Les rencontres d’ALLO DIX-HUIT — Référent Brigade pour la gestion des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, le lieutenant-colonel David Menigon a bien voulu répondre à nos questions autour de l’organisation de la BSPP pour cet événement majeur.
Pouvez-vous nous retracer les grandes lignes de votre parcours pro ?
Je suis issu d’un recrutement semi-direct. Après deux années de conscription et 3 années passées au Groupe de Défense Nucléaire Biologique et Chimique de Draguignan (GDNBC devenu 2e régiment de dragons de Fontevraud), j’ai rejoint en 2002 la 42e promotion de l’École Militaire Interarmes. J’ai eu l’opportunité de choisir la composante sécurité et de rejoindre la BSPP en 2005, à l’issue de mon année de formation en division d’application au sein de l’École du génie d’Angers. J’ai fait mes premières armes à la 10e compagnie où j’ai occupé la fonction de chef de garde pendant trois belles années, sur un secteur extrêmement riche et intense sur le plan opérationnel. J’ai ensuite découvert les multiples facettes de la banlieue en rejoignant la 26e compagnie en 2008 que j’ai eu l’honneur de commander pendant trois années de 2010 à 2013. Puis, affecté à l’état-major du 1er groupement d’incendie et de secours, j’ai occupé successivement la fonction d’adjoint de chef SOI puis de chef SOI. Encore cinq belles années… Une période différente de la compagnie d’incendie mais également très enrichissante au sein d’une équipe soudée et très professionnelle.
Ensuite, changement d’univers…
Oui. Après la réussite du diplôme technique et une année de scolarité en Master Spécialisé à l’École Nationale Supérieure d’Arts et métiers, j’ai découvert un nouvel environnement au sein du Contrôle Général des Armées où j’ai exercé la fonction d’inspecteur du travail dans les armées au sein du pôle travail du groupe des inspections spécialisées. Une belle opportunité professionnelle : commissionné par le ministre des armées et assermenté auprès des tribunaux judiciaires, j’ai en effet mesuré concrètement la grande diversité des organismes du ministère des Armées lors de mes différentes inspections. Je contrôlais notamment l’application de la réglementation relative à la santé et à la sécurité du travail sur les emprises placées sous l’autorité du ministre des armées, à la fois pour le personnel civil et militaire mais également pour les salariés des entreprises de droit privé intervenant sur les emprises de la défense… un nouveau départ professionnel et une profonde remise en question après treize années à la BSPP.
Quel est votre rôle à la Brigade ?
Je suis affecté à la Division Emploi au sein du Bureau Planification Opérationnelle. J’occupe principalement la fonction d’officier de marque, de référent, pour les Jeux olympiques et paralympiques (JOP). Intégré au sein d’une équipe projet pilotée par le colonel adjoint territorial, je participe à la grande majorité des groupes de travail ou ateliers techniques sous la houlette de la Mission Paris 2024 de la préfecture de police qui coordonne l’ensemble des dossiers. Je suis également appuyé par les experts des différents bureaux, comme le bureau prévention lorsque les thématiques font appel à des connaissances bien spécifiques. Ce travail est réalisé de concert avec les référents identifiés au sein de chaque division, bureau et groupement. Les sujets ne manquent pas. La préparation des Jeux s’est intensifiée depuis septembre dernier. Aujourd’hui, les JOP représentent 90 % de mon travail quotidien. Pour mémoire c’est la priorité immédiate du général commandant la brigade dans son plan d’action. L’intention du chef est claire : réussir la préparation de rendez-vous sécuritaires majeurs avec un effort spécifique sur la préparation des JOP. Les enjeux sont effectivement de taille : pour reprendre les termes du Comité international olympique (CIO), les JO sont « l’équivalent de 42 championnats du monde, d’un G20, d’une assemblée générale de l’ONU, et d’un sommet de Davos se déroulant simultanément au même endroit ». Les chiffres parlent d’eux même. Paris 2024, ce sera 15 000 athlètes, 50 000 volontaires à l’œuvre, 206 nations représentées, 13,5 millions de spectateurs attendus, 20 000 journalistes accrédités, 4 milliards de téléspectateurs et 100 000 heures de diffusion TV.
