PREMIER-SECOURS NIVEAU EXPERT : La traque de la dissection aortique

MP Elise Bra­mi —  — Modi­fiée le 25 juillet 2024 à 09 h 08 

Les experts BSPP — Pathologie des plus complexes, la dissection aortique est peu fréquente, mais elle est aussi redoutable pour la victime que pour le secouriste. Découvrez pourquoi…

Tous les chefs d’agrès sur engin, tous les méde­cins sur ambu­lance de réani­ma­tion (AR) ou en coor­di­na­tion, tous les opé­ra­teurs de la coor­di­na­tion médi­cale en témoignent. Quand on diag­nos­tique une dis­sec­tion aor­tique, on s’en sou­vient toute sa vie. On s’auto-congratule, à juste titre, d’avoir un super ins­tinct pour y avoir pen­sé. Quand on loupe une dis­sec­tion aor­tique, on s’en sou­vient aus­si toute sa vie. Car les suites sont sou­vent bru­tales et dramatiques.

Pour­quoi la dis­sec­tion aor­tique est si mar­quante en pré­hos­pi­ta­lier ? L’équation est simple :

Épi­dé­mio­lo­gie

La dis­sec­tion aor­tique reste une mala­die peu fré­quente (< 2% des urgences car­dio­vas­cu­laires pré­hos­pi­ta­lières), mais pro­ba­ble­ment sous-esti­mée car dif­fi­cile à diag­nos­ti­quer. Elle est esti­mée à envi­ron 10 cas pour 100 000 personnes.

Les fac­teurs de risques de dis­sec­tion aor­tique sont les mêmes que les fac­teurs de risques car­dio-vas­cu­laires : hyper­ten­sion arté­rielle, dia­bète, dys­li­pi­dé­mie, taba­gisme, héré­di­té coro­na­rienne, sexe mas­cu­lin. Il existe d’autres fac­teurs de risques, notam­ment les fac­teurs qui modi­fient et fra­gi­lisent au long cours la struc­ture de l’aorte comme la pré­exis­tence d’un ané­vrisme de l’aorte, les mala­dies de la valve aor­tique, les mala­dies inflam­ma­toires chro­niques des artères, ou encore une mala­die du tis­su conjonc­tif des artères comme le syn­drome de Marfan.

Phy­sio­pa­tho­lo­gie :

L’aorte est le vais­seau prin­ci­pal du corps humain. Elle part du cœur et donne nais­sance à plu­sieurs vais­seaux ame­nant l’oxygène à chaque par­tie du corps. Comme tous les vais­seaux, la paroi de l’aorte est com­po­sée de trois couches (interne, moyenne et extérieure).

Lorsque la couche interne de l’aorte se rompt sur une zone de fra­gi­li­té (liée à l’athérosclérose ou à des mala­dies vas­cu­laires pré­exis­tantes), le sang pénètre entre les couches internes et moyennes. Il pro­voque ain­si une déchi­rure due à la pres­sion san­guine (sou­vent asso­ciée à une forte pous­sée hyper­ten­sive). Cette déchi­rure s’appelle la dis­sec­tion aortique.

On dis­tingue deux types de dis­sec­tions en fonc­tion de la localisation :

  • Les dis­sec­tions de la par­tie ascen­dante de l’aorte (enga­geant le pro­nos­tic vital) ;
  • Les dis­sec­tions de la par­tie des­cen­dante de l’aorte.

En fonc­tion de la loca­li­sa­tion de la dis­sec­tion et des vais­seaux tou­chés, les symp­tômes peuvent être dif­fé­rents, et c’est cela qui rend le diag­nos­tic dif­fi­cile à poser.

Source : BSP 200.2

Tableau cli­nique

En méde­cine, et sur­tout avec la dis­sec­tion aor­tique, il n’existe pas de tableau cli­nique « par­fait », où la pré­sen­ta­tion est typique. Seul un fais­ceau d’arguments amène le méde­cin à sus­pec­ter une dis­sec­tion aortique.

Comme dans beau­coup de diag­nos­tics, le méde­cin pèse le pour et le contre en faveur d’une dis­sec­tion aor­tique lors d’un bilan à la coor­di­na­tion ou sur ambu­lance de réani­ma­tion. Il prend alors une déci­sion diag­nos­tique et thérapeutique.

Plu­sieurs signes sont plus fré­quem­ment observés.

  • Une dou­leur tho­ra­cique vio­lente et bru­tale, pou­vant se dépla­cer vers les régions abdo­mi­nales et dor­so-lom­baires, à type de déchi­rure ou de coup de poignard.
  • Malaise avec ou sans perte de connais­sance, sen­sa­tion de mort imminente.
  • Signes de mau­vaise tolé­rance cir­cu­la­toire : hypo­ten­sion arté­rielle, tachy­car­die, sueurs, pâleur, mar­brures, temps de reco­lo­ra­tion > 3s.
  • Signes de mau­vaise tolé­rance res­pi­ra­toire : signes de lutte res­pi­ra­toire, désa­tu­ra­tion, polypnée.

Si la dis­sec­tion s’étend aux autres vais­seaux, le patient peut pré­sen­ter des symp­tômes mul­tiples en fonc­tion des artères et des ter­ri­toires touchés.

Il peut pré­sen­ter par exemple, une asy­mé­trie ten­sion­nelle entre les deux bras ou bien une dimi­nu­tion voire une abo­li­tion d’au moins un pouls péri­phé­rique (radial ou pédieux).

