#BrigadeInside — Aurélien Thiry est aujourd’hui le directeur adjoint du Laboratoire central de la préfecture de Police (LCPP). Il nous raconte, de son point de vue, l’aventure du système de brumisation diphasique.
« Nous avons dû penser différemment »
Depuis combien de temps êtes-vous au LCPP ?
Je suis au LCPP depuis 2006. Ma spécialité est la science de l’incendie. Je suis donc au contact de la Brigade depuis ce temps-là. Au début, nous travaillions sur des sujets liés à la prévention incendie, mais nous nous sommes vite aperçus que les mêmes approches théoriques, expérimentales et numériques pouvaient avoir un intérêt sur le plan opérationnel.
Comment le LCPP a‑t-il accueilli les expérimentations sur le système de brumisation diphasique ?
Nous avons été, en quelque sorte, moteur dans cette expérimentation. Nous avions commencé par travailler sur un système d’extinction fixe à eau par brumisation avec un grand groupe spécialisé dans le domaine. Nous leur avons proposé de dévoyer le système vers une solution mobile. Nous avons des vidéos d’essais sur un ancien site Aéroports de Paris datant de 2013 où l’on éteint des feux de pneus avec un système diphasique à partir d’une buse « fixe » transformée en lance. On constate alors qu’il y a un énorme intérêt dans cette idée. Mais le système lui-même comportait encore trop d’obstacles techniques pour devenir mobile avec efficacité. Puis le lieutenant-colonel Testa nous a proposé de travailler avec une start-up (ndlr : Zelup, voir page 46 – 47) qui avait une approche différente, basée cette fois sur un mélange au niveau de la lance, et nous avons immédiatement rebondi, convaincus de l’intérêt du projet.
Quel est le rôle du LCPP dans cette aventure ?
Juste avant, nous avions longuement travaillé avec la BSPP sur l’approche performantielle, ou comment s’affranchir du carcan des 500 l/min. Nous soutenions l’idée qu’il valait mieux démontrer l’efficacité d’un outil d’extinction, en particulier du point de vue de la protection du porteur, plutôt que d’imposer des caractéristiques normatives. Nous avons créé des configurations-types pour analyser les performances et quand la solution diphasique est arrivée, nous l’avons testée avec ces mêmes outils.
Ensuite, vous passez à des tests plus spécifiques…
Oui. Nous avons commencé par la prise en main de cette nouvelle lance car elle demandait de gommer des réflexes bien ancrés, tant dans l’attaque que dans la protection du pompier. Même les mouvements avec la lance ont dû être adaptés pour un meilleur rendement. Nous avons donc travaillé énormément avec le personnel de la maison du feu du fort de la Briche à Saint-Denis. Nous sommes ensuite passés à la phase de quantification de l’efficacité de cette lance. Au fur et à mesure de nos expérimentations, Zelup ajustait le prototype en l’améliorant.
Est-ce une expérimentation atypique pour le LCPP ?
Tout à fait. Il a fallu appliquer des concepts assez nouveaux sur des sujets tels que l’atténuation du rayonnement, qui s’effectue de manière notablement différente qu’avec une lance classique. Nous avons dû adapter nos approches théoriques et expérimentales. C’était passionnant.
Avez-vous engagé des moyens différents ?
Pour la partie feu notamment, nous avons utilisé des sources différentes pour mieux quantifier l’efficacité. Nous avons beaucoup travaillé avec l’université de Lorraine à ce propos. Mais au-delà des moyens, nous avons aussi été parfois surpris par les résultats. En premier lieu, les performances très intéressantes d’atténuation radiative. Ou encore, par exemple, après plusieurs dizaines d’essais à la Briche, nous avons constaté des différences après usage des différentes lances que nous avons mis un temps à comprendre. Avec la diphasique, il n’y avait plus de particules réfléchissantes, si caractéristiques des phases post-extinction, qui flottaient dans l’air. Et la visibilité dans le local d’essai s’en trouvait nettement améliorée. Nous avons donc adapté nos protocoles et mis en œuvre des moyens de prélèvement de particules et d’espèces toxiques.
« cette nouvelle lance demande de gommer des réflexes bien ancrés »
Et personnellement ? Comment avez-vous ressenti cette aventure ?
Dès le début, nous étions sur un outil de rupture. Et si nous voulions qu’il séduise la communauté des pompiers, il fallait impliquer des intervenants de divers horizons et de diverses cultures professionnelles. Le BMPM a tout de suite accroché et nous avons invité d’autres SDIS, dont en particulier le SDMIS. Cet échange de points de vue et la confrontation du scientifique (notamment avec les universités de Lorraine et de Poitiers) et du terrain a donné une forte émulation. Nous avions un groupe de travail particulièrement motivé, compétent et surtout enthousiaste. C’est vraiment quelque chose que j’ai particulièrement apprécié. Et depuis quelques années, je suis tellement persuadé de l’efficacité du système sur l’aspect feu que je me suis plus focalisé sur les aspects « économie d’eau », « protection du pompier » et « captation des espèces » produites par l’incendie.
Que diriez-vous pour conclure ?
J’espère que ce projet, qui a demandé une belle conjonction de moyens techniques et intellectuels, pourra devenir un vecteur de l’excellence française dans le domaine et va pouvoir se diffuser au-delà de nos frontières pour offrir à tous les pompiers cet objet de rupture technologique