Réfèrent JOP, quand on sait que c’est l’objectif principal du commandement, est-ce que ça vous met la pression ?
Non, pas du tout. Au contraire. C’est une réelle opportunité de pouvoir travailler sur un sujet transverse qui intéresse toutes les divisions et l’ensemble des groupements. La mobilisation des bureaux est intense et tout le monde est sur le pont. C’est plutôt rassurant et ça permet d’avancer sur l’ensemble des sujets en toute confiance. N’oublions pas que la Brigade est une institution aguerrie et rompue à ce genre de mission. Sa capacité de mobilisation, sa résilience et son aptitude à relever les défis ne sont plus à prouver. Il faut effectivement garder à l’esprit que les enjeux sont considérables, sur le plan politique ou encore de la réputation du corps, mais les savoir-faire et l’expérience sont là. Donc une légère pression peut être… mais on sait faire.
Quelle est la problématique d’ensemble pour la Brigade ?
Pour avoir une vision globale et exhaustive, je pense qu’il y a plusieurs sujets pour la Brigade :
Tout d’abord il faut préparer la montée en puissance de notre organisation et nous mobiliser tout en continuant à remplir notre mission quotidienne de protection et de secours à la population parisienne. Nous devons identifier parfaitement nos priorités opérationnelles et évaluer les capacités que nous pouvons proposer en gardant à l’esprit que les ressources sont comptées. Ce travail est déjà bien entamé mais certains points sont encore à consolider.
Il faut également avancer au rythme des différents groupes de travail en s’adaptant sans cesse au changement. C’est parfois la méthode de la découverte. Il faut donc être très réactif et être en mesure de travailler en temps contraint pour répondre dans l’urgence aux différentes sollicitations et progresser de manière coordonnée.
Nous devons par ailleurs rester vigilants et être présents sur l’ensemble des sollicitations pour ne pas passer à côté d’un sujet qui nous serait préjudiciable. Porter la position de la Brigade dans les différents groupes de travail et ateliers techniques, c’est primordial. Même si la comitologie est conséquente, il faut faire l’effort d’être sur tous les fronts.
Nous devons par ailleurs rester vigilants et être présents sur l’ensemble des sollicitations pour ne pas passer à côté d’un sujet qui nous serait préjudiciable.
Est-ce difficile de planifier alors qu’une partie des infrastructures n’est pas encore réalisée ?
Effectivement, il y a encore des infrastructures inachevées et de nombreuses incertitudes ou inconnues à ce jour sur l’ensemble des sujets. Mais nous avons déjà une bonne visibilité sur certains dossiers comme les sites de compétitions, les sites d’entraînements, les épreuves sur routes ou encore les sites de célébrations. En interne, la Brigade s’est mise en ordre de marche depuis plusieurs mois. La Division emploi (DIVEMP) est leader pour la préparation de la contribution de la BSPP aux JOP. A ce titre, un document de planification d’état-major « Ops Design » a été initié au premier semestre 2022 par mon prédécesseur. Il permet d’identifier nos priorités opérationnelles et organisationnelles et de cadencer l’ensemble des travaux conduits par les divisions et les groupements.
Dans certains groupes de travail ou ateliers techniques, la réflexion est lente, parfois compliquée avec des sujets qui souvent ne sont pas encore à maturité. Mais même dans ces conditions, il nous est toujours possible de planifier. La singularité militaire de notre métier de sapeur-pompier de Paris nous facilite grandement la tâche. La planification fait partie de notre ADN. L’anticipation des cas non-conformes et la définition des modes d’action font partie de notre culture. Après, il faut savoir faire preuve de réactivité et mettre tout cela en musique.
