Portfolio — À l’angle de la rue Chaligny et du boulevard Diderot, au cœur du XIIe arrondissement de Paris, se situe l’un des plus anciens et probablement l’un des plus beaux centres de secours de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris.
Superbe, atypique, historique, remarquable ou encore, majestueux : les adjectifs ne manquent pas lorsqu’il s’agit de décrire le centre de secours Chaligny, poste de commandement de la première compagnie du deuxième Groupement d’incendie et de secours (GIS). Sa construction a débuté en 1883, sous l’impulsion du colonel Jean-Gabriel Paris, chef de corps du Régiment de 1879 à 1882, puis de son successeur, le colonel Paul Couston. Le constat du colonel Paris est simple : il faut améliorer les conditions de vie des sapeurs-pompiers de Paris, dont les casernements sont mal adaptés, vieillissants et parfois, insalubres. Il faut également envisager d’installer des chevaux en permanence dans les casernes, pour améliorer le délai de présentation des sapeurs-pompiers sur les lieux des incendies ! En effet, si la traction hippomobile se développe à cette période, les chevaux ne sont pas à demeure dans les centres de secours. Il faut les demander par télégraphe à la Compagnie générale des omnibus (CGO) lorsque les pompiers doivent partir en intervention… La caserne Chaligny, inaugurée le 26 février 1886 par le préfet Eugène Poubelle, devient alors le premier casernement du Régiment à être totalement adapté aux exigences du service incendie hippomobile. Plusieurs casernes seront construites sur son modèle : Ternes, Malar, Plaisance, Montmartre, Auteuil et bien d’autres.
Parmi les éléments remarquables du centre de secours, sa façade. Protégée par ses deux guérites, la devanture du bâtiment est un véritable trésor d’architecture parisienne, avec ses belles pierres de taille en calcaire lutétien et ses nombreux ornements, travaillés dans les moindres détails par l’architecte Georges Roussi. La façade est composée en trois parties. La partie basse est dédiée à l’imposante porte d’entrée du bâtiment. Elle est entourée de deux colonnes et surmontée d’un mascaron sculpté par Louis Oscar Roty, connu pour être l’auteur de La Semeuse. Le fronton de la caserne représente le visage d’une femme, entouré de feuilles de chêne et de laurier, d’un casque à cimier, de cordes, d’une lance, d’un seau et d’une hache. La partie centrale de la façade se distingue par son inscription « sapeurs-pompiers », située au-dessus de six grandes fenêtres disposées sur deux étages. La partie haute complète l’ensemble avec la toiture et trois autres fenêtres richement décorées.
Chaligny en images
Photos : SCH Nicholas Bady et CCH Nicolas Breiner
Construit pour décaler. La revue générale des industries françaises et étrangères, Le Génie Civil, a consacré plus de quatre pages, en avril 1886, au centre de secours Chaligny. Un passage consacré aux remises est tout particulièrement instructif : « Les remises ouvrent directement sur la rue de Chaligny ; c’est celle de la pompe à vapeur qui doit surtout attirer notre attention. Elle contient, pour le service d’incendie, une pompe à vapeur, la voiture porte-tuyaux ; chaque appareil est placé dans l’axe de la baie par où il doit sortir ; il est d’ailleurs facile de circuler autour de chacun d’eux. Derrière ces appareils sont ménagées des stalles pour les chevaux tout harnachés qui, au premier signal, vont se placer d’eux-mêmes aux timons. Quant à la pompe à vapeur, elle peut être mise rapidement en état de fonctionner. Elle est en communication, au moyen d’une tubulure, avec une petite chaudière tubulaire, installée dans le sous-sol de la remise, laquelle est chauffée au gaz et maintenue à une pression de 3 kilogrammes environ. […] Les robinets de raccords d’arrivée et de départ de la tubulure de communication sont ouverts ; seul un robinet placé sur cette tubulure est fermé, il est manœuvré par un déclenchement électrique mis en mouvement en même temps que la sonnerie d’alarme. La chaudière de la pompe peut être ainsi convenablement remplie en 34 secondes. Pendant ce temps, le feu de la chaudière, tout préparé, est allumé, les chevaux, venus aux timons, ont été attelés, les portes se sont ouvertes automatiquement avec la sonnerie d’alarme et, en une minute, la pompe à vapeur est prête à partir, précédée de son dévidoir qui a été préparé en même temps. »
Un centre de secours historique. Aujourd’hui, trois Véhicules de secours et d’assistance aux victimes (VSAV) et un Départ normal (DN) ont remplacé la pompe à vapeur et ses chevaux, mais le centre de secours a conservé son âme de 1886… Les nouvelles tenues de feu rouges, les casques F1-XF et les engins-pompes rutilants contrastent avec les pavés historiques de la remise « incendie » et confèrent au lieu une atmosphère unique, de ces endroits au charme ésotérique que seuls peuvent comprendre les sapeurs-pompiers de Paris les plus sensibles à l’histoire du Corps.
« En résumé, pouvons-nous lire en conclusion de la revue de 1886, la caserne de Chaligny est, dans son ensemble, fort bien réussie. On y trouve tous les perfectionnements qui ont été dictés par les études consciencieuses, poursuivies avec tant d’ardeur par les chefs du corps des sapeurs-pompiers, et, en dernier lieu surtout, par monsieur le colonel Couston et les officiers de son Régiment. De son côté l’architecte, monsieur Roussi, a su réaliser heureusement tous ces perfectionnements en satisfaisant en tous points aux besoins hygiéniques et aux nécessités techniques. » Qu’on se le dise !