RETEX — Feu inédit dans une école maternelle à Montfermeil (93)

Manon Peneaud —  — Modi­fiée le 27 juillet 2023 à 09 h 29 

Retour d’inter — Une école dont la structure est principalement composée de bois, est en proie aux flammes. Sur ce chantier, l’ossature du bâtiment auto-alimente le feu et entraîne un fort rayonnement. Retour sur une intervention inédite pour la BSPP.

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Lun­di 17 avril, les enfants arrivent à l’école. Pour­tant, 48 heures aupa­ra­vant, l’établissement sco­laire en construc­tion et adja­cent au leur a été tota­le­ment rava­gé par les flammes. Immer­sion dans la course contre-la-montre des pom­piers de Paris, pour que les élèves puissent retour­ner à l’école en toute sécu­ri­té…
Il est presque 18 heures, le same­di 15 avril, lorsque le lieu­te­nant Ayme­ric Chal­min com­mence l’échauffement de sa séance de sport quo­ti­dienne. Cette der­nière est sou­dai­ne­ment inter­rom­pue par le reten­tis­se­ment du ron­fleur au centre de secours (CS) Cli­chy-sous-Bois. Le lieu­te­nant s’empresse d’aller au poste de veille opé­ra­tion­nel pour obte­nir de plus amples infor­ma­tions auprès du sta­tion­naire. Le centre opé­ra­tion­nel a déclen­ché un groupe incen­die en anti­ci­pa­tion… Cela ne pré­sage rien de bon. Le point entre le lieu­te­nant et son conduc­teur est rapide : il s’agit d’une adresse bien connue des pom­piers du CS Cli­chy puisqu’ils passent devant toutes les semaines pour se rendre à la pis­cine. À peine sor­tis de la remise, les sol­dats du feu aper­çoivent le panache de fumée. Cette fois-ci, ils en ont cer­tains : une inter­ven­tion de grande ampleur les attend.

Tours du feu. À quelques cen­taines de mètres du sinistre, l’enchevêtrement de voi­tures gêne l’arrivée des engins. Pris de panique, les auto­mo­bi­listes font demi-tour. Pour cou­ron­ner le tout, les badauds sont témoins d’explosions. Consé­quence : l’avance qu’avaient les engins du départ nor­mal, com­man­dés par le lieu­te­nant Chal­min, est rat­tra­pée par le véhi­cule du capi­taine Gay­lord Gué­rin, offi­cier de garde com­pa­gnie. Enfin arri­vé sur les lieux, le lieu­te­nant Chal­min entame son tour du feu au pas de course. Il se rend rapi­de­ment compte que l’école, encore en construc­tion et faite de bois et de paille, est com­plè­te­ment embra­sée. Atti­ré par des pavillons proches du chan­tier, sépa­rés par un mur por­teur en par­paing, l’officier véri­fie s’il y a un risque de pro­pa­ga­tion. « Il appa­raît évident que toute l’école est sacri­fiée, on ne pour­ra pas la sau­ver, se remé­more le lieu­te­nant. Nous fai­sons le choix de pro­té­ger les pavillons. » Ain­si, le chef d’agrès pre­mier secours (PS), posi­tion­né dans la cour de récréa­tion, éta­blit deux lances grande puis­sance ayant pour mis­sion de pro­té­ger les pavillons. De son côté, le capi­taine Gué­rin com­mence éga­le­ment son tour du feu. Juste sur le trot­toir oppo­sé au sinistre, l’officier est contraint d’abaisser la visière de son casque, signe d’un feu à forte inten­si­té qui va s’inscrire dans la durée.

Une situa­tion défa­vo­rable. Le capi­taine Gué­rin et le lieu­te­nant Chal­min se retrouvent pour faire un point de situa­tion et éta­blir une manœuvre hydrau­lique. Les vitres de la bou­lan­ge­rie devant laquelle les offi­ciers sont posi­tion­nés ont été bri­sées par le rayon­ne­ment de la cha­leur et les explo­sions de bou­teilles de gaz pré­sentes sur le chan­tier. L’intervention dépasse le volume du bâti­ment sinis­tré. Il faut effec­tuer des recon­nais­sances péri­phé­riques plus larges pour voir s’il y a des bles­sés. L’environnement ne laisse aucun doute… À 18 h 05, moins de 10 minutes après être arri­vé sur les lieux, le lieu­te­nant sai­sit sa radio : « Je demande ren­fort incen­die ave­nue Gabriel Péri à Mont­fer­meil ».
À une ving­taine de kilo­mètres du sinistre, à Mas­sé­na, le com­man­dant Fran­çois-Xavier Tes­son, offi­cier de garde pré­ven­tion, est appe­lé. Il s’apprête à par­tir sur le pre­mier incen­die de ce type sur le sec­teur de la Bri­gade. En effet, le bâti­ment est par­ti­cu­lier puisqu’il est com­po­sé de maté­riaux en bois et en paille. Il ne s’agit pas d’un feu de conte­nu, mais de conte­nant, car c’est la struc­ture même du bâti­ment qui brûle et non son inté­rieur. Quelques minutes plus tard, à l’état-major du pre­mier grou­pe­ment d’incendie et de secours, le lieu­te­nant-colo­nel Le Man­sec, offi­cier supé­rieur de garde grou­pe­ment (OSG) est pré­ve­nu. Durant son tra­jet, il entend à la radio le mes­sage d’ambiance du capi­taine Gué­rin. Ce der­nier vient de prendre le com­man­de­ment des opé­ra­tions de secours (COS). « La situa­tion est défa­vo­rable. Les secours sont confron­tés à un feu de chan­tier de 2 000 m². Le bâti­ment est tota­le­ment embra­sé et pos­sède une struc­ture com­po­sée essen­tiel­le­ment de base bois. Le risque de pro­pa­ga­tion à un pavillon mitoyen n’est pas écar­té. Le bilan pro­vi­soire fait état pour le moment d’aucune vic­time. De nom­breuses explo­sions ont été res­sen­ties avant notre arri­vée. L’effort porte sur la lutte contre les pro­pa­ga­tions et l’établissement de moyens hydrau­liques puissants. »

