La doctrine GRANDS FEUX, frapper vite, frapper fort

feux BSPP, Pompiers de Paris, Incendies, Feu

Grands formats — Un, deux, voire trois jours de lutte contre des flammes redoutables, un engagement toujours plus intense… Les « grands feux » ont marqué l’histoire de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, mais aucune définition n’en a été donnée à ce jour. Mais alors qu’est-ce qu’un « grand feu » ? Quelles sont les problématiques de gestion d’une telle opération ? Quels moyens avons-nous à disposition ? Sont-ils suffisants ? Pour répondre à toutes ces questions, la doctrine opérationnelle « Grands feux » a vu le jour au premier semestre 2017.

 — Modi­fiée le 21 juillet 2024 à 09 h 15 

Le bureau pla­ni­fi­ca­tion opé­ra­tion­nelle (BPO) a reçu dans le même temps que la pla­ni­fi­ca­tion de l’achat des FMOGP, la mis­sion d’élaborer une doc­trine d’emploi « grands feux » pre­nant en compte l’ensemble des risques, notam­ment indus­triels, exis­tants sur le sec­teur de la Brigade.

« Il nous faut trou­ver une réponse adap­tée et cohé­rente afin d’intervenir sur ce type d’incendie en frap­pant vite et fort », explique le com­man­dant Patrick Parayre, chef de la sec­tion études doc­trine retex du BPO.

QU’EST CE QU’UN GRAND FEU ?

En guise de pré­am­bule de la note cir­cu­laire* du 12 juin der­nier, la défi­ni­tion amorce la tren­taine de pages détaillant les pro­cé­dures d’engagement et les nou­veau­tés inhé­rentes : « On entend par grands feux, les incen­dies de grande éten­due et/​ou à fort poten­tiel calo­ri­fique néces­si­tant l’établissement de moyens hydrau­liques impor­tants. » Sont consi­dé­rés comme tels, les incen­dies concer­nant les bâti­ments indus­triels type entre­pôts, les ins­tal­la­tions pré­caires, les dépôts d’hydrocarbures, les trans­ports de matières dan­ge­reuses (TMD), les poids-lourds, les auto­cars et enfin les espaces naturels.

FEUX D’ENTREPÔTS

Sont inclus les entre­pôts, les garages, les conces­sions auto­mo­biles, les menui­se­ries, les dépôts et trai­te­ment des déchets, les entre­pôts de self sto­ckage, les casses auto­mo­biles, les impri­me­ries, les chan­tiers pour les­quels la conduite à tenir glo­bale reste iden­tique.
Dès le 1er appel, pour feu ou explo­sion dans un bâti­ment industriel/​entrepôt, à la prise de ren­sei­gne­ment par l’opérateur CO (centre opé­ra­tion­nel), le départ peut être com­plé­té par anti­ci­pa­tion à hau­teur d’un groupe incen­die. Ce déta­che­ment répond aux besoins hydrau­liques immé­diats sur le ter­rain.
Une fois sur place, une des dif­fi­cul­tés majeures pour le COS est de ne pas pou­voir dis­po­ser d’emblée de la vue com­plète d’un sinistre en cours de déve­lop­pe­ment. Il doit prendre en compte le volume glo­bal afin d’anticiper une demande de moyens adap­tée per­met­tant la mise en place au plus vite d’une manœuvre hydrau­lique répon­dant à une évo­lu­tion défavorable.

Dans le cas de bâti­ments encla­vés dans un site urbain à forte den­si­té construc­tive (immeubles, pavillons et ERP), pour lut­ter contre les pro­pa­ga­tions, le COS doit inves­tir au plus vite les bâti­ments conti­gus sur­plom­bant géné­ra­le­ment le sinistre (baies et façades pour domi­ner le feu) et sou­mis direc­te­ment aux effets du rayon­ne­ment. Les accès peuvent se situer dans des rues dif­fé­rentes voire oppo­sées. Les défauts d’isolement (sous-sols, réserves, cir­cu­la­tions, combles), res­tent un point de vigi­lance pour le COS (ne pas omettre les faî­tages de toi­ture des immeubles et pavillons voi­sins sou­mis aux effets du rayonnement).

