PREVENTION — Concilier sûreté et sécurité incendie

Concilier sureté et sécurité

Perspectives — Qu’il s’agisse de grands incendies ou d’actes terroristes, l’émotion du pays est telle que les pouvoirs publics se doivent de réagir pour mettre en œuvre des réglementations qui ne sont pas toujours compatibles entre elles. Le bureau Prévention de la BSPP revient en détails sur cette recherche de compatibilité.

La rédac­tion Allo18 —  — Modi­fiée le 21 juillet 2024 à 09 h 42 

Les évè­ne­ments meur­triers des cin­quante der­nières années, qu’il s’agisse d’incendies comme celui de la dis­co­thèque du 5 – 7 en 1970 ou du Cuba Libre à Rouen en 2016 ou d’actes mal­veillants comme les atten­tats du 13 novembre 2015 à Paris, ont pro­vo­qué de vifs émois et ame­né l’Etat à, soit amen­der les textes régle­men­taires exis­tants notam­ment en sécu­ri­té incen­die, soit enga­ger des réflexions nou­velles sur les mesures pou­vant être mises en œuvre pour faire face aux risques per­çus, par­ti­cu­liè­re­ment en matière de sûre­té. Les atten­tats des trois der­nières années ont renou­ve­lé une conscience de la menace ter­ro­riste qui a logi­que­ment relé­gué la sécu­ri­té incen­die au second plan et a inci­té les élus, les maîtres d’ouvrage et les exploi­tants à rééva­luer leurs inves­tis­se­ments. Mais les incen­dies récents, d’abord de la Tour Gren­fell puis de la rue Erlan­ger à Paris, ont rame­né les pré­oc­cu­pa­tions liées à la sécu­ri­té incen­die sur le devant de la scène.

Le risque malveillant reste évolutif

Depuis 2015, les études de sécu­ri­té publique, ren­dues obli­ga­toires pour cer­tains pro­jets en appli­ca­tion de la loi du 5 mars 2007, ont connu un essor sans pré­cé­dent. Réa­li­sées par des socié­tés spé­cia­li­sées, elles pro­posent des mesures de bon sens, rele­vant de bonnes pra­tiques recon­nues mais qui ne s’appuient pas sur des dis­po­si­tions régle­men­taires éta­blies. Ces mesures, par­fois inno­vantes, peuvent être per­çues comme s’opposant aux objec­tifs fixés par les règle­ments de sécu­ri­té incen­die. Il est en effet aisé, de prime abord, de faire s’affronter les prin­cipes d’évacuation et de confi­ne­ment, de manœuvre simple des issues et de contrôle d’accès, etc. Pour­tant, la sûre­té et la sécu­ri­té incen­die répondent au même objec­tif, celui de la pro­tec­tion des per­sonnes et des biens.

Les deux domaines font l’objet d’une pré­oc­cu­pa­tion ancienne mais alors que le risque d’incendie relève de phé­no­mènes aujourd’hui connus et maî­tri­sés, et que leur trai­te­ment s’appuie sur des règle­ments de sécu­ri­té à l’efficacité recon­nue, le risque mal­veillant reste évo­lu­tif, ses enjeux sont en pleine expan­sion et ses moda­li­tés de trai­te­ment se basent prin­ci­pa­le­ment sur des guides de bonne pra­tiques. Si pen­dant des années, les deux domaines ont été oppo­sés avec tant de faci­li­té s’est parce qu’ils se déve­lop­paient cha­cun de leur côté avec des inter­ac­tions ponc­tuelles, sou­vent conflic­tuelles, mais sans véri­table inté­gra­tion. Cette prise en compte des enjeux de sûre­té et de sécu­ri­té incen­die dans une démarche de recherche d’une sécu­ri­té glo­bale consti­tue le chal­lenge des pro­chaines années.

Les prise en compte des deux domaines a tou­jours été un véri­table enjeu mais si les incen­dies relèvent de phé­no­mènes phy­siques par­fai­te­ment connus et maî­tri­sés, les actes mal­veillants sont pro­téi­formes et en constante évo­lu­tion. Leur ana­lyse et leur trai­te­ment reposent néan­moins sur des prin­cipes communs.

