Les rencontres d’ALLO DIX-HUIT — Joueur par nature, le pomplard use, et parfois même abuse, de termes et expressions qui reflètent la complexité de son univers et d’un sens de l’humour très particulier. L’étude des origines de notre jargon révèle ainsi la diversité des emprunts, des influences, des créations et explique la richesse d’un dialecte « pompier parisien » qui lui est propre. Flash-back sur la genèse de notre vocabulaire. Contrairement à l’adage, « le pompier de Paris va être surpris ! ».
Le brigadou, homme des casernes de Paris et de la petite couronne, côtoie au quotidien toutes sortes de populations, professionnellement bien sûr… Cette proximité souvent exercée dans l’urgence nécessite de comprendre différents langages, ce qui n’est pas toujours réciproque pour le pékin en face. À l’instar d’une langue vivante, le jargon du pomplard a été largement influencé et enrichie par les individus qui le pratique comme les nombreux pays, ces personnels issus d’une même région, et qui composent, parmi tant d’autres, la boutique. Bien entendu notre unité, forte de ses campagnes militaires, de son histoire et du brassage des origines de nos officiers et sous-officiers (Lors des périodes du Bataillon puis du Régiment, de nombreux sous-officiers étaient issus de l’infanterie, de la Garde Nationale et plus globalement de la « Verte »), a largement emprunté au jargon purement militaire. De ce fait, il est toujours agréable de faire un bon baroud, surtout avec un vieux chibani derrière ses bottes. Baroud étant une action de combat et chibani un mot emprunté à la langue arabe et qui signifie ancien.
SARCE, SARCEUSE ET SARCILLON…
Alors que n’importe quel sapeur-pompier rêve de faire un rif, on pourrait penser qu’il s’agit là d’un simple verlan du mot anglais Fire, et pourtant… Rifler est avant tout un verbe jargonneux emprunté au vieux langage parisien et qui dans un argot détourné, celui des voleurs, signifie faire un feu. On retrouve également rifle pour désigner directement le feu. Dans un autre genre, sarce, surtout utilisé à la BSPP, désigne un sapeur-pompier, vieux en service qui a beaucoup d’expérience et qui connait bien les ficelles du métier. Il a donné lieu à de multiples déclinaisons comme sarcillon, sarçounnet, sarçifolot quand un jeune se prend pour un ancien. La racine de sarce semble être liée, là encore, à l’argot parisien, mais son origine exacte reste encore à déterminer… On parle également de sarceuse pour désigner une fille de mauvaise vie ou une femme très attirée par l’uniforme…
L’influence technologique prend aussi toute sa place dans notre langage, c’est d’autant plus vrai que Paris a accueilli plusieurs expositions universelles où le Régiment ne manqua jamais de présenter de nombreuses innovations, marquant sa capacité à inventer et se renouveler. N’oublions pas également les évolutions de la fin du XIXe siècle comme la perche de feu empruntée à nos collègues de Chicago ou d’autres encore rapportées par le major ingénieur Krebs comme le rouge vermillon du London Fire Brigade. Ainsi, au cours du XXe siècle, des néologismes tel que césarisation pour la désincarcération apparaissent ; on emprunte à l’univers de la plongée le terme de capeler pour le port de l’ARI (Appareil Respiratoire Isolant) et l’écriture des règlements de prévention a fait de nous des gars stables au feu (Un pompier stable au feu est une personne de confiance, calme et aguerrie dans son métier sur qui l’on peut s’appuyer) ou bien encore coupefeu 3 heures.
TIENS D’AILLEURS LE FEU, PARLONS EN….
