#BrigadeInside — Savoir dessiner, c’est savoir observer. Et René Dosne s’est servi de cette qualité pour passer du dessin d’enfant au croquis opérationnel. Depuis plus de cinquante ans, à la BSPP, comme dans d’autres corps de sapeurs-pompiers, lors des grands feux, le point de vue du dessinateur opérationnel est devenu indispensable.
L’œil d’un bleu profond pétille. La moustache frémit légèrement. L’habituel sourire est bien là. Le costume est impeccablement en place. Nous pouvons commencer l’interview.
On pourrait se contenter de cette description pour que de nombreux pompiers de Paris reconnaissent René Dosne. Sa grande silhouette a traîné sur les plus importantes interventions de la BSPP depuis les années soixante. Autant dire qu’il en a croisé des sapeurs-pompiers…
De sa passion d’enfant pour les camions rouges, il a créé un métier désormais incontournable lors des feux de grandes ampleurs puisqu’il permet au commandant des opérations de secours (COS) de visualiser les bâtiments, les accès et les structures dans leur globalité. Mais surtout vu d’un œil pompier. « Le dessinateur opérationnel ne dessine pas ce qu’il voit, mais ce qui est utile de voir » souligne-t-il lui-même.
Du feu d’entrepôt aux interventions majeures, la qualité du dessin opérationnel est plus technique qu’artistique. Elle peut s’avérer décisive, quand elle permet de gagner du temps ou de signaler les points particuliers de la structure. Un travail qui oblige à faire le tour du feu, à aller au plus près des porte-lances, et effectuer quelques repérages à l’intérieur quand cela est possible. Ensuite, il faut réaliser un croquis opérationnel qui peut paraître succinct à première vue, mais qui en réalité, donne énormément de renseignements précieux au moment de prendre des décisions tactiques. Tout ça, dans les plus brefs délais.
Dans le cadre de certaines interventions majeures, le dessinateur opérationnel va, à partir de ce croquis de base, le retravailler pour livrer une sorte résumé visuel de l’action. Un document qui servira tant pour les Retex que pour la postérité. Le genre d’illustrations que vous pouvez apprécier dans tous les numéros d’ALLO DIX-HUIT.
Pendant plus de trente ans, René fut un électron libre dans l’organisation générale de la BSPP. Plus ou moins sous la casquette d’ALLO DIX-HUIT, il a œuvré au milieu des engins, au plus près de l’action, armé d’un crayon et d’un bloc, casque sur la tête et cuir sur les épaules, sans avoir ni statut, ni relation d’emploi avec l’Institution. Détail cocasse quand on connaît la rigueur militaire du Corps.
Néanmoins, à chaque intervention d’ampleur, il est prévenu et il se rend le plus vite possible sur les lieux. Dans ces débuts, notre dessinateur n’avait ni téléphone personnel, ni voiture. Son point de contact se situait au café en bas de chez lui. Pour le joindre en pleine nuit, l’opérateur laissait l’adresse du sinistre au cafetier qui appelait René à travers la cour réveillant en même temps la quasi-totalité de l’immeuble. Et hop, en tenue de feu, il sautait dans un taxi vers de nouveaux croquis.
Au fur et à mesure des expériences, il a développé une sorte de grammaire du dessin opérationnel en mélangeant le croquis basique avec une maîtrise des volumes à respecter pour que l’ensemble soit utile au COS. Une vue d’ensemble transparente qu’aucun matériel ne peut fournir. Mais si René Dosne reste modeste sur le sujet, il n’en faut pas moins une expérience considérable et une agilité d’esprit pour recouper toutes les observations pour les compiler sur un croquis efficace. Sens des fumées, emplacement des flammes, dégradations des bâtiments, tout peut être primordial à condition de savoir observer scrupuleusement. Dans son tour du feu, quand le COS décèle les détails importants, le dessinateur opérationnel, lui, les enregistre à main levée pour réaliser une vue globale le plus rapidement possible.
Au fil des années, le dessin opérationnel de René est devenu tellement essentiel, que le général Prieur formule la question de la pérennisation de la technique et de la méthode. En 2009, le LCL Dosne (désormais réserviste) commence à former d’autres dessinateurs à sa technique. Le savoir-faire s’exporte même en dehors de la BSPP, puisqu’il n’est pas rare de voir René dispenser des formations dans les SDIS, qui ont vite perçu l’intérêt opérationnel, surtout dans les milieux urbains les plus dense.
Si René a également fait évoluer ses outils au fil des années et des mutations techniques. Du feutre au dessin sur ordinateur, puis avec les logiciels de 3D, il est aujourd’hui dans la course à la réalité virtuelle. Avec l’appui de ses fils, il s’est servi de son expérience pour digitaliser les locaux de quelques bâtiments aussi symboliques que la tour Société Générale à La Défense. Cette technique permet de visualiser les accès intérieurs, les points d’eau, les cheminements, directement sur une tablette informatique du pied de l’immeuble. Nous sommes bien au XXIe siècle.
Autre talent du lieutenant-colonel de réserve Dosne, la bande-dessinée Flammèche et Cornofeu qui anime l’antépénultième page de notre magazine papier. Une tradition.
Pour l’ensemble de son œuvre, René a été élevé au rang de Chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur par le général de division Jean-Claude Gallet, lors de la cérémonie du 18 septembre 2019. Un moment très émouvant pour deux hommes qui se connaissent et s’apprécient depuis de nombreuses années, ou plutôt, depuis de nombreuses interventions.