Retour d’inter — A Notre-Dame, comme sur les plus importantes interventions, le dessinateur opérationnel est un pourvoyeur de renseignements précieux pour les commandants des opérations de secours. Ses croquis exécutés dans l’urgence, permettent néanmoins de visualiser en volume le bâtiment, ses accès, ainsi que le positionnement des engins et des lances. Après coup, il réalise des dessins plus aboutis pour le retex. Nous avons demandé au lieutenant Laurent Clerjeau, dessinateur de garde ce soir-là, de nous raconter sa manœuvre en détails et… en dessins.
Le sous-officier de garde CO (centre opérationnel) me prévient par téléphone et me fait décaler pour « FEU CATHEDRALE NOTRE-DAME DE PARIS ». Un coup de pression arrive immédiatement en anticipant la complexité de l’édifice. En route, lors de la descente des Champs-Elysées, je visualise le panache de fumée, qui est volumineux, mais bizarrement pas encore extraordinaire en le comparant à un panache de feu d’entrepôt, par contre la couleur « jaune-orange » n’est en rien comparable.
Arrivé sur les lieux, je stationne au niveau du quai de Montebello et réalise une photo à destination du CO.
Je me dirige directement vers la cathédrale en passant par le pont au Double, réalise que l’intervention est importante, et que la lutte contre propagation dans la toiture va être difficile.
Je réalise en même temps que je vais devoir produire rapidement des documents à destination du COS /du PC TAC et de l’EMO.
Je me remémore rapidement les lieux pour l’avoir visité, une dizaine d’années plutôt. Je rentre en contact avec un personnel qui m’indique un escalier en colimaçon qui permet d’accéder à la coursive située au-dessus du transept sud.
Sur place, plusieurs équipes commencent l’attaque aux moyens de lances sur colonne sèche.
Le site me permet d’avoir un point haut sur une partie de la toiture mais je ne surplombe pas l’édifice.
Au pied de l’échafaudage la chaleur est intense, je ne peux pas rester sur place. Après la vision depuis ce point haut, je commence à rédiger une exquise de schéma. Je poursuis le tour de la cathédrale pour répertorier les autres escaliers (4) et les accès de la cathédrale.
Sur le parvis, des braises tombent et mettent le feu à des poubelles. Je me dirige alors vers le PC TAC pour donner des infos et prendre contact avec le COS /PC TAC. Je produis dans un premier temps un croquis sur le tableau blanc de la PC.
Ce premier croquis reste simple mais il permet déjà de faire apparaître les escaliers et de comprendre la propagation du feu sur la toiture.
A ce stade de l’intervention, je réalise l’importance de la situation (médiatique /historique /patrimoine) car mon esprit était dans un premier temps concentré sur l’importance de restituer un croquis de qualité, fiable et utile au COS et VPC.
Sur ordre, je réalise un autre croquis A0 (grand format) au niveau du PC CMOA, qui serait utilisé sur un point de site par le général Gallet avec le Président Macron.
Au niveau des beffrois, de la fumée commence à se dégager du beffroi nord. En collectant des informations et en recherchant des accès, je découvre une lucarne située dans le glacis du beffroi nord et visualise une lueur à l’intérieur. Je rends compte au chef de secteur.
J’aperçois une petite porte dérobée donnant accès à l’intérieur du beffroi. Après forcement de la serrure, je constate le début de la propagation à un plancher haut desservant le deuxième niveau de cloche.
Mon ressenti reste que l’intervention, qui s’est poursuivie toute la nuit, s’est déroulée très rapidement ; la notion de temps est tronquée, on pense être sur les lieux depuis 30 minutes mais cela fait déjà 2h00.
Pour la partie charpente, et plus particulièrement celle-ci, ma connaissance s’arrête et se limite qu’au vague souvenir d’une émission de télé “des racines et des ailes” sur “la forêt de Notre Dame”.
Cette intervention à fait resurgir de ma mémoire mes cours pratiques et théoriques de CAP et BEP de menuiserie (avec notions rudimentaires de charpentier et d’étude de l’art, dont l’art Gothique).
Sur cette intervention, j’ai rencontré René Dosne, le père fondateur de cette discipline, qui est toujours un consultant et un expert dans sa spécialité. Nous nous sommes croisés au PC TAC, à mon retour des beffrois, et nous avons rapidement échangé. Il a aussi produit des schémas d’une très grande qualité, qui ont permis de compléter mon travail. Son analyse et ses conseils restent pertinents et précieux pour nous faire progresser, sans pour autant égaler son génie.
Je suis « honoré » d’avoir contribué à la limite de la propagation du sinistre, de l’action menée par tous les SP sur place mais aussi ceux de garde aux CO /CSO /PVO. Cette intervention reflète aussi la plus-value qu’apporte le DO dans certaines situations, certes on n’éteint pas les incendies avec des crayons mais on contribue (le groupe DO) à la compréhension du sinistre, qui sera bénéfique au COS.
Je rends hommage aussi au DO de garde Rue de Trévise, qui grâce à son talent, a réussi à localiser notre collègue enseveli dans les décombres.
Attention numéro spécial !
Retrouvez plus de détails sur les dessinateurs opérationnels et sur cette intervention historique de Notre-Dame dans le numéro spécial d’Allo Dix-Huit à paraître dès le 15 mai.
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