Histoire — Depuis la création de la « voiture premiers secours » (PS) en 1913, les sapeurs-pompiers ont pu intervenir rapidement grâce à des véhicules adaptés, permettant d’entamer l’extinction des incendies dans des délais réduits. L’arrivée de l’Engin d’intervention du futur (EIF) et son évolution vers le « Premiers secours évacuation » (PSE) redéfinit les standards de la lutte contre les incendies et le secours médical, tout en posant les bases d’une nouvelle génération de véhicules d’intervention.
À la fin des années 1970, face à l’évolution des besoins opérationnels, de nombreux services de pompiers en Europe envisagent de moderniser leurs flottes et équipements. En Allemagne, le projet « ORBIT » voit le jour, visant à créer une nouvelle gamme de véhicules d’intervention à la fois polyvalents et spécialisés. À Paris, les officiers du 3e bureau (ancêtre du BOPE1 ) font un constat similaire. Le nombre de missions de secours à victimes a doublé entre 1979 et 1984. Une activité qui tend à devenir principale. En seulement 20 ans, le volume global des interventions a été multiplié par quatre. Pour répondre à cette pression croissante, la nécessité de concevoir un nouveau type de véhicule s’impose. L’objectif est clair : ce futur véhicule devra être autonome et capable de réaliser la quasi-totalité des interventions au niveau du premier départ sous la direction unique de son chef d’agrès. Tout comme maîtriser 90 % des incendies, s’intégrer aux opérations de secours et même prodiguer des soins aux victimes. En mars 1979, le Bureau des études générales (BEG) se voit confier la conception de cet « engin du futur », destiné à équiper la Brigade pour le XXIe siècle. Le commandement affiche clairement sa volonté : ce nouveau camion devra être rapide, léger et multifonctions. Il sera apte à intervenir en priorité avec un minimum de moyens, tout en transportant le personnel, le matériel et les victimes. Capable d’effectuer des sauvetages, des manœuvres hydrauliques et des soins médicaux, cet Engin d’intervention du futur (EIF) est ainsi pensé pour répondre aux besoins des pompiers de demain.
Les discussions se concentrent également sur la stratégie et la doctrine d’emploi des secours. Au début des années 1980, la majorité des véhicules en service à la Brigade conservent des caractéristiques similaires à celles des premiers modèles du siècle. Les antiques notions de « PS » et de « fourgons » ne correspondent plus à la réalité opérationnelle. Lorsqu’en 1886, le capitaine Krebs met en place le départ normal, c’est pour assurer une meilleure coordination des secours. Cependant, les dangers et les risques urbains ont évolué depuis. Pour répondre à cette situation, un nouvel engin doit voir le jour afin de mettre fin à une « normalisation forcenée et sclérosante »2 . Le BEG, soucieux d’optimiser les ressources et de réduire les coûts liés aux moyens immobilisés pour des interventions mineures, introduit le concept de « système futur ». Ce dernier vise à remédier à la répartition inégale des moyens d’intervention. Désormais, la plupart des départs devront être pris en charge par les EIF. En cas de sinistre plus important, la fonction de
couverture et d’appui sera réalisée par les EAF3. Quant aux moyens spéciaux (échelles, FEV, CRAC, CMF, PR,GREP, CMIR), ils sont envisagés comme des modules spécialisés montés sur des transporteurs universels. L’idée de créer un module de base, sur lequel viendront s’ajouter des modules adaptés à chaque mission, commence ainsi à prendre forme, s’inspirant clairement du projet « ORBIT ».
La véritable innovation de ce camion réside dans l’intégration d’une ambulance au sein du véhicule incendie. Cela permet de compenser l’absence de VSAB4 au sein de la Brigade. Cette cellule sanitaire, équipée d’un brancard escamotable, facilite la prise en charge des victimes tout en les protégeant des intempéries et des curieux. Avec l’annonce de la fin du service de « Police-secours » dès le début des années 1980, cette avancée prend toute son importance, car ce camion pourra désormais assurer des évacuations vers les structures hospitalières. Auparavant, le relevage des blessés ne faisait pas partie des missions des pompiers parisiens.