Les incen­dies relèvent de phé­no­mènes phy­siques constants qui ont été très tôt obser­vés, étu­diés et théo­ri­sés ; non seule­ment pour se pré­mu­nir du dan­ger qu’ils repré­sentent mais éga­le­ment pour l’usage qu’il a pu être fait du feu dans l’histoire. Bien que son éclo­sion puisse avoir de nom­breuses causes, c’est le mode de déve­lop­pe­ment chro­no­lo­gique de l’incendie (éclo­sion, déve­lop­pe­ment, pro­pa­ga­tion) rele­vant de don­nées phy­siques immuables qui a per­mis de défi­nir effi­ca­ce­ment les actions qui pou­vaient être menées pour le com­battre. De la même manière, se pré­mu­nir d’une agres­sion ou d’un vol, est une pré­oc­cu­pa­tion ancienne mais la diver­si­té des actes mal­veillants, tant en ce qui concerne l’agresseur, que ses moti­va­tions, ses objec­tifs et la constante adap­ta­tion des modes d’action aux mesures oppo­sées, n’a pas per­mis de par­fai­te­ment défi­nir toutes les facettes de ce risque ni de le théo­ri­ser afin de le contrer efficacement.

Identifier les cibles potentielles

Mal­gré cette dif­fé­rence intrin­sèque, les démarches pour ana­ly­ser une situa­tion dans les deux domaines sont simi­laires et les deux risques peuvent être étu­diés avec des méthodes d’analyse de risques iden­tiques, notam­ment dans le cadre de la pro­tec­tion de sites ou de bâti­ments. Les méthodes actuelles d’analyse de risque se sont déve­lop­pées à par­tir des années 40 et ne cessent de se per­fec­tion­ner. Aujourd’hui nom­breuses, elles se déclinent en modèles déter­mi­nistes, pro­ba­bi­listes ou intui­tifs et sont plus ou moins adap­tées aux domaines de la sécu­ri­té incen­die et de la sûre­té. Elles sont éga­le­ment plus ou moins com­plexes à mettre en œuvre et plus ou moins faciles d’accès. Mais cer­taines d’entre elles sont adap­tables aux deux domaines. Ces der­nières sont majo­ri­tai­re­ment déter­mi­nistes et s’organisent toutes selon le même sché­ma qui com­mence par une ana­lyse de la situa­tion exis­tante, sous la forme d’un état des lieux pré­sen­tant l’entité à pro­té­ger sous ses dif­fé­rents aspects. Elles se pour­suivent par une iden­ti­fi­ca­tion des cibles poten­tielles au sein de l’entité à pro­té­ger et des dan­gers qu’elle abrite ou qui se trouvent dans son envi­ron­ne­ment. Elles se ter­minent enfin par une ana­lyse des ren­contres pos­sibles entre dan­gers et cibles et par une hié­rar­chi­sa­tion des vul­né­ra­bi­li­tés iden­ti­fiées afin de prio­ri­ser leur prise en compte.

