#BrigadeInside — Le général Arnaud de Cacqueray a pris ses fonctions début octobre. Comme le veut la tradition d’ALLO 18, nous n’avons pas attendu pour aller à sa rencontre afin d’en savoir davantage sur le chemin qu’il souhaite tracer à la tête de la Brigade.
Mon général, vous venez de prendre le commandement de la Brigade. Quelles sont vos toutes premières impressions ?
D’abord un sentiment de gratitude pour ceux qui m’ont nommé et pour le général de division Dupré la Tour qui a magnifiquement commandé la BSPP, et l’a notamment amenée aux JOP avec le succès que l’on connaît. Il s’agit maintenant d’être à la hauteur et d’avoir une action qui permette la transmission de notre modèle. Et c’est là ma deuxième impression : seul, je ne pourrai pas grand-chose, mais je sais pouvoir compter sur chacun et notamment sur une équipe de commandement de grande qualité. Ma troisième impression, c’est que nous venons de traverser du gros temps depuis 2015, avec cet enchaînement d’attentats de 2015, manifestations des gilets jaunes, feu de la rue Erlanger, feu de Notre-Dame, COVID, manifestations
revendicatives et émeutes urbaines de 2023, préparation de la Coupe du monde de rugby et des JOP. Durant cette période, la BSPP a perdu huit des siens morts au feu et a connu un rythme opérationnel très soutenu. En parallèle, nous faisons le constat d’une forme de déstabilisation géopolitique et nous savons que le budget risque de se contraindre. Et c’est peut-être ma quatrième impression : il faut profiter de l’absence de rendez-vous majeurs de court terme pour mener un travail de fond.
Justement ! À l’issue des épisodes olympiques et paralympiques, quels vont être les prochains défis ?
Je pense que nous en avons deux principaux qui se déclinent, chacun en de multiples actions. Le premier consiste à renforcer nos fondamentaux. Il ne s’agit pas seulement de notre préparation opérationnelle, physique et professionnelle, même si c’est également un sujet, mais plutôt de consolider les éléments qui font la singularité de la BSPP et qui lui donnent sa force. Je les rappelle brièvement : le statut militaire, le positionnement au sein de la préfecture de Police qui fait de nous un partenaire fiable et intégré, l’organisation interdépartementale, le binôme médecin-pompier et la capacité d’innovation. Le second défi est celui de la soutenabilité. Chacune de nos dépenses, quelle que soit la ressource engagée, doit se réfléchir dans sa durée et dans la capacité que nous aurons à remplacer une nouvelle acquisition dans quelques années. Collectivement, nous devons progresser sur la capacité à réfléchir dans une logique de besoins et non dans une logique de moyens.
Dans votre premier ordre du jour, vous évoquez « le trésor d’héroïsme et la générosité discrète ». Où doit se situer le sapeur-pompier de Paris d’aujourd’hui ?
C’est une belle question. Notre métier est de protéger les personnes et les biens. Notre mission est donc de saisir la main qui se tend et d’apporter le soin d’urgence ou de mettre en œuvre l’action immédiate que la situation requiert. Nous sommes là pour sauver des vies et permettre la continuation de la vie après l’accident, la maladie ou le sinistre. Mais si on parle de manière plus abstraite, le sapeur-pompier de Paris ne connaît d’autre place que la première, comme le rappelait le général Dupré la Tour. Pourquoi cette affirmation ? Parce que le sapeur-pompier militaire est à la fois le secours de premier ordre, et le dernier recours de l’État, c’est à la fois une ambition bien placée et un juste retour vers nos contributeurs. Le dévouement et le savoir-faire de la Brigade doivent être des facteurs de résilience pour Paris et pour notre pays.
Maintenant que l’école des sapeurs-pompiers de Paris a pris sa vitesse de croisière, qu’en attendez-vous ?
J’attends de cette école qu’elle forme des sapeurspompiers de Paris, compétents, audacieux, innovants, déterminés et obsédés par l’idée de sauver des vies. Nous avons consenti des investissements importants pour la faire passer au XXIe siècle. Elle dispose d’infrastructures militaires, qui ne sont pas encore achevées, et d’un encadrement de très grande qualité. Je sais que chacun donne le meilleur pour cette formation qui doit être simple, rustique et comporter une dimension éthique qui aide chacun à grandir.
Sur quels points la Brigade est-elle perfectible dans l’immédiat ?
Je me suis exprimé sur ce sujet lors du séminaire de rentrée et ma réponse peut paraître austère. Nous avons des cadres de grande qualité, généreux et passionnés. Tous font preuve d’un attachement très fort à notre Institution. Mais nous devons savoir nous remettre en question, améliorer l’exercice de l’autorité, accentuer notre travail de préparation opérationnelle sur les premières phases de la marche générale des opérations, apprendre à contrôler en service intérieur pour construire une relation de confiance, mieux raisonner nos besoins, développer le fonctionnement des PCTAC face à la notion de haute intensité… Bref, les chantiers ne manquent pas !