Concernant la lutte contre les incendies, l’EIF doit respecter la norme NF S61-510 et répondre à un cahier des charges strict. Il doit être équipé et suffisamment puissant pour éteindre seul un sinistre, qu’il s’agisse d’un feu d’appartement ou d’une cage d’escalier. Ainsi, la pompe doit offrir une pression supérieure à 40 bars et les moyens d’attaque doivent être conséquents. Cela inclut deux dévidoirs tournants positionnés latéralement, deux dévidoirs mobiles de plus de 200 mètres, une capacité d’eau (800 à 1000 litres), un générateur de mousse, une réserve d’émulseur et une petite unité de poudre. Étant donné que la conception du véhicule n’est pas encore finalisée et qu’il doit être polyvalent, les officiers du BEG envisagent également d’équiper l’engin d’appareils de détection et de matériel de pénétration. L’idée d’inclure un parc échelle a été discutée, mais n’a pas abouti.
Avec cet engin du futur, les officiers de la Brigade saisissent l’opportunité de mettre un terme à une période où les retards technologiques ont éloigné les pompiers de Paris de leur statut historique de précurseurs. Ils cherchent également à anticiper les dangers de l’an 2000 et à repenser la protection et l’ergonomie du véhicule de pompier. D’une part, une nouvelle signalisation est en cours d’étude ; d’autre part, un système de navigation assistée avec un « système de visualisation de l’itinéraire à emprunter » est prévu. En outre, un redéploiement de la couverture opérationnelle est projeté, après celui de 1978.
Sans modifier l’organisation sacrée du « DN », l’armement des casernes sera ajusté. Les postes de commandement ayant enregistré plus de 4 300 interventions recevront deux EIF et un EAF ; les centres de secours de Paris, quant à eux, auront deux voire trois EIF. En banlieue, un EIF et un EAF seront attribués au-delà des 1 500 interventions, tandis que les autres centres ne disposeront que d’un EIF. Cependant, ce plan implique la gestion de 25 véhicules supplémentaires, ce qui entraîne des coûts significatifs5.
En 1982, un accord est conclu avec la société SICLI pour financer un prototype de l’engin de l’EIF, développé par SIDES. Bien que sa livraison ait été initialement prévue pour le congrès national des sapeurs-pompiers de France en septembre 1983, elle a pris du retard. Au final, deux prototypes ont été construits et prêtés gratuitement : l’un sur châssis IVECO, équipé par BIRO (A2), et l’autre sur châssis RENAULT, équipé par SAIREP (B2). La silhouette du premier se distingue par un rideau arrière en lieu et place du hayon présent sur le deuxième. Après des tests à la station d’essai de Voluceau, une expérimentation a été réalisée entre le 30 janvier et le 7 février 1984 au sein des 5e et 9e compagnies, pour évaluer l’efficacité et la robustesse de l’EIF. Cette étude comparative a révélé un gain de temps lors des opérations de secours, bien que certaines critiques aient été émises concernant l’accessibilité et l’agencement du matériel.
Concernant les opérations d’extinction, bien que la fiabilité et l’accès aux moyens hydrauliques aient été remis en question, l’EIF s’est avéré plus efficace que les anciens véhicules tels que les PS ou FPTL. En résumé, ce véhicule remplit efficacement les missions essentielles du métier, mais son utilisation pourrait être optimisée par des améliorations techniques. Le prototype A2 a reçu des retours globalement positifs pour les missions d’incendie, tandis que le prototype B2 a été particulièrement salué pour son efficacité lors des interventions médicales. La combinaison de ces deux prototypes a donné naissance, en mai 1985, au Premiers secours évacuation (PSE) de première génération6.
1 : BOPE : bureau opérations, ancêtre du BPO et du BOPO.
2 : Compte rendu du lieutenant-colonel Legendre le 16 octobre 1980.
3 : L’Engin d’appui du futur (EAF) est l’engin de synthèse entre les FP/FM et les GDP, chargé d’assurer la fonction couverture et d’appui au sein du « système futur ». Celui-ci sera renommé Fourgon d’appui (FA) en 1985.
4 : Le Véhicule de secours aux asphyxiés et aux blessés (VSAB) est armé par un conducteur et un infirmier.
5 : En 1983, la BSPP possède 63 PS, 57 fourgons et 7 GPD ; tandis que le système futur comprend 117 EIF et 36 EAF.
6 : La BSPP opta physiquement pour le prototype IVECO