Retour d’inter — Une école dont la structure est principalement composée de bois, est en proie aux flammes. Sur ce chantier, l’ossature du bâtiment auto-alimente le feu et entraîne un fort rayonnement. Retour sur une intervention inédite pour la BSPP.
Lundi 17 avril, les enfants arrivent à l’école. Pourtant, 48 heures auparavant, l’établissement scolaire en construction et adjacent au leur a été totalement ravagé par les flammes. Immersion dans la course contre-la-montre des pompiers de Paris, pour que les élèves puissent retourner à l’école en toute sécurité…
Il est presque 18 heures, le samedi 15 avril, lorsque le lieutenant Aymeric Chalmin commence l’échauffement de sa séance de sport quotidienne. Cette dernière est soudainement interrompue par le retentissement du ronfleur au centre de secours (CS) Clichy-sous-Bois. Le lieutenant s’empresse d’aller au poste de veille opérationnel pour obtenir de plus amples informations auprès du stationnaire. Le centre opérationnel a déclenché un groupe incendie en anticipation… Cela ne présage rien de bon. Le point entre le lieutenant et son conducteur est rapide : il s’agit d’une adresse bien connue des pompiers du CS Clichy puisqu’ils passent devant toutes les semaines pour se rendre à la piscine. À peine sortis de la remise, les soldats du feu aperçoivent le panache de fumée. Cette fois-ci, ils en ont certains : une intervention de grande ampleur les attend.
Tours du feu. À quelques centaines de mètres du sinistre, l’enchevêtrement de voitures gêne l’arrivée des engins. Pris de panique, les automobilistes font demi-tour. Pour couronner le tout, les badauds sont témoins d’explosions. Conséquence : l’avance qu’avaient les engins du départ normal, commandés par le lieutenant Chalmin, est rattrapée par le véhicule du capitaine Gaylord Guérin, officier de garde compagnie. Enfin arrivé sur les lieux, le lieutenant Chalmin entame son tour du feu au pas de course. Il se rend rapidement compte que l’école, encore en construction et faite de bois et de paille, est complètement embrasée. Attiré par des pavillons proches du chantier, séparés par un mur porteur en parpaing, l’officier vérifie s’il y a un risque de propagation. « Il apparaît évident que toute l’école est sacrifiée, on ne pourra pas la sauver, se remémore le lieutenant. Nous faisons le choix de protéger les pavillons. » Ainsi, le chef d’agrès premier secours (PS), positionné dans la cour de récréation, établit deux lances grande puissance ayant pour mission de protéger les pavillons. De son côté, le capitaine Guérin commence également son tour du feu. Juste sur le trottoir opposé au sinistre, l’officier est contraint d’abaisser la visière de son casque, signe d’un feu à forte intensité qui va s’inscrire dans la durée.
Une situation défavorable. Le capitaine Guérin et le lieutenant Chalmin se retrouvent pour faire un point de situation et établir une manœuvre hydraulique. Les vitres de la boulangerie devant laquelle les officiers sont positionnés ont été brisées par le rayonnement de la chaleur et les explosions de bouteilles de gaz présentes sur le chantier. L’intervention dépasse le volume du bâtiment sinistré. Il faut effectuer des reconnaissances périphériques plus larges pour voir s’il y a des blessés. L’environnement ne laisse aucun doute… À 18 h 05, moins de 10 minutes après être arrivé sur les lieux, le lieutenant saisit sa radio : « Je demande renfort incendie avenue Gabriel Péri à Montfermeil ».