Une construc­tion par­ti­cu­lière. Lorsque le com­man­dant Tes­son se pré­sente sur les lieux du sinistre, il constate immé­dia­te­ment la par­ti­cu­la­ri­té de cet incen­die : un feu de chan­tier, avec tous les risques que cela implique. En par­ti­cu­lier, l’explosion des bou­teilles de gaz entre­po­sées entraîne des pro­jec­tions à plu­sieurs cen­taines de mètres. Au moment où l’incendie s’est décla­ré, la pro­tec­tion du bois n’est pas encore en place et il n’y a pas de mesures de pré­ven­tion telles que les recou­pe­ments. Résul­tat : l’incendie a un fort poten­tiel calo­ri­fique et un rayon­ne­ment plus impor­tant qu’un feu d’entrepôt, à cause de sa struc­ture en bois et en paille. À par­tir de tous ces élé­ments, l’officier de garde pré­ven­tion alerte le COS : « La struc­ture est en bois. Il y a un risque d’effondrement immi­nent. Pour ce type de struc­ture, ajoute le com­man­dant, la sta­bi­li­té au feu avoi­sine les 30 minutes ».
Lorsque le lieu­te­nant-colo­nel Fré­dé­ric Le Man­sec arrive, il constate que le bâti­ment est tota­le­ment embra­sé. Des moyens hydrau­liques puis­sants sont néces­saires pour pro­cé­der à l’extinction. Cepen­dant, la zone pavillon­naire située en hau­teur n’est pas pour­vue d’hydrants dimen­sion­nés pour les feux de cette enver­gure. À ce stade, les sol­dats du feu dis­posent d’une conduite locale de 200 mil­li­mètres per­met­tant d’alimenter quatre lances d’un débit de 1 000 litres par minute. Il va fal­loir aller cher­cher de l’eau plus loin. La manœuvre consiste à ali­men­ter des engins à forte puis­sance, comme le four­gon mousse grande puis­sance (FMOGP) en allant cher­cher de l’eau à l’aide de deux four­gons d’appui camions d’accompagnement (FACA) situés à 800 et 1 100 mètres.

« C’est excep­tion­nel d’être confron­té à un feu de cette enver­gure, en pleine après-midi, sur un axe aus­si emprunté »

Effon­dre­ment. Peu avant 19 heures, en pro­tec­tion le long des bâti­ments pour contrer le risque d’explosion, le capi­taine Gué­rin et le lieu­te­nant-colo­nel Le Man­sec font un point de situa­tion. L’officier supé­rieur de garde grou­pe­ment décide de prendre le COS. « Même si tac­ti­que­ment la situa­tion n’est pas extrê­me­ment com­plexe, j’ai pas mal de petites lumières qui viennent s’allumer : recon­nais­sances péri­phé­riques, dif­fi­cul­tés d’alimentation et sécu­ri­té du per­son­nel… La situa­tion n’est pas encore maî­tri­sée », explique le lieu­te­nant-colo­nel Le Man­sec. Le capi­taine Gué­rin prend le rôle de direc­teur des secours incen­die et sau­ve­tage (DSIS) et est char­gé de l’extinction du sinistre. Une seule prio­ri­té : la sécu­ri­té ! Durant le compte-ren­du de l’OGC à l’OSG, une explo­sion de gaz se fait res­sen­tir. Quelques ins­tants plus tard, le bâti­ment s’effondre ! « Tel un bar­be­cue géant, le feu est ali­men­té par le bois. Une fois les braises faites, tout s’écroule puis char­bonne jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien », résume le com­man­dant Fran­çois-Xavier Tes­son.
Nous ne sommes pas loin du conte des Trois petits cochons. L’école en bois et en paille est entiè­re­ment rava­gée. Seule la cage d’ascenseur en béton reste debout au milieu des décombres. Le capi­taine Gué­rin s’empare de sa radio et s’assure auprès des deux chefs de sec­teurs qu’il n’y ait pas de vic­time. Rien à signa­ler.
Pour éteindre l’incendie, il faut figer la situa­tion et bais­ser l’intensité du feu. La tâche est com­plexe. En effet, suite à l’effondrement, des pan­neaux entiers de bois et de paille brûlent. La manœuvre se fait en deux temps : l’intensité du foyer est réduite à l’aide de moyens hydrau­liques puis­sants, puis grâce à des moyens mousse, pour atteindre les foyers intou­chables par le jet des lances. Toute la nuit, le dis­po­si­tif et les lances sont réadap­tés. Les équipes se relaient per­met­tant à cer­tains de se remettre en condi­tion pen­dant que d’autres attaquent le feu. À l’aube, une pelle méca­nique sur che­nilles arrive pour déblayer le « bar­be­cue » et noyer la matière qui char­bonne encore. Le feu est défi­ni­ti­ve­ment éteint.

