NOTRE-DAME — Dans la peau du dessinateur opérationnel

Retour d’inter — A Notre-Dame, comme sur les plus importantes interventions, le dessinateur opérationnel est un pourvoyeur de renseignements précieux pour les commandants des opérations de secours. Ses croquis exécutés dans l’urgence, permettent néanmoins de visualiser en volume le bâtiment, ses accès, ainsi que le positionnement des engins et des lances. Après coup, il réalise des dessins plus aboutis pour le retex. Nous avons demandé au lieutenant Laurent Clerjeau, dessinateur de garde ce soir-là, de nous raconter sa manœuvre en détails et… en dessins.

La rédac­tion Allo18 —  — Modi­fiée le 21 juillet 2024 à 09 h 41 

Le sous-offi­cier de garde CO (centre opé­ra­tion­nel) me pré­vient par télé­phone et me fait déca­ler pour « FEU CATHEDRALE NOTRE-DAME DE PARIS ». Un coup de pres­sion arrive immé­dia­te­ment en anti­ci­pant la com­plexi­té de l’édifice. En route, lors de la des­cente des Champs-Ely­sées, je visua­lise le panache de fumée, qui est volu­mi­neux, mais bizar­re­ment pas encore extra­or­di­naire en le com­pa­rant à un panache de feu d’entrepôt, par contre la cou­leur « jaune-orange » n’est en rien comparable.

Arri­vé sur les lieux, je sta­tionne au niveau du quai de Mon­te­bel­lo et réa­lise une pho­to à des­ti­na­tion du CO.

Nodre-Dame dessin opérationnel

Je me dirige direc­te­ment vers la cathé­drale en pas­sant par le pont au Double, réa­lise que l’intervention est impor­tante, et que la lutte contre pro­pa­ga­tion dans la toi­ture va être difficile.

Je réa­lise en même temps que je vais devoir pro­duire rapi­de­ment des docu­ments à des­ti­na­tion du COS /​du PC TAC et de l’EMO.

Je me remé­more rapi­de­ment les lieux pour l’avoir visi­té, une dizaine d’années plu­tôt. Je rentre en contact avec un per­son­nel qui m’indique un esca­lier en coli­ma­çon qui per­met d’accéder à la cour­sive située au-des­sus du tran­sept sud.

Sur place, plu­sieurs équipes com­mencent l’attaque aux moyens de lances sur colonne sèche.

Le site me per­met d’avoir un point haut sur une par­tie de la toi­ture mais je ne sur­plombe pas l’édifice.

Au pied de l’échafaudage la cha­leur est intense, je ne peux pas res­ter sur place. Après la vision depuis ce point haut, je com­mence à rédi­ger une exquise de sché­ma. Je pour­suis le tour de la cathé­drale pour réper­to­rier les autres esca­liers (4) et les accès de la cathédrale.

Sur le par­vis, des braises tombent et mettent le feu à des pou­belles. Je me dirige alors vers le PC TAC pour don­ner des infos et prendre contact avec le COS /​PC TAC. Je pro­duis dans un pre­mier temps un cro­quis sur le tableau blanc de la PC.

Ce pre­mier cro­quis reste simple mais il per­met déjà de faire appa­raître les esca­liers et de com­prendre la pro­pa­ga­tion du feu sur la toiture.

A ce stade de l’intervention, je réa­lise l’importance de la situa­tion (média­tique /​his­to­rique /​patri­moine) car mon esprit était dans un pre­mier temps concen­tré sur l’importance de res­ti­tuer un cro­quis de qua­li­té, fiable et utile au COS et VPC.

Sur ordre, je réa­lise un autre cro­quis A0 (grand for­mat) au niveau du PC CMOA, qui serait uti­li­sé sur un point de site par le géné­ral Gal­let avec le Pré­sident Macron.

Au niveau des bef­frois, de la fumée com­mence à se déga­ger du bef­froi nord. En col­lec­tant des infor­ma­tions et en recher­chant des accès, je découvre une lucarne située dans le gla­cis du bef­froi nord et visua­lise une lueur à l’intérieur. Je rends compte au chef de secteur.

J’aperçois une petite porte déro­bée don­nant accès à l’intérieur du bef­froi. Après for­ce­ment de la ser­rure, je constate le début de la pro­pa­ga­tion à un plan­cher haut des­ser­vant le deuxième niveau de cloche.

Mon res­sen­ti reste que l’intervention, qui s’est pour­sui­vie toute la nuit, s’est dérou­lée très rapi­de­ment ; la notion de temps est tron­quée, on pense être sur les lieux depuis 30 minutes mais cela fait déjà 2h00.

Pour la par­tie char­pente, et plus par­ti­cu­liè­re­ment celle-ci, ma connais­sance s’arrête et se limite qu’au vague sou­ve­nir d’une émis­sion de télé “des racines et des ailes” sur “la forêt de Notre Dame”.

Cette inter­ven­tion à fait resur­gir de ma mémoire mes cours pra­tiques et théo­riques de CAP et BEP de menui­se­rie (avec notions rudi­men­taires de char­pen­tier et d’étude de l’art, dont l’art Gothique).

Sur cette inter­ven­tion, j’ai ren­con­tré René Dosne, le père fon­da­teur de cette dis­ci­pline, qui est tou­jours un consul­tant et un expert dans sa spé­cia­li­té. Nous nous sommes croi­sés au PC TAC, à mon retour des bef­frois, et nous avons rapi­de­ment échan­gé. Il a aus­si pro­duit des sché­mas d’une très grande qua­li­té, qui ont per­mis de com­plé­ter mon tra­vail. Son ana­lyse et ses conseils res­tent per­ti­nents et pré­cieux pour nous faire pro­gres­ser, sans pour autant éga­ler son génie.

Je suis « hono­ré » d’avoir contri­bué à la limite de la pro­pa­ga­tion du sinistre, de l’action menée par tous les SP sur place mais aus­si ceux de garde aux CO /​CSO /​PVO. Cette inter­ven­tion reflète aus­si la plus-value qu’ap­porte le DO dans cer­taines situa­tions, certes on n’éteint pas les incen­dies avec des crayons mais on contri­bue (le groupe DO) à la com­pré­hen­sion du sinistre, qui sera béné­fique au COS.

Je rends hom­mage aus­si au DO de garde Rue de Tré­vise, qui grâce à son talent, a réus­si à loca­li­ser notre col­lègue ense­ve­li dans les décombres.

Attention numéro spécial !

Retrou­vez plus de détails sur les des­si­na­teurs opé­ra­tion­nels et sur cette inter­ven­tion his­to­rique de Notre-Dame dans le numé­ro spé­cial d’Allo Dix-Huit à paraître dès le 15 mai.


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Credits

Dessins : LTN Lurent Clerjeau

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