En terme d’infrastructures, quels vont être les grands chantiers ?
Le principal chantier identifié en termes d’infrastructures, c’est la construction du centre de secours dédié à la sécurité du village olympique. Pour le moment il s’agit d’une base de commandement avancée de la préfecture de Police qui opérera pendant le temps des Jeux. Une fois les Jeux terminés, ce que l’on appelle plus communément la phase héritage, cette base avancée deviendra un CS supplémentaire pour la BSPP. A ce jour, l’organisation et l’armement du CS dit « CS VOP » est validée. Il sera livré au GAS et constituera le PC d’unité de la 40e compagnie — CAS. Le nom de baptême en revanche n’est pas encore arrêté.
Il y a d’autres chantiers d’envergure mais qui n’impactent pas directement l’infra BSPP. Je pense notamment au cluster des médias qui comportera deux sites distincts, le village des médias qui sortira de terre sur la commune de Dugny (93), site qui a vocation à héberger les 1 300 journalistes et techniciens dédiés aux JOP et l’IBC (International Broadcast Center) positionné sur Le Bourget qui a vocation à accueillir les nombreux diffuseurs officiels, environ 15 000 personnes.
Ce plan va-t-il demander un effort en ce qui concerne les ressources humaines ?
Effectivement. Pour mémoire, trois risques principaux ont été identifiés : une aggravation du risque courant lié à un afflux massif de visiteurs sur la capitale, un risque spécifique en raison de la forte concentration du public sur certains sites de compétitions ou de célébrations et enfin une probabilité d’occurrence plus élevée du risque exceptionnel liée au caractère symbolique, politique et médiatique de l’évènement. La Division organisation ressources humaines (DIVORH) a donc identifié plusieurs leviers et initié un certain nombre de chantiers pour répondre à la montée en puissance capacitaire. D’une part, pour le personnel d’active en rehaussant le plan de recrutement en 2023 et 2024 pour garantir un niveau de réalisation des effectifs proche de la cible, mais également pour le personnel de réserve avec la montée en puissance du plan réserve 2024 ou l’anticipation du recrutement de réservistes spécialistes. Il y aussi l’adaptation de la formation, une politique de permission adaptée à la période JOP 2024, les travaux de modélisation de service et bien d’autres sujets encore…la manœuvre RH est conséquente.
Le schéma de gouvernance est un peu complexe, mais très vite on comprend qui fait quoi.
En interservices, quels sont les principaux acteurs ?
Ils sont nombreux et au départ, le schéma de gouvernance est un peu complexe à appréhender mais très vite on comprend qui fait quoi. Parmi les acteurs nous avons tout d’abord le Comité organisateur des JOP Paris 2024 (COJO), la mairie de Paris, ville hôte, la Délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (DIJOP) qui est rattachée au Premier ministre et qui accompagne la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 en coordonnant les actions des différents ministères. SOLIDEO également…Société de livraison des équipements olympiques et paralympiques qui supervise les travaux des différents maîtres d’ouvrage publics et privés. La préfecture de Police, bien évidement, et ses différents services avec lesquels nous avons l’habitude de travailler comme la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP), la Direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) ou la brigade fluviale. A cela s’ajoute les collectivités, les différents opérateurs de transport public (RATP, SNCF…) pour les enjeux de transports et de mobilité ou encore Voies navigables de France (VNF), opérateur national de l’ambition fluviale. La liste est encore bien longue et les périmètres de responsabilité très variés.
Est-ce que tous les acteurs de cet ensemble interservices fonctionnent au même rythme ?
C’est parfois complexe mais la Mission Paris 2024 au sein du SGZDS est là pour conduire et coordonner la manœuvre. La structure est notamment dédiée à la préparation des dispositifs de sûreté et de sécurité. Responsable de la mise en œuvre de la feuille de route, elle veille justement à faire avancer l’ensemble des acteurs au même rythme. Une fois de plus on s’adapte. L’essentiel pour nous, c’est d’être à l’heure sur l’ensemble des objectifs fixés.
