Perspectives — En 2019, les sapeurs-pompiers de Paris réalisaient plus de 522 000 interventions, leurs capacités humaines et matérielles leur permettent d’en réaliser 450 000. Et chaque année, le nombre d’appels au 18⁄112 ne cesse d’augmenter… On parle de « crise du secours » : la crainte est de rater un appel urgent, une vie à sauver, face au flux incessant d’appels qui ne concernent pas toujours les pompiers (6 000 appels pour 1 300 interventions/jour). Demain, le risque majeur est de voir notre système de secours — gratuit, immédiat, et accessible à tous — disparaître, pour laisser place à un système moins performant, ou moins équitable.
L’isolement social fait exploser le système d’urgence des pompiers
Le constat ? Lors d’une intervention sur cinq, aucun geste de secours n’est réalisé. Le nombre de situations correspondant à des détresses vitales, ce pour quoi sont formés les pompiers, reste quant à lui stable. Pour affiner la problématique, la BSPP et (IM)PROVE, cabinet spécialisé dans la mesure d’impact, ont formalisé un système officiel de catégorisation des signalements pour l’ensemble des casernes de la BSPP. Cette catégorisation a permis d’identifier que 70 % de ces interventions relèvent de “l’assistanat” indiquant que la requête aurait pu être traitée par un proche ou un voisin !
Le motif ? Les Pompiers de Paris ont observé que les problématiques liées à ces interventions appelées « non urgentes », se situaient hors de leur cadre d’action, car il ne s’agissait pas d’accidents de vie mais de problématiques sociétales qu’ils ne pouvaient pas empêcher.
Les premiers éléments de l’étude quant aux interventions à caractère sociale réalisées par les pompiers, ont révélé des situations médico-sociales très dégradées, liant fragilité et isolement ou solitude, pour lesquelles le pompier n’est pas formé et le transport à l’hôpital rarement la bonne réponse. Mais les cas qui constituent peut-être la plus grande problématique, parfois appelés « appels abusifs », étaient ceux pour lesquels l’action des pompiers aurait pu simplement être remplacée par celle d’un proche ou d’un voisin.
Une solution : les entrepreneurs sociaux, acteur du vivre ensemble
Et si la crise du secours était en fait une crise de la solidarité locale et du lien social ? Et si, au lieu d’appeler les pompiers, les habitants pouvaient solliciter leur voisinage ou des associations locales en cas de problèmes du quotidien ?
Les Pompiers de Paris se sont alors demandés « comment amener les habitants à solliciter spontanément leur voisinage en cas de souci du quotidien » ? De nombreux acteurs sociaux ont mis des aides en place, mais qui n’agissent pas sur les comportements. De plus, adopter un comportement uniquement en cas d’urgence, indépendamment du quotidien, n’est pas chose aisée. Or, les pompiers n’agissent que dans le cadre de situations d’urgence.
Si notre époque est celle de l’isolement et la solitude en ville, voire de l’individualisme, les Pompiers de Paris ont aussi observé que c’est celle de l’engagement. De nombreux citoyens expriment la volonté d’agir à leur échelle pour résoudre des problèmes de société. De nombreux entrepreneurs sociaux agissent alors pour recréer du lien social, en incitant les citoyens à se dire bonjour, à partager des moments de convivialité et des objets, à « aller vers » leur voisin, à bien vivre ensemble au quotidien.
La BSPP n’est désormais plus seule face à son défi : elle peut enrayer la crise du secours en s’appuyant sur les entrepreneurs sociaux. Pour la première fois de son histoire, la BSPP décide donc de faire le pari de créer des partenariats avec ces entrepreneurs du Vivre ensemble.
Comment collaborer avec des entrepreneurs sociaux quand on est une institution publique et militaire ?