La sta­bi­li­té au feu des struc­tures n’est sou­vent pas com­pa­tible avec la ciné­tique de l’intervention. La règle­men­ta­tion est assez dense et peut concer­ner aus­si bien des bâti­ments sou­mis au CCH (code de
la construc­tion et de l’habitation), au code du tra­vail ou à la règle­men­ta­tion ICPE (ins­tal­la­tions clas­sées pour la pro­tec­tion de l’environnement). La plu­part du temps les niveaux d’exigence de sta­bi­li­té au feu des struc­tures se situent entre 15 mn et 1h. Par­fois, les secours sont confron­tés à des bâti­ments sou­mis à aucune régle­men­ta­tion sur la sta­bi­li­té. Les racks de sto­ckage ne pré­sentent aucune sta­bi­li­té au feu et leur effon­dre­ment peut être à l’origine d’accidents.

FEUX D’INSTALLATIONS PRÉCAIRES

Feu De Caravane

Implan­tés de manière anar­chique, ces ins­tal­la­tions sont la plu­part du temps loca­li­sées dans des zones de friches indus­trielles, à proxi­mi­té de voies de cir­cu­la­tion rou­tières ou fer­ro­viaires, sous des ponts auto­rou­tiers voire dans des infra­struc­tures désaf­fec­tées. Les accès au cam­pe­ment et plus par­ti­cu­liè­re­ment au sinistre sont dif­fi­ciles et géné­ra­le­ment dépour­vus de PEI à proxi­mi­té. Le COS est sou­vent confron­té à des feux vio­lents et à forts risques de pro­pa­ga­tion à l’intérieur des cam­pe­ments puis à l’environnement immé­diat (entre­pôts, végé­ta­tion, effets sur la cir­cu­la­tion…). Le taux d’occupation est incon­nu.
Le COS est géné­ra­le­ment dans l’impossibilité d’obtenir un ren­sei­gne­ment fiable sur l’évacuation et sur le recen­se­ment des occu­pants. Les com­mu­nau­tés sur les lieux peuvent être orga­ni­sées avec un chef de camps qui peut ren­sei­gner les secours. La vul­né­ra­bi­li­té des per­sonnes doit donc être prise en compte afin de réa­li­ser les sau­ve­tages et les mises en sécu­ri­té tout en éta­blis­sant rapi­de­ment des moyens puis­sants d’extinction per­met­tant d’abattre les flammes. Le taux d’occupation, la pré­ca­ri­té des occu­pants et des ins­tal­la­tions repré­sentent un fort risque humain.
Le 1er chef d’agrès doit mener son action afin de réa­li­ser les éven­tuels sau­ve­tages tout en éta­blis­sant des moyens hydrau­liques puis­sants. Leur action doit per­mettre d’enrayer la pro­pa­ga­tion aux par­ties les plus mena­cées. Géné­ra­le­ment, une LGP aura une action effi­cace sur ces ins­tal­la­tions. Le chef de garde com­plète le dis­po­si­tif hydrau­lique sur les par­ties les plus mena­cées. Son idée de manœuvre et la demande de moyens doivent prendre en compte le manque de PEI et les dif­fi­cul­tés d’accès au site (axe LOG). Les capa­ci­tés hydrau­liques et d’éclairage de grande sur­face du BEA sont à envisager.

FEUX D’HYDROCARBURES

Les dépôts hydro­car­bures sont des ins­tal­la­tions de sto­ckage et de trans­fert d’hydrocarbures qui com­prennent géné­ra­le­ment les dis­po­si­tifs suivants :

  • les ins­tal­la­tions d’arrivée de pro­duits (uni­que­ment par pipe­line pour les dépôts hydro­car­bures sec­teur BSPP) ;
  • les réser­voirs de sto­ckage et leurs cuvettes de rétention ;
  • les pompes et les canalisations ;
  • les ins­tal­la­tions de départ des pro­duits, notam­ment les points de char­ge­ment des wagons ou des camions citernes ;
  • les ins­tal­la­tions auxi­liaires (labo­ra­toires, bâti­ments de condi­tion­ne­ment de cer­tains hydro­car­bures, cen­trales de pro­duc­tion de vapeur, air com­pri­mé, ins­tal­la­tions de lutte contre les incendies) ;
  • les ins­tal­la­tions annexes (bureaux, garages, maga­sins, ateliers).