Le mot feu est employé pour qualifier des matériels ou des effets : sonneries de feu, tenue de feu, bottes de feu, battes à feu… Lorsque qu’il est associé à un verbe, par exemple « aller » ou « partir » au feu, cela signifie d’une façon générale être en compagnie d’incendie, « il part encore au feu ». De façon plus restrictive partir au feu ne signifie pas systématiquement aller combattre un incendie. En revanche, partir pour feu désigne un départ immédiat pour un motif incendie et ensuite on est sur feu. Un pompier qui fait beaucoup de feux est un chanceux alors que d’autres ont l’impression de ne plus faire de feux. Pour les sapeurs-pompiers le feu n’est pas qu’une résultante chimique, il est bien plus que cela… Un acteur, presque une personne que finalement chacun retrouve régulièrement et à qui l’on attribue des comportements humains. Au début il est naissant, ensuite il se développe, parfois il couve, il ronfle, puis les choses s’accélèrent : il s’embrase, ça sort par les fenêtres, ça dépote, ça crame ! Pour les sapeurs-pompiers va falloir être carré, au taquet ! Ils vont chercher à lui rentrer dedans et à lui casser la gueule. Mais la bête est vicieuse, alors il s’échappe, il se barre, il se propage, il faut pourtant l’arrêter, le combattre… Alors on va établir la LDT (Lance du Dévidoir Tournant), mais méf’ qu’elle ne soit pas mal engagée, et puis derrière on ira planter des petites et pourquoi pas une grosse (Désigne une lance à incendie ayant un débit compris entre 500 l/min à 1000 l/min. Terme qui désigne également les Ensembles Grande Puissance (EGP) appelés « les grosses » de par leur importante capacité hydraulique.) si besoin. Un feu, on le circonscrit, on s’en rend maître et puis on l’éteint. Inévitablement une langue est en perpétuelle évolution, l’apparition de nouveaux mots chaque année dans les dictionnaires en témoigne et notre jargon n’échappe pas à cette règle. Parallèlement, des expressions et des termes ont connu des modifications alors que d’autres disparaissaient au gré de l’évolution des technologies ou des techniques.
LES OREILLES DE MONSIEUR SPOCK
Le pétillement (Terme utilisé pour décrire le bruit du feu lorsqu’il est atteint par le jet d’une lance), toujours audible lors d’une phase d’attaque et qui est décrit par le colonel Paulin dans son manuel n’est pourtant plus utilisée depuis longtemps ; dans le même genre l’avènement du casque F1 XF nous rappelle le remplacement du 33, l’actuel casque de tradition en peau de locomotive, qui souvent par son manque de protection fit que plusieurs personnels se brûlèrent le cartilage des oreilles. Cela donna lieu au sobriquet, quasi disparu, de Monsieur Spock. Le pomplard est un client et fait montre d’une grande inventivité quand il s’agit d’enrichir son vocabulaire.
N’oublions pas les huiles, les personnels d’état-major, qui, pour certains ne manqueront pas d’arborer fièrement leurs placards garnis de quelques tricoises (Dans un jargon plus ancien, il désignait par comparaison les médailles pendantes placardées sur la poitrine des militaires. En effet les cliquetis, conséquence de l’entrechoc des tricoises rangées dans les coffres des hippomobiles, faisaient penser au bruit des médailles portées sur l’uniforme. « T’as décroché une tricoise ?! » était synonyme d’obtenir une médaille), décrochées à la baraque à frites ou lorsqu’ils portaient encore les bottes car fût un temps les services étaient en chaussures basses. Enfin, si aujourd’hui cracher désigne l’attaque d’un feu ou une lance en action, cela n’a pas toujours été le cas. En effet, au XVIIIe siècle, une pompe qui crache est une pompe défectueuse dont le piston n’est pas étanche et qui laisse échapper des gouttes d’eau. D’ailleurs ces changements ont parfois du bon et faire la part du feu en est un exemple car il s’agissait pour cette pratique ancienne, antérieure au XVIIIe siècle, de détruire les bâtiments mitoyens à celui sinistré afin d’éviter la propagation de l’incendie au quartier. Finalement le but du jeu pour le porte-lance reste encore de noircir les charpentes et boiseries pour leur donner l’aspect du charbon éteint. Ça, tout le monde le comprend car c’est un de nos plus vieux termes employés et il n’a pas changé depuis le XVIIIe siècle. Vous avez tout pigé ou il vous faut un ordre de départ ? À moins que ce soit une 72 ? Ah bah non ! Là aussi ça ne fonctionne plus…. Une langue vivante j’ai dit ! Bref, fermez, démontez, roulez !
Le livre
L’adjudant Alain Bailloux, l’auteur de ce texte a écrit ce livre pour compiler et expliquer les termes bien spécifiques du langage des sapeurs-pompiers. Dans une interview pour le Parisien.fr, il explique comment lui ai venu l’idée d’écrire cet ouvrage. Les illustrations sont de Drakkar et les recettes des ventes seront reversées à l’œuvre des pupilles des sapeurs-pompiers.
Et d’autres anecdotes se trouvent sur la page Facebook du “Jargon” #Facebook Le Jargon du Sapeur-Pompier
Publié chez Edilivre. 19,50 €.