Les résul­tats de ces ana­lyses amènent à la réa­li­sa­tion de « plans de trai­te­ment » pour réduire les risques iden­ti­fiés, ces plans peuvent éga­le­ment être conduits de manière simi­laire dans les deux domaines même si les objec­tifs atten­dus ne sont pas tout à fait com­pa­rables. En effet, dans le domaine de l’incendie, il est pos­sible de mesu­rer concrè­te­ment l’impact des mesures mises en œuvre tant sur les pro­ba­bi­li­tés d’éclosion d’un feu que sur sa gra­vi­té envi­sa­geable après limi­ta­tion de ses pos­si­bi­li­tés de déve­lop­pe­ment ou de pro­pa­ga­tion. Les dis­po­si­tions tant construc­tives que tech­niques et orga­ni­sa­tion­nelles qui amènent à un niveau de sécu­ri­té jugé accep­table sont connues, par­fai­te­ment maî­tri­sées et sont trans­po­sables à des enti­tés dont la des­ti­na­tion ou les carac­té­ris­tiques archi­tec­tu­rales sont simi­laires. Le risque ne peut pas être tota­le­ment sup­pri­mé pas mais il peut être effi­ca­ce­ment mini­mi­sé. Dans le domaine de la sûre­té, bien que les bonnes pra­tiques iden­ti­fiées soient trans­po­sables dans dif­fé­rents types de bâti­ments, la défi­ni­tion d’un niveau de sûre­té accep­table est plus déli­cate. La nature même du risque rend sa maî­trise aléa­toire et ne per­met pas de se pré­mu­nir d’un évè­ne­ment majeur avec autant de garan­ties qu’en sécu­ri­té incen­die. Il est pos­sible de consi­dé­rer qu’en sécu­ri­té incen­die les objec­tifs prin­ci­paux sont de réduire l’occurrence des phé­no­mènes non sou­hai­tés et leur gra­vi­té tout en pré­pa­rant la lutte contre le sinistre alors qu’en sûre­té les objec­tifs prin­ci­paux sont de dis­sua­der les auteurs d’acte mal­veillants, d’être capable de détec­ter la pré­pa­ra­tion de tels actes et de défi­nir des modes de réaction.

Ain­si, bien que la sécu­ri­té incen­die et la sûre­té soient des pré­oc­cu­pa­tions par­ta­gées par tous, elles relèvent de dyna­miques tota­le­ment dis­tinctes, mais peuvent être appré­hen­dées par le biais des mêmes outils d’analyse et de trai­te­ment. Néan­moins, les niveaux de maî­trise du risque dans les deux domaines ne sont pas com­pa­rables et cela explique leur dif­fé­rence de trai­te­ment sur les plans régle­men­taires et doctrinal.

Ces dispositions ne s’appuient pas sur des règlements mais sur l’expérience

Le carac­tère phy­sique appré­hen­dable de l’incendie a per­mis de défi­nir dans dif­fé­rents règle­ments des bar­rières de pré­ven­tion, de pro­tec­tion et de pré­vi­sion capables, dans la majo­ri­té des situa­tions, de réduire effi­ca­ce­ment le risque. Le carac­tère nébu­leux de l’acte mal­veillant et ses mul­tiples facettes n’ont pas per­mis de réa­li­ser la même démarche en matière de sûreté.

Sur les plans régle­men­taire et doc­tri­nal, la prise en compte des dif­fé­rents risques dépend tou­jours de l’importance qui leur est don­née et de l’attention que leur portent les ins­tances de l’Etat. Les incen­dies ont tou­jours mar­qué les esprits, comme le grand incen­die de Rome en 64 qui a fait de Néron l’un des plus grands incen­diaires de l’histoire dans l’imaginaire col­lec­tif, et ont ame­né les élus comme tout un cha­cun à se pré­oc­cu­per de ce risque de manière à s’en pré­mu­nir. Ces der­nières années, par­mi les sinistres les plus mar­quants ayant entraî­né réac­tion impor­tante, il est pos­sible de citer l’incendie de l’hôtel Paris-Opé­ra en 2005 qui a relan­cé les démarches d’amélioration du niveau de sécu­ri­té des petits-hôtels via des dos­siers de mise en sécu­ri­té (arrê­té du 24 juillet 2006, qui reprend glo­ba­le­ment les dis­po­si­tions de deux arrê­tés anté­rieurs de 1976 et de 1990). En habi­ta­tion éga­le­ment, l’incendie de la tour Gren­fell a ame­né les auto­ri­tés à pro­po­ser de nou­velles dis­po­si­tions pour le trai­te­ment des façades et une modi­fi­ca­tion de l’arrêté du 31 jan­vier 1986 est en cours d’élaboration. En matière de sûre­té, ce sont bien sûr les der­niers atten­tats qui ont don­né une nou­velle impul­sion à la réflexion sur le sujet. Les études de sécu­ri­té publique ont été ren­dues obli­ga­toires en 2007, dans les agglo­mé­ra­tions de plus de 100 000 habi­tants, pour des bâti­ments en fonc­tion de leur taille (> 70 000 m²) ou de leur des­ti­na­tion (notam­ment pour tous les éta­blis­se­ments rece­vant du public de 1ère ou 2e caté­go­rie). Mais ces études, ne font que recen­ser des dis­po­si­tions per­met­tant de prendre en compte les prin­ci­paux risques mal­veillants iden­ti­fiés pour un éta­blis­se­ment dans son envi­ron­ne­ment. Ces dis­po­si­tions ne s’appuient pas sur des règle­ments mais sur l’expérience de ceux qui les pro­posent et notam­ment sur des guides de bonnes pra­tiques réa­li­sés pour la plu­part sous cou­vert du secré­ta­riat géné­ral de la défense et de la sécu­ri­té natio­nale (SGDSN) et de dif­fé­rents ministères.