FEUX DE TMD, DE POIDS-LOURDS OU D’AUTOCAR

feu de poids-lourds

QUELLES PROBLÉMATIQUES ?

Si le COS ne pense pas pou­voir maî­tri­ser le feu par une attaque du foyer prin­ci­pal avec ses moyens ini­tiaux, il doit orien­ter sa manœuvre vers une inter­ven­tion de longue durée enga­geant des moyens lourds. Il concède une part au feu (géné­ra­le­ment une cel­lule) tout en prio­ri­sant la lutte contre les pro­pa­ga­tions. Chaque face du sinistre peut néces­si­ter une attaque spé­ci­fique en fonc­tion de la confi­gu­ra­tion des lieux. Ces bâti­ments géné­ra­le­ment occu­pés par des employés, avec ou sans pré­sence de public, peuvent géné­rer des actions de sau­ve­tages, des mises en sécu­ri­té et au mini­mum l’évacuation des locaux concer­nés ou mena­cés.
En qui concerne les hydro­car­bures, ce sont les vapeurs émises par le liquide qui brûlent. Un incen­die de liquide inflam­mable est donc un phé­no­mène, qui, s’il n’est pas conte­nu ou éteint, aura ten­dance à s’amplifier et à conduire à des scé­na­rii d’accident majeur.L’extinction des feux de liquides inflam­mables doit être menée avec des lances canons à mousse.
 
La mousse a une triple action :
• consti­tuer une couche imper­méable qui isole le com­bus­tible (vapeurs inflam­mables) de l’oxygène ;
• par­ti­ci­per au refroi­dis­se­ment grâce à l’eau qu’elle contient en grande pro­por­tion ;
• empê­cher l’émission de vapeurs inflam­mables, qui consti­tuent le com­bus­tible.
Il convient éga­le­ment de noter que la mousse pro­je­tée ne par­ti­cipe pas au rem­plis­sage des volumes. En effet, les quan­ti­tés de cha­leur sont telles que l’eau conte­nue dans la mousse est vapo­ri­sée en permanence.De même, le tapis de mousse doit être entre­te­nu lorsque le sinistre est éteint.En effet une ré-inflam­ma­tion est pos­sible si le liquide a atteint son point d’auto inflam­ma­tion, et même lorsque celui-ci aura refroi­di, il émet­tra des vapeurs qui risquent de pro­vo­quer une explo­sion de vapeur. Il est donc néces­saire d’entretenir le tapis jusqu’à ce que le liquide soit recon­di­tion­né. Cette opé­ra­tion doit débu­ter dès la fin de l’attaque sans rup­ture. Elle doit être prise en compte et pla­ni­fiée dans la stra­té­gie glo­bale.
Dans les trans­ports de matières dan­ge­reuses, se ren­sei­gner immé­dia­te­ment sur le pro­duit, ses carac­té­ris­tiques et les moyens d’extinction à employer (auprès du conduc­teur, qui détient les fiches de pro­duit et auprès du CO, qui dis­pose d’une base de don­nées sur les produits) :

• caler le véhi­cule
• déli­mi­ter un péri­mètre de sécu­ri­té
• éta­blir des moyens d’extinction autour du véhi­cule, en tenant compte de la pente de la voi­rie et du sens du vent
• pro­té­ger la zone voi­sine si elle est mena­cée
• créer des bar­rages au sol (terre, sable, etc.) ou des tran­chées pour empê­cher le liquide de se répandre
• entre­prendre l’extinction avec les moyens adap­tés au pro­duit
• deman­der le ser­vice des égouts, de la voi­rie, et le labo­ra­toire cen­tral d’urgence
• si le trans­port s’effectue en citerne et qu’elle n’est pas atteinte par le feu au moment de l’arrivée des secours, il est par­fois néces­saire pour la pro­té­ger, soit de l’arroser en jet dif­fu­sé pour la refroi­dir pro­gres­si­ve­ment ou bien de la recou­vrir d’une enve­loppe de mousse.

