé et fon­du à l’arrivée des secours. Aus­si­tôt, un ren­fort habi­ta­tion est deman­dé. « Il y a des flammes un peu par­tout sur les côtés et une fuite de gaz enflam­mée au fond de cette cou­rette au pre­mier étage, confie le com­man­dant d’unité de la 7e com­pa­gnie. La colonne de gaz sort à l’air libre au-des­sus de ce qui était ini­tia­le­ment un petit toit, entiè­re­ment consu­mé à notre arri­vée », à tel point que le capi­taine pense avoir affaire à une petite cou­rette ouverte à l’air libre au départ.

Le feu n’est pas au sep­tième étage comme annon­cé, mais plu­tôt en bas de l’immeuble. Encore une fois, il n’y a aucun bruit. Per­sonne ne se mani­feste dans les étages… Un silence pesant règne. Le capi­taine com­mence son tour du feu et se rend, dans un pre­mier temps, au fond de la cou­rette. Très encom­brée et très sombre en rai­son des fumées, il pense être face à un cul-de-sac. Il fait alors demi-tour et monte au sixième étage du bâti­ment don­nant sur rue par l’escalier prin­ci­pal. Des portes blin­dées appar­te­nant à des bureaux et des appar­te­ments entourent le palier. Pour atteindre le sep­tième étage com­pre­nant deux appar­te­ments sous combles non com­mu­ni­cants avec les bâti­ments adja­cents, il emprunte un tout petit esca­lier. « Arri­vé au sep­tième, un habi­tant sous comble m’ouvre la porte. Tout juste réveillé, il n’est pas pani­qué mal­gré une légère odeur de brû­lé et un voile de fumée qui com­mencent à enva­hir son appar­te­ment. Par les fenêtres, on ne voit rien. Il n’y a tou­jours pas de bruit. C’est très désta­bi­li­sant. Peu inquiet pour le moment, mais ne sou­hai­tant pas pour autant le lais­ser dans son loge­ment, je lui demande de me suivre jusqu‘au rez-de-chaus­sée pour se mettre à l’abri », pour­suit le capi­taine Clastrier.

Le tour du feu ter­mi­né, la fuite de gaz enflam­mée n’est tou­jours pas arrê­tée. Un bar­rage fait de la résis­tance. Deux lances s’activent autour afin de limi­ter le déve­lop­pe­ment du feu. La pre­mière refroi­dit les façades conti­guës à la fuite de gaz enflam­mée et la seconde éteint les rési­dus de foyer, mais… 
Où est donc ce feu au sep­tième étage et où sont les per­sonnes blo­quées ?
Un cul-de-sac qui n’en est pas un. « Le chef de garde me rend compte que, fina­le­ment, au fond de la cou­rette, il y a un accès à une petite porte, désor­mais inexis­tante, car tota­le­ment brû­lée, menant sur des esca­liers », détaille le com­man­dant des opé­ra­tions de secours. Cette cage d’escalier de ser­vice en bois est entiè­re­ment embra­sée. Une ver­rière non manœu­vrable, située à l’aplomb de l’escalier, empêche les fumées de s’évacuer. Les opé­ra­tions d’extinction et de recon­nais­sances de ladite cage com­mencent. La pre­mière équipe enga­gée est aus­si­tôt rele­vée, car le pre­mier chef a été brû­lé au niveau du cou. Les recon­nais­sances conti­nuent, avant d’être stop­pées entre le cin­quième et le sixième étage en rai­son de l’effondrement de la cage d’escalier. Au cin­quième étage, une gaine a per­mis au feu de s’engouffrer dans un bureau d’une ving­taine de mètres car­rés rapi­de­ment éteint.

« On se retrouve donc avec toute une cou­rette embra­sée, une fuite de gaz enflam­mée, une cage d’escalier sur sept étages par­tie en fumée. On com­prend désor­mais pour­quoi on est par­ti pour feu au sep­tième étage… Très vite, ça devient une source d’angoisses parce que nous sommes blo­qués. Pour l’instant, on a trou­vé qu’un accès », reprend le capitaine.