Le non-respect des dispositions initialement proposées n’entraine pas de conséquences administratives

Les règle­ments de sécu­ri­té incen­die sont d’application obli­ga­toire pour les construc­tion neuves et pour les tra­vaux réa­li­sés dans des bâti­ments exis­tants. Les dis­po­si­tions qui s’y trouvent exi­gées sont répu­tées confé­rer un niveau de sécu­ri­té contre l’incendie jugé accep­table. Il n’existe néan­moins pas de rétro­ac­ti­vi­té des textes même si des dos­siers d’amélioration du niveau de sécu­ri­té ont été exi­gés dans des cas par­ti­cu­liers comme pour les petits hôtels en 2006 ou sug­gé­rés comme pour les immeubles de grande hau­teur d’habitation (cir­cu­laire NOR/​INT/​E/​08/​00154/​C de 2008). Outre cette non rétro­ac­ti­vi­té des textes, il est impor­tant de rele­ver que la sécu­ri­té incen­die n’est pas trai­tée de manière uni­forme dans tous les types de bâti­ments (ERP, habi­ta­tion, IGH, bâti­ments rele­vant du code du tra­vail, etc.). Si cela peut se com­prendre par les par­ti­cu­la­ri­tés archi­tec­tu­rales de cer­tains bâti­ments comme les IGH, le fait que les parcs de sta­tion­ne­ment relèvent de trois arrê­tés en fonc­tion de leur usage (cir­cu­laire du 3 mars 1975 pour les bâti­ments accueillant des tra­vailleurs, arrê­té du 31 jan­vier 1986 pour les bâti­ments d’habitation et arrê­té du 9 mai 2006 pour les ERP et les IGH) peut lais­ser per­plexe. En matière de sûre­té, les guides publiés par les dif­fé­rents minis­tères sont un outil à des­ti­na­tion des por­teurs de pro­jets et des direc­teurs ou exploi­tants d’établissements. Même en cas de réa­li­sa­tion d’une étude de sécu­ri­té publique, le non-res­pect des dis­po­si­tions ini­tia­le­ment pro­po­sées n’entraine pas de consé­quences admi­nis­tra­tives. La mise en œuvre de mesures de sûre­té relève du seul bon vou­loir du res­pon­sable de l’établissement qui appré­cie si elles sont néces­saires, per­ti­nentes ou si elles ne le sont pas. Ce qui est com­pré­hen­sible compte tenu du carac­tère dif­fi­ci­le­ment maî­tri­sable du risque.