QUELS MOYENS ?

Seuls des moyens hydrau­liques puis­sants auront un effet réel sur l’incendie et son déve­lop­pe­ment. Les éta­blis­se­ments seront prin­ci­pa­le­ment consti­tués de tuyaux de 110 mm pour les­quels les inter­ve­nants doivent prendre en compte les contraintes logis­tiques et hydrau­liques.
Le choix tac­tique consis­tant à posi­tion­ner les divi­sions 100 mm aux angles des bâti­ments peut per­mettre une sou­plesse d’emploi sur le posi­tion­ne­ment des points d’attaque sur deux faces.

Les éta­blis­se­ments d’attaque réa­li­sés sur des points hauts sont efficaces :

  • si le feu a per­cé en toiture ;
  • si le jet n’est pas diri­gé sur les exu­toires de désen­fu­mage, afin d’éviter de main­te­nir les gaz chauds dans le volume et de par­ti­ci­per à la pro­pa­ga­tion, sauf cas excep­tion­nel ana­ly­sé par le COS.

Dans le cas des feux d’hydrocarbures, L’extinction d’un feu dans un dépôt de liquide inflam­mable est pla­ni­fiée par scé­na­rio, dans le POI de l’exploitant. Tous les moyens à mettre en place par l’exploitant et /​ou les secours publics sont défi­nis dans ce docu­ment. Le POI est visé et véri­fié par l’autorité pré­fec­to­rale. Les élé­ments qui y sont décrits ne néces­sitent pas d’être à nou­veau véri­fiés par des cal­culs. Ces tra­vaux de pla­ni­fi­ca­tion doivent être retrans­crits avec les ren­sei­gne­ments utiles aux secours publics dans le trip­tyque ETARE. On doit y trou­ver obligatoirement :

  • le nombre de lances ; — la durée de la temporisation ;
  • la durée de la phase d’attaque ;
  • l’emplacement des ZDI, ZE, ZAL, PC EXPLOITANT, axes logistiques ;
  • l’emplacement des moyens à mettre en place.

L’emplacement des lances et des dif­fé­rentes zones doit être déter­mi­né en fonc­tion des effets ther­miques de l’incendie. Ces rayons de dan­gers sont iden­ti­fiés dans le POI.

tableau hydrolique grands feux
@BSPP

De nou­veaux moyens font alors leur appa­ri­tion dans la boîte à outils du COS afin de lui pro­po­ser une mul­ti­tude d’options à appli­quer en fonc­tion de la situa­tion et une mon­tée en puis­sance pro­gres­sive. Un objec­tif final : ser­vir le ter­rain et obte­nir les résul­tats escomp­tés rapi­de­ment. L’arrivée du four­gon mousse grande puis­sance (FMOGP) en est le plus grand mar­queur. Il illustre par­fai­te­ment ce concept en pro­po­sant une ren­ta­bi­li­té maxi­male. « Son achat ayant été anti­ci­pé en 2015, nous nous atte­lons à la même période à pro­po­ser une doc­trine adap­tée, témoigne le major Laurent Cler­jeau, rédac­teur à la sec­tion études doc­trine retex. Ce camion hors-normes repré­sente véri­ta­ble­ment le déclen­che­ment du tra­vail autour de ces capa­ci­tés et ses sup­ports. »
L’arrivée du FMOGP dans trois centres de secours est com­plé­tée par l’acquisition et la moder­ni­sa­tion d’engins. Il s’agit prin­ci­pa­le­ment du déploie­ment de 10 FA, de 10 CA, de quatre BEM (6 000 litres d’émulseur), et de deux BPM, ex PRM (1 000 litres d’émulseur et 1 000 litres de mouillant). (voir encadré).

BSPP, pompier, sapeur, Paris, feux

COUP DE FIL A…

… Jean-Marc Jouannais

Le 31 mars 1994, Jean-Marc Jouan­nais est chef de garde au CS Nan­terre de la 28e com­pa­gnie, lorsque sur­vient en pleine nuit l’ex­plo­sion de la Cli­ma­def, une entre­prise qui cli­ma­tise tout le quar­tier de La Défense. Il nous raconte…

Retour en haut