Si la dis­sec­tion touche les vais­seaux de la tête, les signes neu­ro­lo­giques d’AVC, cépha­lées et troubles de la conscience, pour­ront aller jusqu’au coma.

S’il s’agit des vais­seaux des membres, les signes d’ischémie d’un membre (membre froid, moins colo­ré et sans pouls) seront un fac­teur d’inquiétude.

Dans le cas des vais­seaux du cœur, le tableau d’infarctus avec signes à l’ECG, dans celui des vais­seaux lom­baires, le tableau de para­plé­gie des deux membres infé­rieurs et pour les vais­seaux abdo­mi­naux, dou­leurs abdo­mi­nales intenses, troubles du tran­sit, hémor­ra­gie abdo­mi­nale exté­rio­ri­sée seront autant de critères.

Une dis­sec­tion aor­tique peut aus­si être res­pon­sable d’un arrêt car­dio­res­pi­ra­toire d’emblée.

Source : BSP 200.2

Diag­nos­tic

Le diag­nos­tic est radio­lo­gique, c’est-à-dire que seule une ima­ge­rie peut poser spé­ci­fi­que­ment le diag­nos­tic de dis­sec­tion aor­tique. Cette ima­ge­rie spé­ci­fique est un scan­ner de l’aorte.

https://www.resuval.com/wp-content/uploads/2019/11/PMU-2012 – 5‑SAACPmai2012.01.pdf

Sur ambu­lance de réani­ma­tion, on peut sus­pec­ter une dis­sec­tion sur les élé­ments cli­niques, et éga­le­ment sur l’échographie faite au lit du patient sur inter­ven­tion. On recherche essen­tiel­le­ment un épan­che­ment péri­car­dique, c’est-à-dire du liquide dans le péri­carde (enve­loppe conte­nant le cœur et qui est nor­ma­le­ment vide).

Source : https://www.action-groupe.org

En cas de dis­sec­tion de l’aorte ascen­dante, cette enve­loppe se rem­plit de sang, et est visible à l’échographie. C’est un signe qui indique que le cœur est en train de souf­frir et qu’il a du mal à se contrac­ter. C’est pour cette rai­son que les équipes doivent aller vite au scan­ner afin de poser le diag­nos­tic et situer la dissection.

Par­fois, quand la sus­pi­cion est forte et que le patient est trop instable pour tenir sur une table de scan­ner, on l’emmène direc­te­ment au bloc opé­ra­toire pour un trai­te­ment chi­rur­gi­cal en urgence.

Trai­te­ment d’une dis­sec­tion aortique

Le trai­te­ment de la majo­ri­té des dis­sec­tions aor­tiques est chi­rur­gi­cal, d’où la néces­si­té d’amener, au plus vite, le patient dans un bloc opé­ra­toire adapté.

Dans un pre­mier temps en pré­hos­pi­ta­lier, on s’efforcera de sta­bi­li­ser rapi­de­ment le patient, de trai­ter une hyper­ten­sion qui pour­rait majo­rer la dis­sec­tion, et de sou­la­ger la dou­leur. Puis, une fois le patient ame­né au bloc opé­ra­toire, le trai­te­ment spé­ci­fique consiste à rem­pla­cer la par­tie de l’aorte endom­ma­gée par une pro­thèse lors d’une chi­rur­gie sous cir­cu­la­tion extra-corporelle.

https://www.chirvtt.fr/chirurgie-vaisseaux/traitement-endoprothese-aaot

Par­fois, quand le patient est extrê­me­ment instable, voire en arrêt car­dio-res­pi­ra­toire, le der­nier geste de sau­ve­tage ultime pos­sible est de ponc­tion­ner le liquide accu­mu­lé dans le péri­carde à l’aide d’une aiguille, afin que le cœur puisse retrou­ver une contrac­ti­li­té effi­cace. Ce geste reste excep­tion­nel en préhospitalier.

https://www.resuval.com/wp-content/uploads/2019/11/PMU-2012 – 5‑SAACPmai2012.01.pdf

Et en prompts secours, com­ment ça se passe ?

Le plus sou­vent, l’ordre de départ est édi­té pour dou­leur tho­ra­cique ou malaise, plus rare­ment pour sus­pi­cion de dis­sec­tion tho­ra­cique. Les élé­ments récu­pé­rés lors du bilan sont essen­tiels pour l’opérateur et le méde­cin coordinateur.

Par­fois le pri­mo-inter­ve­nant donne le diag­nos­tic de lui-même, ou bien le méde­cin l’évoque sur les élé­ments rapportés. 

Le méde­cin peut alors deman­der des élé­ments com­plé­men­taires pour pou­voir étof­fer sa sus­pi­cion : une ten­sion arté­rielle aux deux bras, la recherche des quatre pouls, une carac­té­ri­sa­tion pré­cise de la dou­leur, la pré­sence de signes de mau­vaise tolé­rance, la réa­li­sa­tion d’un ECG, …

L’instinct joue aus­si beau­coup. Il n’existe pas de tableau cli­nique par­fait d’une dis­sec­tion aor­tique. Quand vous ne « sen­tez pas un patient », par­ta­gez vos impres­sions avec l’opérateur ou le méde­cin coor­di­na­teur. Y pen­sez, c’est déjà une grande par­tie du tra­vail de réflexion qui est faite.