Cette pleine res­pon­sa­bi­li­sa­tion du direc­teur d’un éta­blis­se­ment en matière de sûre­té, à tra­vers des guides qui offrent des pistes de réflexions sur les actions pou­vant être menées, s’inscrit d’ailleurs dans un contexte de res­pon­sa­bi­li­sa­tion ren­for­cée des dif­fé­rents acteurs d’un pro­jet en matière de sécu­ri­té incen­die. Depuis 2013 et le « gel de la régle­men­ta­tion » (cir­cu­laire du 17 juillet 2013), l’Etat a enga­gé une démarche de recherche de sou­plesse régle­men­taire pour favo­ri­ser et faci­li­ter les opé­ra­tions de construc­tion tout en sim­pli­fiant les démarches admi­nis­tra­tives. Cette sou­plesse est pas­sée par plu­sieurs étapes, la loi du 7 juillet 2016 tout d’abord, rela­tive à la liber­té de créa­tion, à l’architecture et au patri­moine qui pré­voyait pour l’Etat et les col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales la pos­si­bi­li­té de déro­ger, dans cer­taines condi­tions, notam­ment aux règles d’urbanisme et de construc­tion. Le décret 2017 – 1044 du minis­tère de la culture du 10 mai 2017 est venu pré­ci­ser les condi­tions de mise en œuvre de cette loi. Un autre décret du 29 décembre 2017 rela­tif à l’expérimentation ter­ri­to­riale du droit de déro­ga­tion recon­nu aux pré­fets s’est ins­crit dans la conti­nui­té du pré­cé­dent. Enfin, cette recherche de sou­plesse a trou­vé ses der­nières expres­sions dans la loi ESSOC (pour un Etat au ser­vice d’une socié­té de confiance) du 13 août 2018 et sa pre­mière ordon­nance du 31 octobre 2018 (n° 2018 – 937) qui intro­duit avec force la notion d’objectif de sécu­ri­té et laisse le choix des moda­li­tés pour les atteindre, le res­pect des règle­ments exis­tants res­tant une manière simple de les atteindre. Des groupes de réflexion inter­mi­nis­té­riels tra­vaillent actuel­le­ment sur une modi­fi­ca­tion du code de la construc­tion et de l’habitation pour que les objec­tifs majeurs de sécu­ri­té incen­die soient par­fai­te­ment exprimés.

Ain­si, dans le contexte actuel, les por­teurs de pro­jets voient leur res­pon­sa­bi­li­té réaf­fir­mée alors que l’application obli­ga­toire des règles de sécu­ri­té incen­die se veut plus souple et que les pré­co­ni­sa­tions pour le trai­te­ment du risque d’acte mal­veillant cherchent à gagner en homogénéité.

Les deux domaines conti­nuent d’évoluer dans des silos indépendants.

Points dangereux et points vulnérables

Dans cet envi­ron­ne­ment en pleine muta­tion, la recherche de solu­tions immé­diates en sûre­té pour répondre à la per­cep­tion de risques nou­veaux et la recherche de dis­po­si­tions inno­vantes en matière de sécu­ri­té incen­die ouvrent la porte à tous les possibles.

Cette fré­né­sie de l’innovation et de la liber­té de construire ne doit pas faire oublier les objec­tifs pre­miers com­muns à la régle­men­ta­tion incen­die et aux prin­cipes de sûre­té : la pro­tec­tion des per­sonnes et la pré­ser­va­tion des biens. Il est facile de faire s’opposer voies d’accès pour les secours et dis­po­si­tifs anti-véhi­cules béliers, baies acces­sibles pour les sapeurs-pom­piers et vitrages anti­ef­frac­tion, barres anti-panique et ver­rouillage des issues, éva­cua­tion et confi­ne­ment. Il arrive aus­si d’entendre des por­teurs de pro­jets se plaindre du coût des mesures de sûre­té et du frein à l’innovation archi­tec­tu­rale que repré­sentent les mesures de sécu­ri­té incen­die, et inver­se­ment. Il est éga­le­ment pos­sible, et fina­le­ment assez fré­quent, de par­ve­nir à asso­cier des pro­jets archi­tec­tu­raux inno­vants avec les objec­tifs de sûre­té tels que pré­sen­tés dans les guides et ceux de sécu­ri­té incen­die fixés par les règle­ments, dès lors que les spé­cia­listes des dif­fé­rents domaines se sont concer­tés au plus tôt dans l’élaboration des projets.

