Histoire — Le 7 novembre 1821, le roi Louis XVIII signe une ordonnance portant réorganisation du corps des sapeurs-pompiers de la Ville de Paris. Celui-ci comporte une formule sibylline : « le corps des sapeurs-pompiers de notre bonne ville de Paris comptera à l’avenir dans le complet de l’armée ».
Par ce membre de phrase mystérieux, dix ans après sa création par Napoléon 1er, le bataillon de sapeurs-pompiers de Paris devient partie intégrante de l’armée et ses hommes, des militaires de plein exercice.
Pour comprendre l’importance de ce qui s’est passé il y a 200 ans, il faut revenir sur les circonstances de la création du Bataillon en 1811. Suite à la désorganisation constatée par l’Empereur lors du fameux bal auquel il assistait, sa volonté est incontestablement de créer une organisation de type militaire pour remplacer les gardes pompiers civils. Mais il pose des limites : le nouveau corps n’est placé ni sous l’autorité du ministre de la Guerre, ni sous celle du gouverneur militaire de Paris. Il ne dépend que du préfet de police. Son recrutement repose sur des enrôlements volontaires d’hommes, des sous-officiers munis de congés (ayant quitté l’armée) et d’anciens officiers réformés ou en retraite (article 18 du décret de 1811). Les besoins de l’armée en hommes pour affronter la poursuite des guerres napoléoniennes, et notamment la campagne en préparation contre la Russie, sont trop importants pour affecter au Bataillon des militaires d’active. Seules concessions au régime militaire : les hommes sont soumis à la « discipline, police et justice militaire » et le directeur du Génie de Paris fait fonction d’inspecteur d’armes du corps (article 15 du décret). Une disposition étrange pour un corps apparenté à l’infanterie.
Le préfet tire la sonnette d’alarme
Les débuts du nouveau bataillon sont difficiles. Tout d’abord, l’effectif théorique de 576 hommes n’est pas atteint. D’ailleurs, une partie des gardes pompiers civils est conservée ; une situation qui perdure sous la Restauration. En 1813, le préfet tire la sonnette d’alarme sur les effectifs : « M. le Préfet de police (…) représente qu’il n’y a encore que 316 sapeurs enrôlés et qu’il faut 195 à 200 pompiers pour le service de chaque jour ; que ce bataillon ne se recrute pas faute de logement ; et que, jusqu’à ce que son casernement soit opéré, on ne peut en attendre un service régulier, tel que l’exige la sûreté publique » (rapport du préfet de police du 30 juin 1813).
Ensuite, le commandement est déficient. En effet, le premier commandant, le chef d’escadron de Lalanne, ne donne pas satisfaction. Etienne Pasquier, préfet de police, décide à l’automne 1813 de le remplacer par un chef de bataillon du génie, M. de Plazanet. Un ancien de la Grande Armée, « qui avait servi avec une grande distinction et avait reçu des blessures qui ne lui permettaient plus de faire la guerre » comme le relate Pasquier dans ses mémoires. Il prend ses fonctions le 1er janvier 1814 et va rester à la tête du Bataillon jusqu’en 1830.
L’état-major du quai des orfèvres
Enfin, l’acquisition des casernes s’avère laborieuse. Fin 1811, l’état-major quitte le siège des gardes pompiers de la rue de la Jussienne (IIe arrondissement) pour s’installer quai des Orfèvres, à proximité immédiate de la préfecture de police, à l’époque située rue de Jérusalem, derrière la Sainte Chapelle. La première des quatre compagnies nouvellement créées s’installe au même endroit. Puis en 1812, une compagnie prend ses quartiers rue de la Paix. En 1813, une autre, rue de Sévigné, et en 1814 rue du Vieux-Colombier.
En 1814, l’Empire s’effondre. Louis XVIII monte sur le trône. C’est la Restauration, à peine interrompue par les Cent Jours en 1815. Le nouveau régime s’attelle à la remise en cause d’un certain nombre d’institutions impériales. La préfecture de police est supprimée puis rétablie. Le 16 juillet 1815, l’armée est licenciée dans sa totalité pour être réorganisée sur de nouvelles bases. Le corps des sapeurs de la Garde Impériale, l’homologue du Bataillon, chargé du service de lutte contre l’incendie dans les palais impériaux, est supprimé.