Au même moment, le gaz finit par être bar­ré. Le pre­mier mes­sage d’ambiance est dif­fu­sé : « Le feu inté­resse un local situé au rez-de-chaus­sée en fond de cou­rette ayant mis le feu à une fuite de gaz. Le feu s’est pro­pa­gé par une cage d’escalier en fond de cou­rette et menace de se pro­pa­ger à l’ensemble du bâti­ment. Pour le moment, deux lances en manœuvre. Le bilan humain fait état d’un sapeur-pom­pier de Paris en urgence rela­tive. Les dif­fi­cul­tés résident dans l’imbrication de quatre bâti­ments autour du feu qui menace dif­fé­rentes adresses, bou­le­vard des Ita­liens et rue de Choi­seul. L’effort porte sur la lutte contre les pro­pa­ga­tions et la recon­nais­sance des bâti­ments conti­gus au feu ».

Le capi­taine se rend au poste de com­man­de­ment pour faire un pre­mier point de situa­tion avec l’officier PC en s’appuyant notam­ment sur les images du drone. « On m’informe que des points chauds très inquié­tants avec des fumées com­mencent à s’échapper de la toi­ture et une per­sonne blo­quée au sep­tième étage est aper­çue. » À cet ins­tant, le colo­nel Fré­dé­rick Zim­mer­mann, offi­cier supé­rieur de garde, devient le troi­sième com­man­dant des opé­ra­tions de secours. Il demande aus­si­tôt le Groupe d’intervention en milieu périlleux (GRIMP) et un groupe de Recherche et de sau­ve­tage en milieu urbain (RSMU) afin d’effectuer le sau­ve­tage par l’extérieur. Pour l’instant, le sep­tième étage est inac­ces­sible de l’intérieur. Les fenêtres du sep­tième étage sont très étroites. Heu­reu­se­ment, la per­sonne à sau­ver étant très mince, elle réus­sit à se glis­ser entre les bar­reaux puis elle est récu­pé­rée par un pom­pier posi­tion­né sur l’échelle à cro­chets et sécu­ri­sé par le per­son­nel du GRIMP tout juste arrivé.

Le feu de la cage d’escalier court tou­jours. Un nou­vel éta­blis­se­ment est donc mis en place par l’extérieur et le RSMU crée une ligne d’arrêt entre les deux lucarnes. Simul­ta­né­ment, des pom­piers forcent les portes blin­dées du sixième étage don­nant bou­le­vard des Ita­liens. Tous les bureaux et appar­te­ments ont un accès sur la cage d’escalier en flammes où un second pom­pier de Paris est brû­lé. Les pom­piers décident alors de pas­ser par le sixième étage pour contour­ner l’effondrement de la cage d’escalier embra­sée et atteindre le sep­tième étage a prio­ri concer­né par le sinistre et acces­sible uni­que­ment par l’escalier de service.

Après pra­ti­que­ment trois heures d’attaque, trois vic­times sont mal­heu­reu­se­ment décé­dées. Elles s’étaient réfu­giées dans un local d’une dizaine de mètres car­rés, ser­vant vrai­sem­bla­ble­ment d’appartement, où elles ont été pié­gées par l’incendie. De mul­tiples bar­reaux étaient pré­sents aux fenêtres, les fumées étaient épaisses et les flammes ont fini par détruire le petit appartement.

« Dans cette inter­ven­tion com­plexe, les inter­ve­nants sont confron­tés à des pro­blé­ma­tiques dif­fé­rentes pen­dant plus de deux heures : la mau­vaise adresse, une fuite de gaz enflam­mée, une cage d’escalier en flammes, un sapeur-pom­pier de Paris bles­sé, un deuxième, la toi­ture qui prend feu, une vic­time à sau­ver, une cage d’escalier qui s’effondre et mal­heu­reu­se­ment, trois décès », conclut le capi­taine Clastrier .


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