La dyna­mique actuelle amène les spé­cia­listes de la sûre­té et ceux de la sécu­ri­té incen­die à des échanges de plus en plus fré­quents mais les deux domaines conti­nuent d’évoluer dans des silos indé­pen­dants. Il existe pour­tant un grand nombre de signaux qui montrent que les deux domaines, au moins en matière de pro­tec­tion bâti­men­taire, sont extrê­me­ment proches et outre le fait d’avoir des objec­tifs com­muns, ils peuvent s’analyser avec les mêmes outils. Les méthodes d’analyse de risques évo­qués ci-avant sont adap­tables à la sécu­ri­té incen­die comme à la sûre­té. C’est le cas de la MOSAR (Méthode Orga­ni­sée Sys­té­mique d’Analyse des Risques) par exemple, qui com­prend une double approche macro­sco­pique puis micro­sco­pique d’un éta­blis­se­ment afin d’en modé­li­ser tous les pro­cess et d’en étu­dier les forces et les fai­blesses. Elle néces­site néan­moins un cer­tain temps d’appropriation par celui qui la conduit. Le CNPP a éga­le­ment déve­lop­pé une méthode « d’analyse de risque et de vul­né­ra­bi­li­té » qui com­prend une mise en évi­dence de « points dan­ge­reux » et l’identification de « points vul­né­rables » au sein d’une entre­prise. Cette méthode, théo­ri­sée dans deux docu­ments, les réfé­ren­tiels R11 et 6011, est par­fai­te­ment adap­tée au risque d’incendie mais peut-être éga­le­ment uti­li­sée en sûre­té et est plus intui­tive que la MOSAR. En plus de ces méthodes d’analyse, il est éga­le­ment pos­sible d’associer har­mo­nieu­se­ment les mesures de sécu­ri­té et de sûre­té dans les plans de trai­te­ment du risque. La pré­fec­ture de police a ini­tié en 2017, un groupe de tra­vail afin d’élaborer des fiches à des­ti­na­tion du grand public per­met­tant de mieux com­prendre les exi­gences en matière de sûre­té et de sécu­ri­té incen­die et pro­po­sant des solu­tions tech­niques prag­ma­tiques. Ce groupe de tra­vail réunit des membres des forces de police (notam­ment du ser­vice opé­ra­tion­nel de pré­ven­tion situa­tion­nelle – SOPS), des archi­tectes de sécu­ri­té, des sapeurs-pom­piers de Paris (du bureau pré­ven­tion) et des ingé­nieurs et a per­mis des échanges enri­chis­sants qui ont ame­né à la réa­li­sa­tion de fiches tech­niques sur dif­fé­rents sujets tels que les dis­po­si­tifs anti-véhi­cules béliers, les façades acces­sibles, les équi­pe­ments d’alarme, l’évacuation et les zones de regrou­pe­ments, etc. Ces fiches pro­posent notam­ment des solu­tions tech­niques satis­fai­sant à la fois aux exi­gences de sécu­ri­té incen­die et à celles de sûre­té. Sur le plan natio­nal, des groupes de tra­vail se réunissent depuis plu­sieurs mois pour étu­dier les moda­li­tés d’interaction entre les alarmes incen­die et les alarmes atten­tat. Un pro­jet d’information tech­nique rele­vant des normes concer­nant les sys­tèmes de sécu­ri­té incen­die fait d’ailleurs l’objet actuel­le­ment d’une enquête publique. Des outils existent donc ou sont en train d’être créés afin de per­mettre l’intégration de la sûre­té et de la sécu­ri­té incen­die dans une réflexion de sécu­ri­té globale.