À une vingtaine de kilomètres du sinistre, à Masséna, le commandant François-Xavier Tesson, officier de garde prévention, est appelé. Il s’apprête à partir sur le premier incendie de ce type sur le secteur de la Brigade. En effet, le bâtiment est particulier puisqu’il est composé de matériaux en bois et en paille. Il ne s’agit pas d’un feu de contenu, mais de contenant, car c’est la structure même du bâtiment qui brûle et non son intérieur. Quelques minutes plus tard, à l’état-major du premier groupement d’incendie et de secours, le lieutenant-colonel Le Mansec, officier supérieur de garde groupement (OSG) est prévenu. Durant son trajet, il entend à la radio le message d’ambiance du capitaine Guérin. Ce dernier vient de prendre le commandement des opérations de secours (COS). « La situation est défavorable. Les secours sont confrontés à un feu de chantier de 2 000 m². Le bâtiment est totalement embrasé et possède une structure composée essentiellement de base bois. Le risque de propagation à un pavillon mitoyen n’est pas écarté. Le bilan provisoire fait état pour le moment d’aucune victime. De nombreuses explosions ont été ressenties avant notre arrivée. L’effort porte sur la lutte contre les propagations et l’établissement de moyens hydrauliques puissants. »
Une construction particulière. Lorsque le commandant Tesson se présente sur les lieux du sinistre, il constate immédiatement la particularité de cet incendie : un feu de chantier, avec tous les risques que cela implique. En particulier, l’explosion des bouteilles de gaz entreposées entraîne des projections à plusieurs centaines de mètres. Au moment où l’incendie s’est déclaré, la protection du bois n’est pas encore en place et il n’y a pas de mesures de prévention telles que les recoupements. Résultat : l’incendie a un fort potentiel calorifique et un rayonnement plus important qu’un feu d’entrepôt, à cause de sa structure en bois et en paille. À partir de tous ces éléments, l’officier de garde prévention alerte le COS : « La structure est en bois. Il y a un risque d’effondrement imminent. Pour ce type de structure, ajoute le commandant, la stabilité au feu avoisine les 30 minutes ».
Lorsque le lieutenant-colonel Frédéric Le Mansec arrive, il constate que le bâtiment est totalement embrasé. Des moyens hydrauliques puissants sont nécessaires pour procéder à l’extinction. Cependant, la zone pavillonnaire située en hauteur n’est pas pourvue d’hydrants dimensionnés pour les feux de cette envergure. À ce stade, les soldats du feu disposent d’une conduite locale de 200 millimètres permettant d’alimenter quatre lances d’un débit de 1 000 litres par minute. Il va falloir aller chercher de l’eau plus loin. La manœuvre consiste à alimenter des engins à forte puissance, comme le fourgon mousse grande puissance (FMOGP) en allant chercher de l’eau à l’aide de deux fourgons d’appui camions d’accompagnement (FACA) situés à 800 et 1 100 mètres.
Effondrement. Peu avant 19 heures, en protection le long des bâtiments pour contrer le risque d’explosion, le capitaine Guérin et le lieutenant-colonel Le Mansec font un point de situation. L’officier supérieur de garde groupement décide de prendre le COS. « Même si tactiquement la situation n’est pas extrêmement complexe, j’ai pas mal de petites lumières qui viennent s’allumer : reconnaissances périphériques, difficultés d’alimentation et sécurité du personnel… La situation n’est pas encore maîtrisée », explique le lieutenant-colonel Le Mansec. Le capitaine Guérin prend le rôle de directeur des secours incendie et sauvetage (DSIS) et est chargé de l’extinction du sinistre. Une seule priorité : la sécurité ! Durant le compte-rendu de l’OGC à l’OSG, une explosion de gaz se fait ressentir. Quelques instants plus tard, le bâtiment s’effondre ! « Tel un barbecue géant, le feu est alimenté par le bois. Une fois les braises faites, tout s’écroule puis charbonne jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien », résume le commandant François-Xavier Tesson.
Nous ne sommes pas loin du conte des Trois petits cochons. L’école en bois et en paille est entièrement ravagée. Seule la cage d’ascenseur en béton reste debout au milieu des décombres. Le capitaine Guérin s’empare de sa radio et s’assure auprès des deux chefs de secteurs qu’il n’y ait pas de victime. Rien à signaler.