La BSPP s’est fait aider par makesense, un expert de l’entrepreneuriat social et de la mise en place de projets de collaboration innovants. Cela leur a permis d’identifier tous les entrepreneurs sociaux pertinents pour répondre à leurs défis comme La Cloche, Les Amis d’Hubert, Entourage, Le Social bar, Les Hyper Voisins, Nextdoor et bien d’autres.
makesense a organisé en juillet 2018 un Créathon du Vivre ensemble réunissant des pompiers, des citoyens et des entrepreneurs sociaux pour co-construire des solutions. Une dizaine de solutions a été présentée au jury composé notamment du général Jean-Claude GALLET qui s’est impliqué personnellement pour sélectionner les projets à expérimenter. Quatre projets ont été retenus et accompagnés par makesense pendant six mois. Après cette phase d’expérimentation, ils sont aujourd’hui prêts à aller plus loin !
Les projets sélectionnés se sont montés en équipe mélangeant des pompiers du terrain, des pompiers des fonctions supports, des citoyens et/ou des entrepreneurs sociaux. De réels projets de collaboration ont pu naître entre les pompiers et les entrepreneurs sociaux. Ils ont été expérimentés sur une caserne et évalués pour décider de leur expansion et le format que prendrait la suite de cette phase de prototypage.
- L’évolution des formations citoyennes, en collaboration avec La Cloche
La formation « Gestes qui sauvent » des Pompiers a été revue pour intégrer les éléments de la formation « Aller vers » de la Cloche (qui propose une nouvelle approche avec les personnes sans abris). La nouvelle formation a été testée sur plus de 150 franciliens dans la caserne de Sévigné avec un impact positif souligné sur la perception des personnes sans abris et comment leur venir en aide. Le taux de recommandation des formations est aujourd’hui de 90%. L’ambition est désormais d’étendre cette formation « Gestes qui sauvent » nouvelle formule au niveau national.
- Une nouvelle communication en collaboration avec Nextdoor
En fin 2018, la BSPP a d’abord innové en distribuant 100,000 flyers lors de la campagne du calendrier des pompiers avec 800 pompiers mobilisés. Le flyer engageait les citoyens avec des défis à réaliser pour promouvoir le vivre ensemble. Depuis, les pompiers travaillent avec Nextdoor pour s’engager dans une communication avec un niveau très local. C’est l’opportunité pour eux d’avoir des échanges très directs avec la population et de diffuser des messages encourageant des relations de voisinage.
- La Brigade du Vivre Ensemble en collaboration avec la Mairie de Paris
La BSPP a créé une brigade composée de services civiques et de réservistes, qui en parallèle de leur mission opérationnelle dans les ambulances, ont été immergé dans le milieu de l’ESS et des différents acteurs du Vivre Ensemble. En six mois (de janvier à juin 2019) l’expérimentation a permis de sensibiliser plus de 300 citoyens (XIIIe arr.) à la problématique rencontrée par les pompiers (sur-sollicitation) et de diffuser largement l’enjeu du vivre-ensemble. Le projet va pouvoir être repris plus largement par la mairie de Paris.
Comment évaluer un tel projet ? et quel est l’impact de telles initiatives ?
En conclusion, deux facteurs clés de succès ont été relevés :
- La nécessité de penser/d’agir “local” comme l’affirme un partenaire : “C’est l’échelle des relations humaines, au niveau de la cage d’escalier/du quartier, qui compte en premier lieu pour la résilience sociale”. Les franciliens eux-mêmes ont pris conscience de la nécessité d’agir à leur échelle contre l’isolement social : : “Il faut recréer l’ambiance “village” au sein de notre ville”, “instaurer une fraternité de proximité” (…) nous disent-ils.
- L’enjeu de l’éducation permettant d’agir de manière préventive. Cela doit se concrétiser par une approche “multi-acteurs” en tissant par exemple des partenariats avec les écoles et universités, avec les entreprises, etc.
En 2020, le programme du Vivre Ensemble de la BSPP s’étend sur le territoire parisien et renforce ces actions pour continuer d’agir pour lutter contre la sur-sollicitation du 18⁄112 à travers des actions pédagogiques et collaboratives avec les acteurs locaux engagés sur le vivre ensemble : une véritable dynamique de prévention sociale à l’échelle du quartier.