Le sort du Bataillon est donc en balance et la disparition des archives de la préfecture de police de cette époque (incendiées en 1871) ne nous laisse que des bribes de connaissances sur les différents projets de réforme initiés entre 1815 et 1821. Ils sont liés en tout cas au sort des autres unités militaires ou paramilitaires de la capitale : la Gendarmerie royale de la Ville de Paris (l’ancêtre de la Garde Républicaine), réformée par ordonnance en 1816, et la Garde Nationale, également refondue par ordonnance la même année.
Tout change avec la promulgation de la loi du 10 mars 1818 sur le recrutement de l’armée dite loi Gouvion-Saint-Cyr, du nom du ministre de la guerre qui l’a élaborée. Cette loi très importante organise le recrutement par conscription (tirage au sort et enrôlements volontaires) ainsi que l’avancement au mérite : les postes d’officiers ne sont plus réservés aux nobles, comme c’était le cas sous l’Ancien Régime. Enfin, la loi fixe l’effectif de l’armée en temps de paix à 240 000 hommes.
La loi Gouvion-Saint-Cyr fait naître l’incertitude quant au statut des pompiers de Paris comme en témoigne une lettre du préfet de police au ministre de l’Intérieur datée du 29 octobre 1819 : « la crainte de voir d’un instant à l’autre le service d’incendie compromis dans la capitale me détermine à exposer à votre Excellence combien il importe de faire sortir le Bataillon de sapeurs-pompiers de la position incertaine dans lequel il se trouve, ce corps étant considéré comme placé hors de la loi sur le recrutement (…) L’expérience de chaque jour démontre la nécessité d’adopter sur cette organisation un parti définitif ».
L’ordonnance royale du 7 novembre 1821 tranche donc la question en militarisant le Bataillon. Elle édicte en effet dans son article 1er : « le corps des sapeurs-pompiers de notre bonne ville de Paris comptera à l’avenir dans le complet de l’armée déterminé par l’article 5 de la loi du 10 mars 1818 (…) ».
Il faut donc se reporter audit article pour expliciter la fameuse formule.
L’article 5 de la loi du 10 mars 1818 dit ceci : « le complet de paix de l’armée, officiers et sous-officiers compris, est fixé à deux cent quarante mille hommes ».
Voilà donc les hommes du Bataillon partie intégrante des effectifs de l’armée.
Mais il y a plus : la loi de 1818 et l’ordonnance de 1821 sont des textes qui régissent le recrutement et la formation. Ceci concerne aussi bien les militaires du rang que les officiers et sous-officiers. L’ordonnance organise ainsi les modalités de la militarisation du Bataillon sous ses trois aspects : entrée dans les effectifs de l’armée, recrutement et encadrement.
L’ordonnance de 1821
L’ordonnance précise que les officiers du bataillon sont nommés désormais sur proposition du ministre de la Guerre. Le commandant du Bataillon doit être nommé parmi les lieutenants-colonels ou les chefs de bataillon de l’armée (articles 3, 4 et 5 de l’ordonnance). Le Bataillon recrute ses hommes par engagement ou par volontariat de soldats issus de « divers corps de l’armée ». « Les officiers prennent rang dans l’armée d’après leur ancienneté de grade » (article 2 – 6 de l’ordonnance).
Tout le recrutement et l’encadrement du Bataillon est donc placé dans l’armée. Les officiers et sous-officiers des pompiers de Paris ne sont plus des réformés ou des retraités, mais des militaires d’active. Les gardes pompiers civils conservés au Bataillon vont disparaître progressivement.
Enfin, l’ordonnance fixe les effectifs à 636 hommes (576 en 1811) : 156 pour chacune des quatre compagnies et 12 pour l’état-major.
Le décret de 1811 a créé une organisation à caractère militaire, mais hors de l’armée.
L’ordonnance de 1821 militarise le corps, qui devient une composante de l’armée. À partir de cette date, le Bataillon figure dans la liste des unités appartenant à l’infanterie.
De 1821 à 1848, il y aura encore de nombreux textes officiels régissant le Bataillon. Certains sont flous ou marquent des retours en arrière.
Il faudra attendre 1850 pour qu’un décret place le Bataillon sous l’autorité du ministre de la Guerre, avec mise à disposition du préfet de police. La militarisation complète aura donc pris 39 ans.