Pour éteindre l’incendie, il faut figer la situation et baisser l’intensité du feu. La tâche est complexe. En effet, suite à l’effondrement, des panneaux entiers de bois et de paille brûlent. La manœuvre se fait en deux temps : l’intensité du foyer est réduite à l’aide de moyens hydrauliques puissants, puis grâce à des moyens mousse, pour atteindre les foyers intouchables par le jet des lances. Toute la nuit, le dispositif et les lances sont réadaptés. Les équipes se relaient permettant à certains de se remettre en condition pendant que d’autres attaquent le feu. À l’aube, une pelle mécanique sur chenilles arrive pour déblayer le « barbecue » et noyer la matière qui charbonne encore. Le feu est définitivement éteint.
Lundi 17 avril, les enfants arrivent à l’école, conformément à la volonté affirmée du maire. Pourtant, 48 heures auparavant, l’établissement scolaire en construction et adjacent au leur a été totalement ravagé par les flammes. Aucun d’entre eux n’ignore le drame qui s’est joué. Aujourd’hui, c’est à leur tour de prendre le commandement des opérations dans la cour. À travers poèmes, dessins et petits textes, chacun remercie, à sa manière, l’implication des soldats du feu et des forces de l’ordre. La course contre-la-montre a été remportée !
MAITRISER UN INCENDIE INÉDIT
L’ŒIL DE LA SECTION DOCTRINE RETEX par le commandant Patrick Parayre
Ce n’est pas le premier incendie de bâtiment en construction auquel la BSPP se confronte. Cependant, la présence des matériaux biosourcés (paille et bois) stockés et présents dans les éléments de construction inachevés et non protégés a facilité un développement particulièrement rapide du feu avec de forts risques de propagation.
Les secours se trouvent face à un bâtiment R+1 de 2 000 m² en chantier, complètement embrasé, soit l’équivalent d’un entrepôt de taille moyenne implanté dans une zone pavillonnaire qui ne comporte pas une Défense contre l’incendie (DECI) étudiée pour un feu de type « industriel ».
La préparation à l’engagement doit débuter dès le Poste de veille opérationnelle (PVO) où, à la lecture des renseignements complémentaires « école en construction //flammes++ » sur l’ordre de départ, les chefs d’agrès peuvent anticiper sur plusieurs points.
Tout d’abord, porter une attention sur les Points d’eau incendie (PEI) car, raccordés à une conduite de 100 mm, ils délivrent un débit théorique de 60 m³/h maximum. Cette limite ne permet pas d’établir, sauf cas exceptionnel et sur une très courte durée, au-delà d’une lance grande puissance (LGP) ou son équivalent quelle que soit la capacité hydraulique de l’engin. Cette « vigilance hydraulique » devra être maintenue lors de la montée en puissance de l’intervention afin de ne pas menacer le potentiel hydraulique de la zone.
Puis, la notion « en construction » de l’ordre de départ doit interpeller sur le thème du feu de chantier et des matériaux à risque qui peuvent y être présents (voir BSP « grands feux »). Le 15 avril dernier, plusieurs bouteilles de gaz ont explosé sous l’effet de l’incendie et ont été projetées dans un rayon de presque deux cents mètres. Le rappel rapide de ce risque doit être réalisé au départ des secours afin de capter toute l’attention des sapeurs-pompiers de Paris engagés, du chef d’agrès au conducteur. Sur le terrain, le COS doit également mettre en sécurité les badauds, les forces de l’ordre et commander des reconnaissances élargies qui doivent être menées si une bouteille est projetée.
Enfin, à l’arrivée sur les lieux, les secours concentrent leur action principale sur le risque de propagation afin de le stopper dans la zone la plus menacée en établissant des moyens hydrauliques suffisamment puissants en débit et en portée. Il est en effet illusoire de penser pouvoir agir efficacement avec les premiers moyens sur un foyer principal d’une surface au sol de 2 000 m².