#BrigadeInside — Le colonel François Kieffer a pris en juin dernier le commandement du troisième groupement d’incendie et de secours. Un groupement où il a déjà servi à deux reprises. Il arrive néanmoins avec beaucoup d’humilité et un cap sans équivoque.
« Simplicité, efficience et subsidiarité ! »
Mon colonel, racontez-nous trois moments forts de votre carrière…
Votre question n’est pas évidente car nos carrières sont très variées…
Je retiendrai tout d’abord ma première expérience opérationnelle. Avant de pouvoir rejoindre la BSPP j’ai servi deux ans au 68e régiment d’artillerie d’Afrique. Quatre mois après avoir rejoint le régiment, j’ai été projeté en opération extérieure en Bosnie-Herzégovine. La mission consistait à recueillir des informations et du renseignement d’ambiance au contact de la population, des acteurs locaux, civils, militaires, politiques et religieux. J’étais à la tête d’un petit détachement composé de quatre sous-officiers, trois soldats et deux interprètes. Je bénéficiais d’une complète autonomie logistique. Mon CDU (commandant d’unité) était à deux heures de route de ma position. J’avais tout ce dont un chef peut rêver : une mission passionnante, des moyens suffisants, et une réelle autonomie. Ce fut une aventure particulièrement riche pour un jeune lieutenant !
Autre moment opérationnel fort, à la Brigade cette fois, où j’étais officier de garde compagnie lors d’un feu d’immeuble à Saint-Ouen une nuit d’avril 2011. Avant même que je ne me présente sur les lieux, le chef de garde, chef de centre très aguerri, avait demandé un renfort habitation puis un plan rouge trois minutes plus tard. À mon arrivée, une dizaine de personnes sont sur les toits dont une femme tenant son enfant dans les bras. Des flammes s’échappent de la toiture. L’ensemble de la cage d’escalier et les deux derniers niveaux sont totalement embrasés. Il faut alors se forcer à faire le point sereinement avec le chef de garde et essayer de mettre de l’ordre avec ses équipes dans une situation chaotique. Ces moments que l’on vit ensemble face au risque et dans l’urgence demeurent émotionnellement puissants, ils nous soudent, on ne les oublie pas.
Enfin, de manière plus générale, le temps de CDU est un moment intense où l’on vit pleinement ce pourquoi on s’est engagé : fédérer ses hommes, commander en intervention et servir une cause qui nous dépasse. J’ai eu le privilège de me voir confier une grande unité qui comptait quatre centres de secours, la 21e compagnie. J’ai eu la chance d’avoir une équipe d’officiers exemplaires à l’état d’esprit irréprochable composée de Saint-Cyriens et d’OAEA (officiers d’active des écoles d’armes). Cet alliage des extrêmes fonctionne très bien : la fougue de la jeunesse et l’expérience du vieux soldat du feu. Mes chefs de centres étaient vraiment hors-normes, des hommes de très grande valeur. Tous sont officiers aujourd’hui. C’est un honneur et une responsabilité enthousiasmante de conduire le destin d’une communauté d’hommes et de femmes.
Je ne raconte pas mon temps de chef de corps car je n’en suis qu’au début de l’histoire ! Mais dans ces premiers mois à la tête du groupement, je retrouve déjà les joies que j’ai connues en tant que commandant d’unité.
Quelle image aviez-vous du groupement, que désormais vous commandez ?
Je connaissais le GIS 3 pour y avoir servi comme CDU de la 21ᵉ compagnie de 2011 à 2013, puis chef BOI (bureau opération-instruction) de 2019 à 2021. J’avais néanmoins besoin d’une « mise à jour », la version 2023 du groupement, car nous sommes dans un contexte qui évolue rapidement. Le personnel change, les modes opératoires évoluent et il faut toujours se remettre en question. Ainsi, dès ma prise de fonctions, j’ai lancé « l’opération éponge ». Elle consistait à faire le tour de l’ensemble des PC de compagnie, des CS puis des sections de l’état-major pour m’imprégner du groupement. J’avais besoin d’écouter, de comprendre et d’échanger avec mes subordonnés.
Avec du recul, ce qui fait le plus plaisir, c’est de voir le chemin parcouru par certains. Des jeunes sapeurs que j’ai accueillis quand j’étais CDU sont aujourd’hui de solides sous-officiers. Plusieurs de mes anciens sergents-chefs occupent maintenant les fonctions de chef de centre et même de commandant d’unité ! J’ai aussi beaucoup de chance de retrouver dans mon état-major une équipe que je connais bien. Mon commandant en second, le lieutenant-colonel Lepouriel, était chef de cabinet lorsque j’étais assistant militaire du général Poncelin de Raucourt. Le lieutenant-colonel Gallou (chef BOI) servait au GIS3 quand je commandais la 21 puis nous avons eu l’occasion de faire ensemble une belle mission au Chili en 2015. Le DRH, le capitaine Jaouanet, était un de mes adjoints au BOI.
Dans ces conditions, en juin dernier, j’ai eu l’impression de revenir à la maison. J’ai retrouvé cette simplicité dans les relations qui fait l’identité du GIS3 depuis longtemps. Un esprit de famille qui perdure encore aujourd’hui.
Quel va être votre cap dans ce temps de commandement ?
Au lendemain de ma prise de commandement, j’ai présenté aux cadres du groupement « l’intention du chef de corps ». Ce document de quatre pages, visait à fixer d’emblée le cap : le contrat opérationnel du GIS3 doit être rempli par des sapeurs-pompiers épanouis en dégageant du temps utile pour les chefs tactiques. Pour y parvenir, j’ai défini quatre objectifs : 1°) forger une chaîne de commandement robuste et une communauté fière de son identité, 2°) garantir l’efficacité opérationnelle du GIS3 par une préparation opérationnelle adaptée et une interopérabilité renforcée, 3°) assurer la meilleure adéquation entre les besoins RH du groupement et les aspirations, les compétences et le potentiel de chacun, 4°) préserver l’outil de travail du sapeur-pompier, prioriser les demandes de soutien et en assurer le suivi. Surtout, j’ai défini un prisme qui doit imprégner l’ensemble de notre action : simplicité, efficience, subsidiarité. Pour la simplicité, je me réfère à Napoléon 1ᵉʳ : « La simplicité est la condition de la réussite de toute bonne manœuvre ». L’efficience synthétise les principes de la guerre du maréchal Foch que sont « l’économie des forces et la concentration des efforts ». Quant à la subsidiarité, le chef d’état-major de l’armée de Terre la préconise dans « le commandement par intention » pour que chaque niveau de responsabilité garde une certaine liberté d’action et soit épanoui dans sa mission.
Question subsidiaire (justement !) : quelle question auriez-vous aimé que je vous pose ?
C’est difficile… Disons, quelle fonction aurais-je aimé occuper à la Brigade ?
Et la réponse ? Chef de centre ! Pour l’unicité de lieu, l’ancrage dans la vie locale et le contact quotidien avec les opérations. Si on me le propose à l’issue de mon temps de chef de corps, je n’exclus pas de répondre favorablement (rires)