Et à moyen terme ?
Là aussi, les enjeux sont connus. Nous devons raisonner dans une logique de développement durable en apprenant à composer avec la rareté de la ressource. Nous devons également faire face aux défis d’une société qui s’est profondément transformée et qui transforme également encore son cadre de vie, à la fois pour rester attractifs, mais également pour faire face. Notre force est dans notre capacité d’adaptation et d’appréhension des futurs.
Même si le budget de la BSPP est abondé par les collectivités locales et le ministère de l’Intérieur, nous entrons dans une phase de réduction des budgets de fonctionnement des institutions. Pensez-vous qu’il y aura un impact pour la Brigade ?
La construction budgétaire de la Brigade est encadrée par le code général des collectivités territoriales. Ce dernier définit que « l’État participe à hauteur de 25% des dépenses courantes de fonctionnement, hors entretien du casernement ». L’État finance donc un quart de la masse salariale, de l’alimentation du personnel, de ses petits équipements de vie courante, du carburant et des pièces détachées des véhicules, etc. Les trois autres contributeurs sont les trois départements, les 123 communes de la petite couronne, et la ville de Paris. La Brigade doit faire preuve de responsabilité face aux économies que le budget de l’État exige. Le plan de modernisation, et certains recrutements qui vont avec, a donc été suspendu cette année et des dépenses importantes de personnels ont été prises sur notre ressource propre. L’impact sera d’autant plus modéré que nous allons continuer à travailler en recherchant des économies simples et en priorisant mieux nos besoins. Pour autant, ce qui peut se comprendre ponctuellement ne peut s’inscrire dans la durée. Notre modèle est particulièrement vertueux et économique et il a besoin de son plan de modernisation pour rester attractif.
Quels sont les leviers pour garder une certaine attractivité auprès des jeunes ?
Rappelons d’abord que la Brigade est attractive ! Plus de 1 000 jeunes enfilent chaque année notre uniforme. Ensuite, revenons à ce qui a motivé un grand nombre d’entre nous à servir à la BSPP : un métier, un idéal, du sport ! Quand on dit à un jeune qu’il va sauver des vies dans des conditions parfois dangereuses et qu’il va faire un métier difficile, alors on touche aux cordes les plus sensibles qui font vibrer son être. On l’invite à s’engager pour un idéal qui le transcende, on lui donne des modèles comme le sergent-chef Paul Durin, on lui propose un encadrement qu’il n’a pas connu et auquel il aspire. Le reste, solde, logement… est matériel. Si nous avons de bons chefs, nous remplirons nos camions. Sans concours, sans discrimination, sans routine, sans préjugés et sans distinction.
LE SAPEUR-POMPIER MILITAIRE EST À LA FOIS LE SECOURS DE PREMIER ORDRE, ET LE DERNIER RECOURS DE L’ÉTAT
Quelle place doivent avoir les anciens ?
Dans nos cœurs et nos prises d’armes, ils doivent avoir la première. Ils sont le pont avec notre histoire, avec notre mémoire et aujourd’hui ils consacrent leur énergie au recrutement. J’ai une grande amitié pour chacun.
Et l’ADOSSPP ?
Comme le GNASPP, l’ADOSSPP joue un rôle essentiel bien équilibré entre un volet social et un volet loisirs. Je les connais bien désormais et il faut avoir assisté à un week-end « Rencontrons-nous » pour comprendre la beauté de leur engagement. Ils ont des ambitions qu’ils présentent dans un plan d’orientation stratégique et ils savent que je suis impatient d’en voir les fruits. Vous ne m’avez pas questionné sur d’autres associations, comme
l’ASASPP, le Musée et l’Armure (association pour la recherche en médecine d’urgence). Chacune joue son rôle et donne de la force à la Brigade. Nous en avons profondément besoin.
Comment imaginez-vous la Brigade en 2034 ?
J’espère encore avec vous, mon cher Harry ! Je l’imagine avec des visages différents, dont je connais encore certains, mais des qualités intactes. Je l’imagine comme aujourd’hui, toujours pressée, toujours prête, parfois inquiète. Je l’imagine bien commandée, affrontant avec sérénité et humilité des défis nouveaux. Et je l’imagine ainsi en 2134 car ses valeurs sont intemporelles.
Commander la Brigade est à la fois une consécration et la fin d’un « chemin pompier ». Comment vivez-vous cette ambivalence ?
Commander la Brigade n’est pas une consécration. Ou alors, je ne perçois pas le sens de ce mot, même si dans votre esprit il s’agit d’une forme d’aboutissement. Je ne me pose pas ce genre de questions. Commander, que ce soit la Brigade ou une garde, un agrès ou une remise, un groupement ou une compagnie, est d’abord un acte de générosité qui vise à ordonner notre action vers un bien commun. Je ne vois pas ici d’ambivalence. Mais au
contraire, une grande cohérence. Celle de l’unité qui se met au service du tout. Je tenterai donc de jouer mon rôle à un moment, comme chacun d’entre nous.