LA RÉVOLUTION DIPHASIQUE (épisode 2) — Aurélien Thiry et l’implication du laboratoire central de la préfecture de Police (LCPP)

 — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 09 h 11 

#BrigadeInside — Aurélien Thiry est aujourd’hui le directeur adjoint du Laboratoire central de la préfecture de Police (LCPP). Il nous raconte, de son point de vue, l’aventure du système de brumisation diphasique.

« Nous avons dû penser différemment »

Depuis com­bien de temps êtes-vous au LCPP ?
Je suis au LCPP depuis 2006. Ma spé­cia­li­té est la science de l’incendie. Je suis donc au contact de la Bri­gade depuis ce temps-là. Au début, nous tra­vail­lions sur des sujets liés à la pré­ven­tion incen­die, mais nous nous sommes vite aper­çus que les mêmes approches théo­riques, expé­ri­men­tales et numé­riques pou­vaient avoir un inté­rêt sur le plan opérationnel.

Com­ment le LCPP a‑t-il accueilli les expé­ri­men­ta­tions sur le sys­tème de bru­mi­sa­tion dipha­sique ?
Nous avons été, en quelque sorte, moteur dans cette expé­ri­men­ta­tion. Nous avions com­men­cé par tra­vailler sur un sys­tème d’extinction fixe à eau par bru­mi­sa­tion avec un grand groupe spé­cia­li­sé dans le domaine. Nous leur avons pro­po­sé de dévoyer le sys­tème vers une solu­tion mobile. Nous avons des vidéos d’essais sur un ancien site Aéro­ports de Paris datant de 2013 où l’on éteint des feux de pneus avec un sys­tème dipha­sique à par­tir d’une buse « fixe » trans­for­mée en lance. On constate alors qu’il y a un énorme inté­rêt dans cette idée. Mais le sys­tème lui-même com­por­tait encore trop d’obstacles tech­niques pour deve­nir mobile avec effi­ca­ci­té. Puis le lieu­te­nant-colo­nel Tes­ta nous a pro­po­sé de tra­vailler avec une start-up (ndlr : Zelup, voir page 46 – 47) qui avait une approche dif­fé­rente, basée cette fois sur un mélange au niveau de la lance, et nous avons immé­dia­te­ment rebon­di, convain­cus de l’intérêt du projet.

Quel est le rôle du LCPP dans cette aven­ture ?
Juste avant, nous avions lon­gue­ment tra­vaillé avec la BSPP sur l’approche per­for­man­tielle, ou com­ment s’affranchir du car­can des 500 l/​min. Nous sou­te­nions l’idée qu’il valait mieux démon­trer l’efficacité d’un outil d’extinction, en par­ti­cu­lier du point de vue de la pro­tec­tion du por­teur, plu­tôt que d’imposer des carac­té­ris­tiques nor­ma­tives. Nous avons créé des confi­gu­ra­tions-types pour ana­ly­ser les per­for­mances et quand la solu­tion dipha­sique est arri­vée, nous l’avons tes­tée avec ces mêmes outils.

Ensuite, vous pas­sez à des tests plus spé­ci­fiques…
Oui. Nous avons com­men­cé par la prise en main de cette nou­velle lance car elle deman­dait de gom­mer des réflexes bien ancrés, tant dans l’attaque que dans la pro­tec­tion du pom­pier. Même les mou­ve­ments avec la lance ont dû être adap­tés pour un meilleur ren­de­ment. Nous avons donc tra­vaillé énor­mé­ment avec le per­son­nel de la mai­son du feu du fort de la Briche à Saint-Denis. Nous sommes ensuite pas­sés à la phase de quan­ti­fi­ca­tion de l’efficacité de cette lance. Au fur et à mesure de nos expé­ri­men­ta­tions, Zelup ajus­tait le pro­to­type en l’améliorant.

Est-ce une expé­ri­men­ta­tion aty­pique pour le LCPP ?
Tout à fait. Il a fal­lu appli­quer des concepts assez nou­veaux sur des sujets tels que l’atténuation du rayon­ne­ment, qui s’effectue de manière nota­ble­ment dif­fé­rente qu’avec une lance clas­sique. Nous avons dû adap­ter nos approches théo­riques et expé­ri­men­tales. C’était passionnant.

Avez-vous enga­gé des moyens dif­fé­rents ?
Pour la par­tie feu notam­ment, nous avons uti­li­sé des sources dif­fé­rentes pour mieux quan­ti­fier l’efficacité. Nous avons beau­coup tra­vaillé avec l’université de Lor­raine à ce pro­pos. Mais au-delà des moyens, nous avons aus­si été par­fois sur­pris par les résul­tats. En pre­mier lieu, les per­for­mances très inté­res­santes d’atténuation radia­tive. Ou encore, par exemple, après plu­sieurs dizaines d’essais à la Briche, nous avons consta­té des dif­fé­rences après usage des dif­fé­rentes lances que nous avons mis un temps à com­prendre. Avec la dipha­sique, il n’y avait plus de par­ti­cules réflé­chis­santes, si carac­té­ris­tiques des phases post-extinc­tion, qui flot­taient dans l’air. Et la visi­bi­li­té dans le local d’essai s’en trou­vait net­te­ment amé­lio­rée. Nous avons donc adap­té nos pro­to­coles et mis en œuvre des moyens de pré­lè­ve­ment de par­ti­cules et d’espèces toxiques.

« cette nou­velle lance demande de gom­mer des réflexes bien ancrés »

Et per­son­nel­le­ment ? Com­ment avez-vous res­sen­ti cette aven­ture ?
Dès le début, nous étions sur un outil de rup­ture. Et si nous vou­lions qu’il séduise la com­mu­nau­té des pom­piers, il fal­lait impli­quer des inter­ve­nants de divers hori­zons et de diverses cultures pro­fes­sion­nelles. Le BMPM a tout de suite accro­ché et nous avons invi­té d’autres SDIS, dont en par­ti­cu­lier le SDMIS. Cet échange de points de vue et la confron­ta­tion du scien­ti­fique (notam­ment avec les uni­ver­si­tés de Lor­raine et de Poi­tiers) et du ter­rain a don­né une forte ému­la­tion. Nous avions un groupe de tra­vail par­ti­cu­liè­re­ment moti­vé, com­pé­tent et sur­tout enthou­siaste. C’est vrai­ment quelque chose que j’ai par­ti­cu­liè­re­ment appré­cié. Et depuis quelques années, je suis tel­le­ment per­sua­dé de l’efficacité du sys­tème sur l’aspect feu que je me suis plus foca­li­sé sur les aspects « éco­no­mie d’eau », « pro­tec­tion du pom­pier » et « cap­ta­tion des espèces » pro­duites par l’incendie.

Que diriez-vous pour conclure ?
J’espère que ce pro­jet, qui a deman­dé une belle conjonc­tion de moyens tech­niques et intel­lec­tuels, pour­ra deve­nir un vec­teur de l’excellence fran­çaise dans le domaine et va pou­voir se dif­fu­ser au-delà de nos fron­tières pour offrir à tous les pom­piers cet objet de rup­ture technologique

Propos recueillis par Harry Couvin — photographie Sergent-chef Nicholas Bady

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