« C’est la struc­ture même du bâti­ment
qui brûle et non son intérieur »

Lun­di 17 avril, les enfants arrivent à l’école, confor­mé­ment à la volon­té affir­mée du maire. Pour­tant, 48 heures aupa­ra­vant, l’établissement sco­laire en construc­tion et adja­cent au leur a été tota­le­ment rava­gé par les flammes. Aucun d’entre eux n’ignore le drame qui s’est joué. Aujourd’hui, c’est à leur tour de prendre le com­man­de­ment des opé­ra­tions dans la cour. À tra­vers poèmes, des­sins et petits textes, cha­cun remer­cie, à sa manière, l’implication des sol­dats du feu et des forces de l’ordre. La course contre-la-montre a été remportée ! 

MAITRISER UN INCENDIE INÉDIT

L’ŒIL DE LA SECTION DOCTRINE RETEX par le commandant Patrick Parayre

Ce n’est pas le pre­mier incen­die de bâti­ment en construc­tion auquel la BSPP se confronte. Cepen­dant, la pré­sence des maté­riaux bio­sour­cés (paille et bois) sto­ckés et pré­sents dans les élé­ments de construc­tion inache­vés et non pro­té­gés a faci­li­té un déve­lop­pe­ment par­ti­cu­liè­re­ment rapide du feu avec de forts risques de pro­pa­ga­tion.
Les secours se trouvent face à un bâti­ment R+1 de 2 000 m² en chan­tier, com­plè­te­ment embra­sé, soit l’équivalent d’un entre­pôt de taille moyenne implan­té dans une zone pavillon­naire qui ne com­porte pas une Défense contre l’incendie (DECI) étu­diée pour un feu de type « indus­triel ».
La pré­pa­ra­tion à l’engagement doit débu­ter dès le Poste de veille opé­ra­tion­nelle (PVO) où, à la lec­ture des ren­sei­gne­ments com­plé­men­taires « école en construc­tion /​/​flammes++ » sur l’ordre de départ, les chefs d’agrès peuvent anti­ci­per sur plu­sieurs points.

Tout d’abord, por­ter une atten­tion sur les Points d’eau incen­die (PEI) car, rac­cor­dés à une conduite de 100 mm, ils délivrent un débit théo­rique de 60 m³/​h maxi­mum. Cette limite ne per­met pas d’établir, sauf cas excep­tion­nel et sur une très courte durée, au-delà d’une lance grande puis­sance (LGP) ou son équi­valent quelle que soit la capa­ci­té hydrau­lique de l’engin. Cette « vigi­lance hydrau­lique » devra être main­te­nue lors de la mon­tée en puis­sance de l’intervention afin de ne pas mena­cer le poten­tiel hydrau­lique de la zone.
Puis, la notion « en construc­tion » de l’ordre de départ doit inter­pel­ler sur le thème du feu de chan­tier et des maté­riaux à risque qui peuvent y être pré­sents (voir BSP « grands feux »). Le 15 avril der­nier, plu­sieurs bou­teilles de gaz ont explo­sé sous l’effet de l’incendie et ont été pro­je­tées dans un rayon de presque deux cents mètres. Le rap­pel rapide de ce risque doit être réa­li­sé au départ des secours afin de cap­ter toute l’attention des sapeurs-pom­piers de Paris enga­gés, du chef d’agrès au conduc­teur. Sur le ter­rain, le COS doit éga­le­ment mettre en sécu­ri­té les badauds, les forces de l’ordre et com­man­der des recon­nais­sances élar­gies qui doivent être menées si une bou­teille est pro­je­tée.
Enfin, à l’arrivée sur les lieux, les secours concentrent leur action prin­ci­pale sur le risque de pro­pa­ga­tion afin de le stop­per dans la zone la plus mena­cée en éta­blis­sant des moyens hydrau­liques suf­fi­sam­ment puis­sants en débit et en por­tée. Il est en effet illu­soire de pen­ser pou­voir agir effi­ca­ce­ment avec les pre­miers moyens sur un foyer prin­ci­pal d’une sur­face au sol de 2 000 m².

Photos Marc Loukachine