Chaque personne est acteur de sa propre sécurité et de la sécurité en général

Mais ces outils et cette volon­té de déve­lop­per une idée de la sécu­ri­té glo­bale, dans le contexte de sou­plesse admi­nis­tra­tive et tech­nique évo­qué plus avant, doit éga­le­ment s’appuyer sur une appro­pria­tion de la ques­tion non seule­ment par les dif­fé­rents acteurs d’un pro­jet mais aus­si par chaque citoyen. En matière de pré­ven­tion des risques domes­tiques et de san­té au tra­vail, il est fré­quem­ment expli­qué que chaque per­sonne est acteur de sa propre sécu­ri­té et de la sécu­ri­té en géné­ral. Depuis plu­sieurs années, sous l’impulsion de socié­tés pri­vées, des « vil­lages de la pré­ven­tion » se sont déve­lop­pés et abordent dif­fé­rents sujets comme les gestes qui sauvent, les dan­gers de la vie cou­rante, faire face aux risques majeurs, les risques de la route, etc. En matière de sûre­té et de sécu­ri­té incen­die, des actions du même type pour­raient être orga­ni­sées pour que chaque citoyen soit éga­le­ment un acteur dans ces domaines. Depuis quelques mois, en Seine-Saint-Denis, des per­sonnes cir­cu­lant dans un camion pro­posent des infor­ma­tions rela­tives au risque d’incendie et aux conduites à tenir. A Paris, suite aux der­niers incen­dies de ce début d’année, le Pré­fet de police a deman­dé fin février qu’une réflexion soit menée sur les actions pos­sibles « en matière d’information et de sen­si­bi­li­sa­tion de la popu­la­tion au risque d’incendie et aux com­por­te­ments qui sauvent » et les pre­mières réunions se sont tenues avec des dif­fé­rents ser­vices de la ville de Paris et de la Pré­fec­ture afin de mettre rapi­de­ment en place des actions de com­mu­ni­ca­tion et d’information. Cela montre que la démarche d’éducation des popu­la­tions est lan­cée. En matière de sûre­té, ce sont prin­ci­pa­le­ment les éta­blis­se­ments édu­ca­tifs qui, par le biais d’exercices, informent les élèves sur la conduite à tenir en cas d’acte mal­veillant. Depuis 2015, le gou­ver­ne­ment a éga­le­ment réa­li­sé des flyers qui indiquent com­ment réagir en cas d’attaque ter­ro­riste, en cas d’exposition à des pro­duits toxiques et rap­pellent les gestes qui sauvent. Les démarches de sen­si­bi­li­sa­tion et de res­pon­sa­bi­li­sa­tion de tous sont donc enga­gées mais d’autres actions sont encore pos­sible. L’Etat pour­rait par exemple mettre en place des struc­tures du type des « vil­lages de la pré­ven­tion » ou s’associer à des telles struc­tures pour que les mes­sages pas­sés soient har­mo­ni­sés et relèvent des domaines jugés per­ti­nents à l’échelon national.

Mener une analyse combinée du risque d’incendie et des risques d’actes malveillants

Si, dans le domaine de la sécu­ri­té incen­die, il a été pos­sible d’élaborer des règle­ments qui fixent des mesures de pré­ven­tion, de pro­tec­tion et de pré­vi­sion per­met­tant de lut­ter avec effi­ca­ci­té contre les phé­no­mènes phy­siques maî­tri­sés du déve­lop­pe­ment du feu et d’atteindre un niveau de sécu­ri­té jugé accep­table, dans le domaine de la sûre­té, l’aspect pro­téi­forme et évo­lu­tif des actes mal­veillant n’a pas per­mis de s’inscrire dans la même démarche et seuls des guides de bonnes pra­tiques ont pu être réa­li­sés. Ces guides laissent l’initiative et la res­pon­sa­bi­li­té de leur appli­ca­tion aux por­teurs de pro­jets et aux direc­teurs ou exploi­tants d’établissements.

Néan­moins, les deux domaines ont pour objec­tifs prin­ci­paux la pro­tec­tion des per­sonnes et la pré­ser­va­tion des biens et peuvent être étu­diés par le biais des mêmes outils d’analyse de risques.

Dans le contexte du droit souple et de la volon­té poli­tique de faci­li­ter les opé­ra­tions de construc­tion, pour que les mesures mises en œuvre soient cohé­rentes et adap­tées, il convient de mener une ana­lyse com­bi­née du risque d’incendie et des risques d’actes mal­veillants. Les outils et syner­gies per­met­tant ces études trans­verses sont en train de se mettre en place mais l’action de l’Etat doit aus­si se por­ter sur la sen­si­bi­li­sa­tion de tout un cha­cun pour que chaque citoyen devienne un acteur de sa propre sécu­ri­té et de la sécu­ri­té glo­bale de son environnement.


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