Armada, la cérémonie d’ouverture devrait accueillir 600 000 personnes autour de la Seine. Comment la BSPP doit gérer une telle affluence ?
La cérémonie d’ouverture est qualifiée comme un événement unique en son genre, original et audacieux. Pour la première fois des jeux d’été, une cérémonie se déroule hors d’un stade. Nous devons donc anticiper la mobilisation générale et massive de nos moyens matériels et humains pour assurer la mission qui nous est confiée. Il s’agit d’un défi sécuritaire qu’il nous faut relever. Le dispositif opérationnel pour assurer la sécurité de la grande parade fluviale sur la Seine est en cours de finalisation. Des moyens de renforcement zonaux ont également été demandés.
L’articulation des secours et le dimensionnement des moyens seront à la hauteur de l’évènement. Concernant les effectifs, il y a encore des discussions sur les différentes jauges des spectateurs qui assisteront à cet évènement depuis les quais bas et les quais hauts de la Seine. Le bureau prévention est fortement sollicité sur ce sujet. De toute façon, il faudra être au rendez-vous. La Brigade a participé à maintes reprises, à différents évènements internationaux comme la Conférence internationale sur le climat qui s’est déroulée à Paris en 2015. A nous de nous adapter à l’envergure de l’évènement et de multiplier les efforts. Et par ailleurs nous ne sommes pas seuls… N’oublions pas les autres services de l’Etat avec qui nous travaillons de manière conjointe sur l’organisation de la cérémonie.
Nous pourrons considérer cette période comme un héritage historique.
Une fois, les jeux terminés, quel sera l’héritage pour la Brigade ?
Au-delà du CS VOP mentionné précédemment qui s’inscrit dans l’héritage direct, il y a d’autres aspects qui méritent d’être mentionnés : comme sur toute opération viendra le temps du bilan et du retour d’expérience. Cette séquence opérationnelle n’y échappera pas. Il faudra tirer les enseignements et prendre en compte les axes d’amélioration des actions conduite à la fois en amont, dans le cadre de la préparation et de la montée en puissance, mais également lors de la phase de conduite pendant les 80 jours de postures. Nous avons également pris part à différentes expérimentations de technologies de sécurité pilotées par la Délégation ministérielle aux partenariats, aux stratégies et aux innovations de sécurité (DPSIS). A ce stade, il est difficile de prévoir l’avenir mais considérant que nous avons formulé des choix d’acquisition, nous pourrions bénéficier de certains équipements à l’issue des jeux. Toutefois la lisibilité sur ce sujet est encore très réduite.
Et puis un autre aspect et pas des moindres : je pense que nous pourrons considérer cette période comme un héritage historique. N’oublions pas que les célébrations de l’Olympiade à Paris remontent à 1900 et 1924 (hors éditions hivernales)… Même les plus anciens d’entre nous n’ont pas connu une telle séquence opérationnelle avec cette mobilisation hors norme. Je pense qu’on ne peut pas rester insensible à l’accueil d’un des plus grands évènements mondiaux. Considérant l’élan collectif, nous pourrons tous, partager et revendiquer cet héritage et dire « j’y étais » !
Quelle question manquait à cette interview ?
Je ne sais pas… Peut-être une question sur la manière dont j’ai perçu les choses lorsque l’on m’a annoncé que je ne n’aurai qu’un seul dossier à traiter au quotidien. Ça peut sembler frustrant en première approche. Or dès les premières réunions et surtout après avoir repris le flambeau derrière mon prédécesseur à qui je dois de solides fondations, j’ai rapidement perçu l’étendue du chantier qui m’attendait. En tout cas, j’en suis heureux et c’est une expérience extrêmement enrichissante pour un retour au sein de la BSPP…